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Face à la guerre des prix
La segmentation du lait bio est en marche !

Des marques et démarches privées mettent en avant leurs "plus" par rapport au label européen. Pour se démarquer et rester en phase avec les attentes du consommateur.

La crainte d'une crise laitière biologique se ravive à chaque signal moins favorable. La guerre des prix que se livre la grande distribution sur le lait de consommation agite les bio. La bio a changé d'échelle(1) et la grande distribution s'est emparée de ce marché. Elle développe ses marques distributeurs (MDD) et promet aux consommateurs de larges gammes en bio pas chères. De nombreux messages d'éleveurs laitiers, bio ou non, sur Twitter s'indignent de trouver dans les rayons des supermarchés du lait UHT bio vendu moins cher que du lait conventionnel ! "Même s'il s'agit d'opérations ponctuelles, c'est un mauvais signal envoyé au consommateur. On lui met dans la tête qu'il peut avoir du bio au prix du conventionnel", s'inquiète Pierre Moineau, président de Lait bio de France, une association d'OP(2). Le phénomène semble avoir encore peu d'impact sur les prix dans leur ensemble (lire p.10).

Des initiatives privées au-delà du label européen

L'essor des laits différenciés conventionnels (sans OGM, lait de pâturage...) met aussi la pression sur le bio. La crainte d'une crise de confiance du consommateur est latente. Certains acteurs tentent donc de se démarquer pour défendre la valorisation d'un cahier des charges ambitieux et des modèles d'élevage français qui ont des pratiques allant au-delà des exigences de l'eurofeuille, le label européen. Les labels privés comme Demeter, Bio cohérence ou Nature et progrès se sont encore peu développés. D'autres initiatives émergent ici et là. Elles promettent d'être locales, plus équitables avec les éleveurs, d'aller plus loin en matière de bien-être animal, de pâturage, de fourrages produits sur l'exploitation, de biodiversité... Par exemple, Ensemble solidaires (marque de Biocoop), Invitation à la ferme, C'est qui le patron, ou encore Faire Bien, le nouveau yaourt normand bio et solidaire des Prés rient bio, la filiale de Danone qui possède la marque Les2vaches. Faire Bien reverse 5 % du chiffre d’affaires de ce yaourt pour financer sept jours de remplacement annuel pour les 40 éleveurs normands livrant Les prés rient bio. Ces marques sont l'exemple type d'un mouvement qui pourrait prendre de l'ampleur : la segmentation du bio.

Les projets de Biolait et de l'OP Seine et Loire sont d'une autre ampleur par le nombre d'éleveurs que ces organisations de producteurs emmènent. Biolait gère la collecte de ses 1200 exploitations adhérents, soit environ un tiers de la collecte française de lait biologique, avec ses 250 millions de litres attendus pour 2018. L'OP Seine et Loire représente 335 adhérents sur les 600 producteurs bio livrant une laiterie privée (Danone, Lactalis, Montsûrs, Saint père, Sill, Triballat noyal), soit environ 100 millions de litres. Leur ambition est de conforter la valorisation du lait biologique sur le marché national tout en répondant aux nouvelles attentes des consommateurs sur les produits laitiers bio.

Deux initiatives d'organisations de producteurs

Chez Biolait, en 2016, les adhérents décidaient de ne plus utiliser de concentrés importés pour nourrir leur troupeau. Et en 2017, ils décidaient d'aller vers des fermes 100% bio d'ici 2022. "Aujourd'hui, nous avons des collectes séparées pour des filières en AOP : fourme de Montbrison, saint nectaire, maroilles. Ce sont de petits volumes, mais ce sont des projets qui ont du sens pour Biolait", pointe Ludovic Billard, président de Biolait. Une autre démarche se prépare, "pour un de nos clients distributeurs. Il va mettre en avant l'aspect pâturage et équitable pour sa MDD. Nous travaillons sur d'autres pistes comme le profil en acides gras ou l'aspect équitable. Faut-il aller vers du lait A2 (aux protéines plus digestes) ? Il faut mettre en musique nos atouts. On investit dans la recherche pour se tenir prêt pour de futurs lancements".

L'OP Lait bio Seine et Loire construit un projet de charte de production laitière biologique qui s'inspire de l'orientation de Biolait. "L'objectif de la charte est d'amener l'intégralité des adhérents de l'OP à s'engager dans une démarche de progrès, pour que d'ici le 1er avril 2020, tous puissent garantir : l'origine française de 100% de l'alimentation biologique des vaches laitières, hors minéraux ; une durée de pâturage de 210 jours minimum par vache présente sur l'année ; une surface pâturée au minimum de 0,2 ha par an et par vache présente sur l'année et un taux minimum de 75% d'herbe dans la SFP", détaille Ivan Sachet, animateur de l'OP. 

210 jours de pâturage minimum

Une étude menée en partenariat avec la Laiterie Saint père et réalisée par la chambre d'agriculture des Pays de la Loire est en cours. "C'est une zone pédoclimatique où l'application de la charte serait plus problématique. L'idée est d'échanger avec les éleveurs, et de voir comment les accompagner", indique Ivan Sachet. L'OP va prendre contact avec les organismes certificateurs pour voir comment certifier les élevages. La charte serait un socle commun, les laiteries pouvant aller au-delà. "Nous partageons des orientations communes avec Biolait et les autres adhérents de Lait bio de France (2), comme sur l'origine France par exemple. Mais les critères précis peuvent être différents.

Le consommateur risque d'être un peu perdu au milieu de plusieurs démarches de différenciation, comme c'est le cas en Allemagne(1). D'où l'idée de la Fnab de réactiver un vrai logo AB mieux disant par rapport à l'eurofeuille, le label européen. Ou l'idée de l'OP Seine et Loire d'une charte qui fasse socle commun de base.

(1) Lire Réussir lait n°320 de janvier 2018 p8 et n°325 de juin 2018 p8(2) Lait bio de France est l'association qui regroupe Biolait, OP Lait bio Seine et Loire, OP Lait bio Grand-Est, Association des producteurs coopérateurs de lait bio de l'Ouest
Défendre la valorisation du bio

Le modèle d'élevage performant est herbager

"Quels sont les modèles d'élevages bio qui dégagent les meilleurs revenus et sont les plus résilients (capacité à surmonter les aléas) ?", est la question que se posent l'Institut de l'élevage et l'Itab. L'agrandissement des structures, avec parfois des structures plus intensives, présente-t-elle un risque ?

L'analyse des résultats d'exploitations montre que les élevages bio dégagent en moyenne de meilleurs revenus disponibles/UMO et EBE/UMO que les conventionnels, malgré des volumes inférieurs et des systèmes plus extensifs. "Ils font la différence grâce au prix du lait (plus de 100 € d'écart) et à des systèmes très économes et efficaces." Parmi les bio, "quand on regarde ce qui distingue les plus performants économiquement, les facteurs clés sont : des structures très herbagères avec peu voire pas de maïs dans la SFP, très économes en charges opérationnelles." Or, les analyses montrent que les charges des élevages bio augmentent en lien avec des exploitations plus grandes et des objectifs de productivité plus élevés que dans le passé (lait/vache, lait/ha, lait/UMO), avec des prix plus élevés pour les intrants et services, et avec des charges de mécanisation très élevées, pas toujours cohérentes avec les pratiques. "Attention à la 'conventionnalisation' de la bio ! Le risque est de perdre en efficience économique, de devenir trop sensible au prix du lait et aux aides et  aux aléas climatiques et économiques", alertent l'Institut de l'élevage et l'Itab.

Le logo AB ressuscitera t-il ? 

Aujourd'hui, le logo AB n'apporte aucune garantie supplémentaire par rapport à l'eurofeuille, le label européen. Même pas la garantie d'une origine France ! L'Union européenne impose en effet qu'aucun label public puisse être mieux disant que l'eurofeuille. "Il y a une envie d'un certain nombre d'acteurs français de la bio d'avoir un signe officiel de qualité plus exigent que l'eurofeuille ; et d'être aussi connu du consommateur que le logo AB", pointe la Fnab. Pour faire revivre un signe AB mieux disant, il faudrait du coup le privatiser.

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