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L’apiculture en Espagne confrontée à la sécheresse

L'Espagne est un acteur majeur de la filière apicole européenne. Avec des races d'abeilles et des équipements historiquement différents de l'apiculture française, elle doit faire face aux effets du changement climatique, et les acteurs s'organisent pour faire face aux difficultés de commercialisation.

La côte méditerranéenne est une zone précoce, où hivernent un grand nombre de colonies. Ici, un rucher au Cap de Cros de l'exploitation Dolce Abella.
© ADA Aura

Plus grosse productrice de miel européen, l’Espagne compte plus de 6 000 exploitations professionnelles et produit habituellement entre 30 000 et 35 000 tonnes de miel par an, soit 13 % de la production européenne. C’est aussi le pays d’Europe détenant le plus de ruches : sur un total d’un peu plus de 20 millions, il en détient plus de 3 millions, dont 80 % sont gérées par des apiculteurs professionnels. Cependant, la production n’est pas homogène dans le pays, quatre régions produisant 65 % du miel national : l’Andalousie, Castille-et-León, Valence et Estrémadure. L’Espagne exporte une part importante de sa production vers la France : 6 113 tonnes en 2022 (selon FranceAgriMer). C’est le deuxième exportateur de miel vers l’Hexagone derrière l’Ukraine en 2021 et derrière la Chine en 2022 (qui a vu ses exportations vers la France bondir de 202 %). Au total, l’Espagne exporte 28 317 tonnes de miel, ce qui place le pays au huitième rang des exportateurs mondiaux.

Un vaste espace propice à l'apiculture

L’apiculture occupe une place importante en Espagne, car le pays dispose de nombreuses zones naturelles, ni habitées ni cultivées, et laissées indemnes de tout pesticide : ce sont donc des milliers d’hectares de garrigues où poussent thyms, romarins et autres fleurs sauvages. Bien que propice à la production de miel, le pays souffre beaucoup du changement climatique et notamment de l’intensité des sécheresses.
En janvier 2024, une quinzaine d’apiculteurs de l’ADA Aura ont réalisé un voyage d’étude en Espagne pour se rendre compte sur place de la dimension de l’apiculture espagnole et des pratiques mises en œuvre : direction la Catalogne et la région de Valence. Ils ont visité six exploitations et deux coopératives apicoles pour échanger autour des problématiques actuelles : commercialisation, sanitaire, ressources, changement climatique.

La conduite des colonies

Les espagnols élèvent l’abeille noire locale Apis mellifera iberiensis, probablement issue d’un croisement entre Apis mellifera mellifera venant d’Europe et Apis mellifera intermisa, l’abeille africaine. On distingue deux lignées : la lignée M au nord du pays et la lignée A au sud. C’est une abeille rustique qui module ses réserves, son volume et son couvain selon les conditions météorologiques, ce qui permet aux apiculteurs d’avoir une conduite extensive de leurs colonies. Les exploitations visitées comptent plusieurs milliers de ruches.

En Espagne, le format historique est la ruche Layens, qui doit être récoltée et extraite à même le rucher. Mais certaines exploitations sont passées en Langstroth ou Dadant, parfois sur inspiration française, surtout pour faciliter la mécanisation et l’extraction. Une rencontre a eu lieu avec de gros transhumants, souvent équipés de poids lourds (parfois plusieurs) et grues, qui peuvent profiter des miellées de tout le pays. La côte méditerranéenne est une zone précoce, où hivernent un grand nombre de colonies en profitant des miellées d’oranger, de lavande sauvage, de romarin (en zone de garrigue) voire de bruyère blanche. La miellée d’oranger est une miellée phare pour un grand nombre d’apiculteurs, qui peut même être bloquante : elle peut démarrer dès fin mars et s’étaler sur tout le mois d’avril. Ensuite, les apiculteurs visent les miellées du centre du pays : thym, châtaignier, chêne, bruyère, avant de remonter, pour certains, au nord dans les Pyrénées pour les miellées de montagne. Il s'agissait de zones historiquement moins sèches et très mellifères en fin de saison mais elles souffrent, elles aussi aujourd’hui, de la sécheresse due au manque de neige en hiver.

Une lutte difficile contre varroa

Les apiculteurs observent une diminution de la ponte en août et peuvent parfois profiter d’un blocage de ponte sur l’oranger ou d’une période hors couvain suite à la constitution des essaims, mais il n’y a pas d’arrêt de ponte naturel en hiver sous ce climat, ce qui rend difficile la lutte contre Varroa destructor. Les traitements sont principalement réalisés avec des lanières d’amitraze. Ils observent de grosses résistances et sont obligés de multiplier les passages et de sublimer, parfois, plusieurs fois dans la saison. Certains testent les lanières glycérinées d’acide oxalique et semblent en être convaincus. La conduite extensive des colonies, ainsi que les caractéristiques de l’abeille noire espagnole (peu de tenue aux cadres, agressivité…) rendent difficile la mise en place de méthodes de lutte biotechnique. Les essaims sont majoritairement constitués par division des colonies fortes avec remérage naturel. Les essaims d’élevage qu’ont réalisés les producteurs rencontrés se sont avérés peu convaincants, ce qu'ils expliquent encore une fois par les caractéristiques de leur abeille (acceptation très difficile).

Des problèmes de commercialisation

Bien que le coût du miel soit bas – autour de 4,5 €/kg pour un « toutes fleurs » et jusqu’à 7 €/kg pour le « romarin » vendu en fût lors de la visite en janvier 2024 – les apiculteurs rencontrés expriment les mêmes difficultés qu’en France actuellement pour le commercialiser. Mais ce n’est pas la première crise du miel qu’ont traversée les apiculteurs, d’où l’émergence de coopératives pour y faire face. Ils ont par exemple créé la Sociedad cooperativa apícola de España (SCAE), née il y a 43 ans à Ayora (province de Valence). Les adhérents livrent le miel à la coopérative qui s’occupe du stockage, du conditionnement (en pot, en fût, en cuve… ou en camion) et de la vente. Ainsi, la coopérative s’impose comme un acteur majeur du commerce de miel en Espagne en proposant tous types de miels, en quantité importante et avec une certaine flexibilité de conditionnement. Mais ce système ne présente pas que des avantages : le besoin de trésorerie de certains coopérateurs impose de vendre le miel quel que soit le prix du marché, alors que les exploitations ayant les « reins solides » peuvent et préfèrent attendre un prix meilleur lorsque celui-ci est bas. Le miel vendu par la SCAE est majoritairement destiné à l’export, mais la coopérative subit malheureusement la pression des acheteurs européens qui lui imposent alors indirectement d’importer du miel d’Argentine, car bien moins cher ; une solution pour revendre des mélanges de miel à prix compétitif.

 

 

 

 

 

 

Au sein des exploitations privées, la vente d’essaims représente une autre source non négligeable de revenus : beaucoup sont d’ailleurs envoyés en France.
Dans l’ensemble, les apiculteurs rencontrés lors de ce séjour semblent inquiets de l’avenir de l’apiculture espagnole du fait de l’aggravation des effets négatifs du changement climatique sur leur profession, mais aussi par la difficulté croissante de la commercialisation du miel. Ainsi, pour y faire face, les coopératives représentent une force collective pour de nombreux professionnels, alors que les grosses exploitations augmentent encore la taille de leur cheptel et leur production.

Rédaction Réussir

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