Les vins nature bousculent les codes de la communication
Les vins nature construisent peu à peu leur notoriété, et s’appuient pour cela sur des stratégies de communication fortement différenciantes. Illustration en quatre points.
Les vins nature construisent peu à peu leur notoriété, et s’appuient pour cela sur des stratégies de communication fortement différenciantes. Illustration en quatre points.
Audrey Moutat, maître de conférences en sciences de la communication à l’université de Limoges était l’invitée de l’ISVV et du cluster Inno’vin à l’occasion d’un séminaire sur la naturalité début septembre. La chercheuse y a présenté les grandes conclusions de ses travaux sur les stratégies de communication utilisées par les producteurs de vins naturels. Selon la chercheuse, ces derniers sont structurés en deux microstyles de vie, desquels découlent deux grands types de communication. « L’un défend une production artisanale dans le respect de l’environnement et privilégie la communication explicative. L’autre s’apparente davantage à un modèle d’insurrection ; il est en révolte contre la loi du marché et de l’hyperconsommation », a analysé Audrey Moutat. Ces derniers, autoproclamés « pirates du vin », ont une communication plus offensive.
Le langage familier préférentiellement employé pour parler de vin
C’est sur un registre très familier que les producteurs de vins nature s’adressent à leur public. Les réseaux sociaux et les blogs, sur lesquels ils sont très présents, permettent finalement une utilisation assez naturelle des mots et expressions d’habitudereservés à la sphère privée. On voit donc apparaître les termes « canons », « pif », « quilles » ou encore « niveau de picolabilité ». Enfin, des expressions telles que « s’en jeter un petit verre derrière la cravate » ou encore « se remplir le gosier » sont courantes dans les textes accompagnant la présentation d’une cuvée. Ils traduisent une certaine spontanéité dans le discours associé aux vins nature.
De nouveaux descripteurs dans le vocabulaire de la dégustation
Le choix d'une vinification sans intrants aboutit en général à de nouveaux profils organoleptiques, auxquels sont associés des descripteurs qui étaient jusque-là peu répandus. Il ne s’agit donc pas d’une réelle volonté de développer une stratégie de communication différente jusque sur la contre-étiquette, mais bien du besoin de s’adapter à l’émergence de vins différents sur le plan organoleptique. « Les termes de translucide, opaque ou mat sont courants, en lien avec la non-filtration qui est une pratique répandue », a argumenté Audrey Moutat. Ce qui pour certains relève du défaut, est assumé voire mis en avant par des descripteurs jusque-là connotés plutôt négativement. On peut par exemple citer la tapenade, le lard ou encore le "beurre yaourtier" pour le registre olfactif. Enfin, la notion d’équilibre, parfois abstraite, tend à disparaître au profit de qualificatifs plus imagés : tonique, vivifiant, pépère.
Des noms de cuvées humoristiques, parfois provocateurs
L’imagination ne manque pas aux producteurs pour nommer leurs cuvées avec originalité. D’après Audrey Moutat, on retrouve ainsi la référence cinématographique, à l’instar du « You fuck my wine » du Mas Del Perié, le jeu de mots, comme le « Tout bu or not to bu » du Domaine du Possible ou encore la connotation sexuelle, dont la cuvée « Masturbation carbonique » du Domaine Les Sabots d’Ella en est une parfaite illustration. Certains domaines osent même la référence historique volontairement provocatrice, à l’image du « Farem tot petar » (nous allons tout faire péter en occitan) du Domaine des Amiel, qui est un clin d’œil aux violentes manifestations de 1907.
Des étiquettes colorées et artistiques
Que le vin soit rouge, rosé, blanc, tranquille ou effervescent, en AOP ou non, les étiquettes sont la preuve d’une réelle volonté de s’affranchir des codes traditionnels. Le dessin, volontairement brouillon ou plus travaillé, investi largement les bouteilles. « Il y a aussi de nombreuses étiquettes qui présentent une signature graphique empruntée à l’univers de la bande dessinée ou du pop art », a développé Audrey Mourat. Une stratégie qui pourrait peut-être toutefois limiter la conquête de nouveaux consommateurs puisque d’après des réactions recueillies par Audrey Moutat, certains considèrent ces étiquettes comme « peu sérieuses ». La chercheuse a prévu un sondage de plus grande envergure pour vérifier si cette perception est partagée par une majorité de consommateurs.
Les travaux d’Audrey Moutat, intitulés « Discours transgressifs des vins naturels » ont été publiés dans la revue des œnologues n° 266 de janvier 2018