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Les apiculteurs face à la pression du frelon asiatique

De plus en plus d’apiculteurs subissent de nombreux dégâts causés par le frelon asiatique, dès l’automne venu. Celui-ci entraîne un affaiblissement des colonies, voire de la mortalité. Discussion avec trois d’entre eux.

« Le frelon asiatique a eu un gros impact sur mon activité d’élevage »

Témoignage d’Alexandrine Brion, apicultrice spécialisée dans l’élevage de reines dans les Alpes maritimes.

Alexandrine compte environ 250 colonies hivernées. L’hivernage et le début de la saison d’élevage et fécondation au printemps se tiennent entre Cannes et Menton, puis en fin de printemps, en montagne autour de la Bollène-Vésubie (720 m). L’apicultrice possède une production de miel secondaire réalisée avec les ruches d’élevage fortes : sur le littoral (romarin et garrigue), puis en montagne (tilleul et châtaignier). Elle ne fait pas de transhumance en vue de produire spécifiquement du miel (pas de lavande).

Quel est l’impact du frelon sur votre élevage ou colonies ?

Le frelon asiatique a eu un gros impact sur mon activité d’élevage. La pression élevée, en fin de saison, a eu pour conséquences une augmentation des pertes de cheptel de 10 à 20 % et une baisse de production de reines et d’essaims, liées à la prédation et une réduction de la période d’élevage d’un mois.

Quelles sont vos pertes liées ?

L’impact se traduit par des pertes de colonies, des pertes économiques, une augmentation du temps de travail, une réorganisation ainsi qu’un stress supplémentaire avec la crainte de perdre des souches, des reines ou des essaims hivernés.

Comment le gérez-vous ?

L’arrivée de ce prédateur a nécessité des adaptations de pratique et de matériel : passage de nuclei de fécondations Apidea à Miniplus, plus populeux et donc plus résistants ; apport supplémentaire de nourrissement, dont protéiné, pour maintenir une activité de ponte ; des transhumances plus tardives vers les ruchers d’hivernage sur le littoral davantage touchés ; la mise en place de pièges au printemps et à l’automne sans amélioration visible.

Sauf depuis cette dernière année, j’ai longtemps considéré que la profession ne prenait pas la mesure du problème, car le frelon était davantage perçu comme un problème régional. De plus, le frelon n’affecte pas que la filière apicole. Il a un impact plus global sur tous les insectes et est un problème de santé publique avec les risques de piqûres. Pour ces raisons, l’État doit prendre ses responsabilités avec des indemnités pour les apiculteurs à hauteur du préjudice et des financements pour la recherche pour réguler ce prédateur et limiter son impact.

« Quand la survie du rucher est en jeu, la seule solution est de le déplacer »

Témoignage de Ludovic Delacour, apiculteur professionnel en Mayenne

Ludovic Delacour, apiculteur professionnel en Mayenne, constate une pression accrue significativement dès 2022 sur les ruchers de taille moyenne.

Quel est l’impact du frelon sur votre élevage ou vos colonies ?

Le frelon asiatique crée du stress pour les abeilles et pour l’apiculteur. L’impact est plus ou moins fort selon les zones géographiques. Les attaques sont précoces, dès le début du mois d’août, et les colonies fortement agressées finissent en souffrance sur deux-trois cadres de couvain. Pour ces colonies, seul un très bon printemps peut les sauver.

Est-ce que la pression s’est accrue ces dernières années ?

Significative dès 2022 sur les ruchers de taille moyenne avec une forte variabilité géographique et une baisse relative en 2023.

Comment le gérez-vous ?

Quand la survie du rucher est en jeu, la seule solution est de le déplacer et de le regrouper avec d’autres ruchers. Nous mettons en place du piégeage de printemps, puis en été-automne, avec plus ou moins de succès en fonction des pièges ou des appâts. L’essai de muselières en 2022 ne nous a pas semblé concluant, et les harpes électriques sont prometteuses avec un gros risque de vols sur les ruchers isolés.

Quelles sont vos pertes liées ?

Avec les non-valeurs, j’estime à 25 % les pertes en 2022 et 15 % en 2023. Ce serait intéressant d’estimer le coût des temps engendrés (gestion des non-valeurs, piégeage, nettoyage des caisses, déplacement des ruchers) associés aux coûts d’achat de pièges, d’appâts et des modes de protection.

« Cette année, on fête les vingt ans de l’arrivée du frelon »

Témoignage d’Angela Mallaroni, apicultrice dans le Pays basque depuis 2008.

Angela passe la quasi-totalité de sa saison dans les Pyrénées-Atlantiques avec une transhumance dans les Landes et un peu en haute montagne.

Quel est l’impact du frelon sur votre élevage ou vos colonies ?

Il s’est développé très vite sur le département et, dès 2008, une pression – légère par rapport à aujourd’hui – se faisait remarquer dès la fin juillet. À partir de 2012, la pression à augmenter. Le frelon a déterminé mes choix techniques de transhumance. Puis il a fini par imposer les dates de transhumances.

Est-ce que la pression s’est accrue ces dernières années ?

En 2023, la pression a commencé dès le 20 juin, avec plus de trois frelons devant chaque ruche. C’est sur cette année que les premiers nids ont été observés même dans la forêt landaise qui était jusqu’à maintenant plutôt épargnée.

Comment le gérez-vous ?

Mes stratégies de lutte sont, dans un premier temps, d’équiper la totalité des colonies de porte anti-frelon et de transhumer lorsque c’est encore possible. Je réalise du piégeage de printemps qui commence début mars. Le piégeage d’automne n’était pas forcément réalisé, mais, en 2023, ce sont des seaux de 15 litres entiers qui se remplissaient en moins de 24 heures. Le piégeage n’était plus pour limiter la prédation, mais pour travailler. Il devenait trop difficile d’intervenir sur les ruchers.

Plus la pression est tôt dans l’année, plus c’est difficile. Elle modifie la production de miel et pertube les fécondations. Le développement des colonies se complexifie et les essaims sont fragilisés. Le temps passé pour assurer la survie des colonies est éreintant surtout après une saison.

Un collectif de lutte contre le frelon s’est construit en 1964 avec des apiculteurs professionnels et amateurs, des arboriculteurs et des citoyens. Les objectifs du collectif sont de réaliser un piégeage massif au printemps, d’assurer un repérage des nids avec le radar harmonique et de la sensibilisation avec les collectivités locales.

En Bretagne, la mortalité des colonies due au frelon asiatique inquiète

Il est complexe de pouvoir objectiver l’impact du frelon asiatique de façon reproductible d’une année à l’autre.

Une enquête a été lancée par la section apicole de GDS Bretagne en 2023 pour évaluer les mortalités de colonies potentiellement liées au frelon asiatique.

Depuis 2022, la présence du frelon en Bretagne s’est intensifiée (Fig. 1) et les apiculteurs font face à des mortalités élevées. La nécessité de chiffrer ces dégâts sur les ruches s’est rapidement imposée.

Il est nécessaire pour les apiculteurs de recenser leurs colonies

Le recensement des colonies a été demandé en juillet 2022 et avant la mise en hivernage afin d’isoler l’impact du frelon asiatique sur les mortalités pré-hivernales (une période de recensement trop longue accentue la multi-factorialité de causes de mortalité). L’apiculteur devait indiquer le nombre de ruches perdues, selon lui, à cause du frelon asiatique (ainsi que les colonies mortes de faim ou bourdonneuses) et pouvait attribuer une note de fiabilité à ce nombre de colonies perdues à cause du frelon asiatique. Afin de fiabiliser les résultats, seuls les répondants traitant contre le Varroa ont été retenus, et un coefficient arbitraire a été appliqué à ceux n’effectuant pas de suivi de Varroa par comptage. L’objectif étant d’essayer d’éviter de comptabiliser des ruches mortes par d’autres facteurs, notamment Varroa.

Près de 10 % des colonies potentiellement sont mortes à cause du frelon asiatique en 2022

Au total, 316 réponses ont été exploitées. Dans le détail, 542 colonies sur 5 520 recensées en juillet ont été « classées » mortes à cause du frelon asiatique. La mortalité pour les grands cheptels semble minime (2,4 à 6,3 %), comparée aux petits cheptels fortement touchés (11,2 à 17 %), mais les mortalités à l’échelle d’un rucher peuvent être beaucoup plus élevées. Les mortalités calculées par taille de cheptel ont été généralisées au nombre de ruches déclarées en 2022 sur toute la région Bretagne afin d’avoir une estimation de la mortalité régionale due au frelon asiatique (Fig. 2).

Une seconde enquête téléphonique a été menée par l’ADA Bretagne et la section apicole de GDS Bretagne en début d’année 2024 afin de recenser les mortalités à l’échelle des cheptels et des ruchers d’une quinzaine d’apiculteurs professionnels. Plusieurs verbatim ont été relevés, montrant le caractère local des dégâts avec des mortalités allant jusqu’à 60 % sur certains ruchers.

Des pistes d’amélioration à prévoir pour chiffrer les mortalités

Ces enquêtes restent basées sur du déclaratif et surtout sur une faible représentativité des apiculteurs professionnels. Les résultats ne sont donc pas représentatifs de toutes les situations. De plus, l’imputation d’un pourcentage de pertes de colonies à une seule cause donne des hypothèses, et non des preuves. Croiser les données de recensement de nids, de fondatrices capturées et de pressions relevées sur les ruchers serait une piste à suivre.

Rédaction Réussir

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