Comment jugez-vous les dernières conclusions des perspectives conjointes de l’OCDE et de la FAO ?
Baptiste Buczinski - Ces
travaux expriment de grandes tendances dans le sens où l’on peut voir que la
consommation de viande et de produits animaux va effectivement continuer de croître dans le monde et que cette progression sera alimentée par les pays en développement. Par contre, ces prospectives ne prennent pas en compte de nombreux aspects qui peuvent percuter ces tendances comme l’évolution des
politiques agricoles, les
accords commerciaux internationaux ou encore la
conjoncture mondiale qui peut basculer en quelques jours comme nous l’avons vu ces dernières années avec la guerre en Ukraine par exemple. Souvenons-nous de ce qu’étaient les prévisions pour le prix du blé en 2021, il était annoncé à 234 euros et avait vocation à rester stable alors que quelques semaines plus tard les cours flambaient à plus de 300 euros…
On imagine que ces tendances sont établies à partir de données chiffrées. Donnent-elles un aperçu fidèle de la réalité ?
B.B. - En fait c’est de l’économétrie avec tout ce que ça impose comme limites, les tendances sont extraites à partir de calculs sur des bases démographiques et économiques et confrontés à ce que nous connaissons de l’évolution passée des marchés. C’est purement quantitatif et pour avoir une idée plus précise, il faut impérativement ajouter une dose d’enquête qualitative dans les différents marchés afin de saisir avec finesse ce qui peut se passer dans chaque région du globe. L’OCDE et la FAO émettent en plus des hypothèses qui peuvent être discutées, ils ne prennent par exemple que très rarement en compte la question de l’évolution des droits de douane.
Pour autant, tout est-il à jeter ?
B.B. - Malgré ces limites, ces travaux ont le mérite de montrer les tendances en cours. À moyen terme, je suis assez d’accord sur la perspective d’une détente relative sur les prix à l’échelle mondiale. La demande chinoise, qui reste un marqueur important, se tasse un peu avec le retour de la viande de porc dans des volumes plus conformes à ce qu’ils étaient avant l’épisode de peste porcine africaine. Je suis d’accord aussi pour dire que la viande de volaille devrait provoquer à moyen terme le gros de l’augmentation de la production et de la consommation de viande dans le monde.
La pression environnementale ne peut-elle pas avoir un rôle délétère sur ce que vous envisagez ?
B.B. - Elle l’a déjà. Il suffit de regarder ce qui se passe en Irlande, pays qui veut réduire son cheptel de 200 000 têtes, ou aux Pays Bas et chez nous, les ambitions toutes récentes du gouvernement et les conclusions de la Cour des comptes… Mais ces analyses négligent le fait que la production bovine, par les pratiques et les innovations en élevages, dispose de multiples leviers pour améliorer son bilan environnemental. Et elle produit de nombreux services écosystémiques, que ce soit en termes de biodiversité et de paysages par exemple. Par ailleurs, la consommation ici résiste et elle est même en progression ces derniers mois par rapport à l’an dernier. Le maintien de la production est donc nécessaire pour ne pas dépendre des importations, qui ont un bilan environnemental moins favorable que la production nationale. Il faut comptabiliser l’empreinte environnementale des importations.
Restera-t-il des vaches en Europe en 2100 ?
B.B. - 2100 est très lointain et il est difficile d’envisager précisément quels seront les modes de production agricoles et de consommation alimentaire… Aujourd’hui, les prairies occupent une grande partie de la surface agricole européenne et l’élevage est le meilleur moyen de valoriser ces espaces. C’est très valable pour la France. Le cheptel dépendra aussi des besoins des marchés et de la consommation. Globalement, nous avons un grand potentiel pour le naissage et les exportations d’animaux vivants rendent service à nos voisins. Sur la viande, nous sommes presque en équilibre quantitatif (entre la production et la consommation) mais il y a des échanges à l’import et à l’export pour des raisons d’adaptation qualitative. Nous exportons environ 20 % de notre production bovine, surtout de la viande de mâles, et nous importons 25 % de nos besoins en viande de femelles. Des travaux sont notamment engagés pour fournir la restauration hors domicile, porte d’entrée de l’import, avec de la viande de bovins mâles finis en France.
L’export peut-il être une solution pour l’élevage français ?
B.B. - Oui, l’export est utile pour valoriser l’ensemble de la production française, mais ses perspectives ne sont pas très simples à établir. Surtout avec les inconnues qui planent sur la question du transport en vif que l’Europe veut revoir. Nous exportons toujours en vif et en viande mais sommes confrontés à une concurrence rude et très compétitive du Mercosur en particulier. Jusqu’ici, le Brésil produisait de la viande bovine pour satisfaire son marché intérieur qui absorbait jusqu’à encore tout récemment 85 % des volumes produits. Aujourd’hui, ce chiffre est descendu à 70 % à cause du pouvoir d’achat et de bascule sur d’autres viandes, la viande bovine devient donc pour grande partie un produit compétitif destiné à l’exportation partout dans le monde, notamment en Chine et dans le reste de l’Asie. À l’échelle française, le problème tient surtout au fait que nous manquons d’animaux et de viande pour pouvoir approvisionner le marché national et l’export. Notre consommation dépend de plus en plus des importations.