Travail saisonnier : « une véritable valeur ajoutée »
Crise sanitaire, restrictions des déplacements internationaux, dégâts de gel et perte de récolte… Le travail saisonnier est mis à rude épreuve pour la seconde année consécutive. Quelle place occupe-t-il dans l’agriculture française ? Comment peuvent s’organiser les exploitants agricoles ? Éléments de réponse avec Jérôme Volle, vice-président de la FNSEA en charge de l’emploi.
Quelle place occupe le travail saisonnier dans le secteur agricole ?
Le travail saisonnier est incontournable pour la récolte de nombreux produits frais, de qualité et de consommation de base. Nous ne pourrons jamais nous en passer. De multiples productions ne peuvent pas être récoltées avec des machines, et même là où la mécanisation de la récolte est possible, le travail manuel apporte plus de précision et d’intérêts. C’est une véritable valeur ajoutée essentielle pour l’activité et l’attractivité de certaines filières.
Quelles difficultés pose encore actuellement la situation sanitaire sur le travail saisonnier ?
Elle continue d’imposer aux employeurs toute une série d’investissements dans le but de veiller au respect des gestes barrières et à la protection des salariés. Contrairement à l’année dernière, nous maîtrisons mieux les protocoles sanitaires mais ils n’en sont pas moins très contraignants, en matière d’organisation du travail et d’accueil pour les saisonniers qui logent sur place. La peur du cas positif qui engendrerait l’isolement du personnel est toujours très présente. Une autre difficulté se présente aujourd’hui quant à la disponibilité des travailleurs locaux. Certains étudiants ont vu leurs stages ou examens reportés et ne seront malheureusement pas disponibles pour les travaux saisonniers. Nous nous attendons aussi à avoir moins de travailleurs locaux avec la réouverture des bars, restaurants et secteurs de l’hôtellerie et du tourisme. Il est également toujours très difficile de faire venir des saisonniers étrangers. Les démarches pour leur obtenir des laissez-passer n’ont pas changé par rapport à l’année dernière, mais elles demandent beaucoup d’efforts et les chefs d’exploitation se voient plus souvent obtenir un refus. Dans certains départements, les administrations n’y sont pas favorables. Il faut parfois mettre en place des convois et les prendre en charge financièrement.
Le gel d’avril a engendré d’importants dégâts sur les cultures, impactant la récolte à venir. Quelles répercussions cette situation aura sur l’activité du travail saisonnier cette année ?
Comment les employeurs peuvent-ils soutenir et fidéliser leur main-d’œuvre ?
Le gel engendrera un peu moins de besoins de main-d’œuvre saisonnière sur la récolte de fruits notamment, particulièrement en cerise et abricot. En vigne, ce manque de travail ne sera pas aussi significatif car le travail se fait souvent avec des machines à vendanger. Globalement, nous aurons toujours besoin d’eux pour la mise en culture, l’ébourgeonnage et l’entretien… Parmi les mesures exceptionnelles annoncées par le gouvernement, les salariés permanents dont le travail sera réduit par les dégâts du gel pourront bénéficier du chômage partiel. Nous travaillons aussi avec des centres de formation, Ocapiat1 et le fond d’assurance formation Vivea, pour qu’ils puissent suivre des formations dès qu’il y aura un peu moins de travaux dans le but de maintenir leurs compétences dans les exploitations, voire les améliorer. Ils n’ont souvent pas le temps ou l’occasion de se former. Pour les saisonniers, les solutions seront faites au cas par cas car aucune mesure ne distingue spécifiquement les statuts d’un salarié saisonnier d’un autre salarié, comme c’est le cas pour les intérimaires. Il est possible de leur trouver d’autres travaux que ceux qu’ils effectuent en temps normal. De nombreux exploitants ont mis en place des cultures de semis de légumes par exemple pour compenser les pertes économiques causées par le gel et ont besoin de main-d’œuvre. Nous essayons également de mettre en place des formations pratico-pratique, via des séquences vidéo et des travaux pratiques en entreprise assurés par l’exploitant lui-même, sur l’ébourgeonnage de la vigne lorsqu’elle a gelé par exemple. Il est intéressant d’optimiser cette période un peu moins active pour que les salariés et saisonniers suivent des formations certifiantes, qualifiantes ou liées à la réglementation.
Qu’est-ce que cela révèle sur les enjeux du travail saisonnier pour l’agriculture ?
Nous poussons à l’attractivité et à la connaissance des métiers agricoles de manière globale, mais nous nous rendons compte qu’il sera de plus en plus difficile de trouver des saisonniers. Cette pandémie et les restrictions des déplacements internationaux actuels nous montrent aussi que nous sommes dépendants des saisonniers étrangers et que nous pouvons manquer cruellement de main-d’œuvre très rapidement. Répondre à ces problématiques est un enjeu majeur pour l’agriculture française. Alors qu’il y a un taux de chômage élevé dans notre pays, nous devons être plus attractifs et mettre en valeur les intérêts du travail agricole, montrer que l’agriculture n’est pas qu’un secteur familial et qu’il embauche, pour séduire un public demandeur d’emploi et des étudiants.
Comment s’y prendre ?
Nous devons impulser cette dynamique, que ce soit par de la formation, de la connaissance, de la communication proactive, de la promotion… Avec les organisations syndicales au niveau national, nous avons lancé une réflexion sur les moyens qui permettraient de fidéliser les saisonniers et rendre attractive leur activité. Les organisations patronales s’organisent également, en se rapprochant d’organismes plus ou moins prescripteurs qui pourraient faire le lien entre les besoins de travail saisonnier avec leur public, tels que les centres de formation et les Crous2 qui accompagnent des étudiants rencontrant des difficultés financières. De nombreuses exploitations multiplient également les initiatives pour être plus attractives, en proposant à leurs saisonniers de cultiver un potager, de faire des heures supplémentaires pour augmenter leurs revenus, en mettant en place des primes liées au taux de ramassage…
1. Opérateur de compétences pour la coopération agricole, l’agriculture, la pêche, l’industrie agroalimentaire et les territoires.
2. Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires.