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Les effets majeurs du changement climatique vus par des apiculteurs

D’après des études de plus en plus nombreuses, nous savons que le changement climatique a des conséquences sur le fonctionnement des écosystèmes et donc sur les colonies d’abeilles mellifères. Bien connaître ces effets peut aider à la recherche de leviers d’adaptation. Résilience, réactivité et formation sont sans doute les maîtres mots pour les prochaines décennies.

En France, l’année 2022 donne, avec son exceptionnelle sécheresse et ses trois vagues de chaleur en deux mois, un aperçu mémorable des difficiles conditions à venir. Selon le Giec, avec une augmentation de 1 °C de la température (+1,1 °C aujourd’hui), la fréquence de l’apparition de phénomènes extrêmes augmente avec le changement climatique. Dans cette hypothèse et d’ici 10 ans (2030), les épisodes de pluies intenses augmenteraient peu, ceux liés aux sécheresses pourraient être multipliés par deux, et les vagues de chaleur par trois.

Une production de miel déjà affectée

Pour les colonies d’abeilles mellifères, leur faculté de résilience sera mise à rude épreuve et dépendra de nombreux autres facteurs. Selon la dernière enquête FranceAgriMer de 2021, 84 % des apiculteurs estiment que le changement climatique a déjà un impact négatif sur la production de miel. Pour Pierre Carli et ses collègues apiculteurs en Corse, le changement a eu lieu dès 2017 : « Les abeilles sont à l’image de la végétation, c’est la continuité logique de ce que l’on observe. Quand on voit le maquis qui souffre, forcément l’abeille souffre ».

Une évolution de la végétation inéluctable

D’après les projections de Météo France, dans 80 ans, l’humidité moyenne du sol pourrait correspondre aux situations sèches extrêmes d’aujourd’hui. Une des stratégies adaptatives des plantes est le changement des stades phénologiques. Notamment, selon une étude de 2003, le développement printanier serait avancé en moyenne de 2,3 jours par décennie pour près de 700 espèces au cours des quatre dernières décennies. Les forêts, de feuillus et conifères, pourraient aussi être fortement impactées par le changement climatique dans un futur proche à cause de la sécheresse, puisqu’il sera difficile d’améliorer leur confort hydrique.

Des miellées plus courtes

Chez les végétaux à floraison tardive, l’augmentation des températures au-delà des plages optimales aboutira à une diminution de leur sécrétion de nectar. Les plantes à floraison précoce pourraient être moins affectées même si de nombreuses études antérieures ont montré que ces dernières sont plus sujettes aux changements de phénologie. Ainsi, le réchauffement climatique aura probablement un effet distinct sur les populations de plantes et de pollinisateurs et sur leurs interactions au cours des différentes saisons. « Le cycle floral normal, c’est à peu près une vingtaine de jours. Cette année, j’ai constaté que ça a duré 15 ou 16 jours, pas plus. Ainsi, tout est bouleversé, les abeilles ont eu une semaine en moins pour butiner », constate Guy Bousquet, apiculteur en Corse.

Des colonies mobilisées pour la collecte d’eau

Bien que le sujet de l’alimentation en eau soit peu travaillé, une étude montre que des colonies soumises à des vagues de chaleur répétées ont augmenté le recrutement d’ouvrières destinées à collecter de l’eau, cela sans diminuer les butineuses de nectar et pollen, révélant ainsi un comportement d’adaptation, mais aussi une baisse de leur flexibilité. « D’habitude en Savoie, nous avons des conditions humides avec beaucoup de ruisseaux, explique Thibault Mercier, apiculteur dans cette région. Cette année, pour la première fois, nous avons systématisé l’installation d’abreuvoirs ou de bassins pour fournir 200 litres d’eau aux abeilles. »

Moins de chiffre d’affaires, plus de charges

Parmi les impacts du changement climatique sur les exploitations, on peut citer la fluctuation des rendements en miel et l’augmentation des charges de nourrissement liée aux périodes de disette. En Corse, depuis l’obtention de l’AOC Miel de Corse - Mele di Corsica en 1998, le nombre de ruches en production n’a cessé d’augmenter. Paradoxalement, les rendements productifs moyens, qui ont atteint jusqu’à 30 kilos par ruche en 2010, ont été divisés par trois depuis 2016. « Nous nous sommes retrouvés à nourrir nos essaims et nos colonies de production pour qu’elles survivent et produisent du miel plus tard dans l’année, chose qu’on n’aurait jamais pensé faire quand j’ai commencé à travailler avec mon père, il y a 15 ans », explique Matteo Tristani, apiculteur en Corse.

Savoir capter des miellées plus irrégulières

Les apiculteurs doivent plus que jamais montrer leurs capacités de réactivité et de résilience face aux productions incertaines. Elles engendrent des pertes de repères pour les apiculteurs et fragilisent la filière tant sur le plan technico-économique que sur le maintien d’un savoir-faire. Il paraît primordial de détenir aujourd’hui des colonies dynamiques capables de capter les miellées, sans doute plus courtes et plus intenses.

Plusieurs leviers d’adaptation ont été mis en évidence par une réflexion technique et scientifique lancée en 2021 par Interapi, Itsap et ADA France. Parmi les pistes de travail, il s’agit d’augmenter en technicité, par la formation notamment, mais aussi diversifier ses productions apicoles (pollen, propolis, gelée royale…) pour gagner en adaptabilité.

En Auvergne-Rhône-Alpes, le Gaec, dans lequel Thibault Mercier est impliqué, a investi dans un poids lourd et utilise des balances connectées, pour être plus réactif et réduire le temps de transhumance. « Si la miellée ne se déclenche pas sur un secteur alors qu’elle a démarré ailleurs, nous n’attendrons pas pour déplacer les ruches », explique-t-il. La stratégie qui consiste à augmenter le nombre de ses emplacements est aussi en réflexion. Mais la multiplication des transhumances augmente aussitôt les coûts en carburant. Tout est une question de compromis entre adaptation aux changements climatiques et diminution des émissions de carbone.

Exemples d’actions concrètes pour s’adapter

Les ADA et l’Itsap développent des outils propres pour mettre en œuvre des actions concrètes :

- Un outil d’auto-diagnostic du bilan carbone des exploitations apicoles (ADA Aura) ;

- Le réemploi des pots de miel (ADA Aura) ;

- L’étude de l’évolution des traits biologiques des fleurs attractives (volume et qualité des nectars et pollen produits) (Itsap/MNHN) ;

- L’installation d’un comité scientifique et technique apicole (CSTA) en partenariat entre le syndicat AOP Miel de Corse - Mele di Corsica et l’Office de développement agricole et rural de Corse (Odarc).

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