«Reprendre le contrôle de l’alimentation», mais comment ?
Dans son message adressé aux Français, le 12 mars en pleine pandémie de coronavirus, le président de la République a estimé que la délégation de notre alimentation à d’autres pays «est une folie».
«Ce que révèle cette pandémie (Ndlr : Covid-19), c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens».
Cette déclaration du président de la République devrait revenir très régulièrement dans les prochains mois dans les débats autour des politiques agricoles et alimentaires, en France et en Europe.
Certains, comme Gilles Bazin, professeur émérite à AgroParisTech et membre de l’Académie d’agriculture, rappellent que dès 1957, Charles De Gaulle et Edgard Pisani avaient fait de cet objectif l’une des priorités de la Pac. «La sécurité alimentaire était au coeur de la construction européenne, comme le montre l’article 39 du traité de Rome», explique le professeur. La politique agricole, comme la définissait cet article, avait pour but non seulement d’accroître la productivité et de maintenir des prix raisonnables et rémunérateurs, mais également «de garantir la sécurité des approvisionnements».
Réaffirmer la préférence nationale
Cette mission, les syndicats professionnels ne l’ont jamais oubliée, et les déclarations du président sur les nouvelles politiques à venir suscitent donc un fort intérêt. «Quelles seront ces dispositions ? Un budget plus important pour la Pac ? Des stocks stratégiques ? Une meilleure priorisation sur l’alimentation à la française ?», se demande ainsi Christiane Lambert, présidente de la FNSEA.
Cette sécurité alimentaire, d’aucuns avancent qu’elle passera avant tout par une préférence nationale, tout du moins locale. La loi agriculture et alimentation, en prévoyant 50 % d’approvisionnement local et de qualité, a sonné le retour de cette priorité aux produits hexagonaux en restauration collective. Mais, faute d’une réelle application, comme le dénonce Christiane Lambert, «la majorité du poulet consommé dans les cantines reste du poulet importé».
Les experts se rejoignent : pour que la France devienne autonome sur le plan alimentaire, elle doit avant tout produire ses propres protéines pour l’alimentation animale. «Si l’Amérique du Sud ou les États-Unis arrêtent les exportations de soja, nous ne pourrons plus nourrir nos bêtes», rappelle Gilles Bazin. Et le cas, souligne-t-il s’est déjà produit. En 1973, lors d’inondations dans les grandes plaines américaines, Nixon avait décrété un embargo sur le soja, qui avait conduit les éleveurs français à réduire leurs cheptels.
Sur cette urgence d’un plan protéine clair et ambitieux, les syndicats se rejoignent. Mais le calendrier n’est toujours pas dévoilé, et les modalités font encore débat.
Haro sur la friche
«Moins de terres pour faire des espaces naturels, c’est non !», s’indigne Christiane Lambert, alors que le plan biodiversité de la Commission prévoit que 10 % des exploitations devront être laissés en jachère au nom de la préservation de la biodiversité. Même si elle a peu de chance d’être effectivement retenue, pour le syndicat majoritaire, cette disposition va précisément à l’encontre de l’indépendance alimentaire de l’Europe. Sera-t-il alors possible de préserver en même temps la sécurité alimentaire et l’environnement ? Oui, répondent d’une seule voix les syndicats. Réduire les intrants, et préserver les paysages, tout en continuant de produire est envisageable, mais à condition de protéger les producteurs. Or, si le gouvernement français a déjà montré sa volonté de maintenir le budget de la Pac, la concurrence intra-européenne demeure un sujet épineux, sur lequel les possibilités, au-delà de mécanismes de préférence nationale, sont limitées.