Mont Lait : Dominique Barrau passe la main
Fin décembre, le conseil d’administration de l’association des producteurs de lait de montagne, APLM, a élu un nouveau président. L’Aveyronnais Dominique Barrau a passé le relais à Yannick Fialip, éleveur en Haute-Loire. Tous deux étaient à l’initiative de cette démarche conçue il y a 12 ans, par et pour les producteurs de lait de vache du grand Massif central. Interview croisée.
Quel regard portez-vous sur l’aventure Mont Lait ?
D. Barrau : Mine de rien ça fait déjà douze ans que l’association a été créée ! Et avant cela, nous avions déjà posé quelques jalons en sensibilisant les entreprises, les collectivités, les distributeurs,... sur le sens de notre démarche. Clairement, c’est la crise du lait de 2009 qui nous a poussés, producteurs, à prendre notre destin en main.
Aujourd’hui c’est pour moi, l’heure de prendre du recul. Je suis un agriculteur retraité et c’était le moment de passer le relais. Je resterai au conseil d’administration le temps d’un tuilage, mais Yannick Fialip s’inscrit dans la suite logique, il fut l’un des quatre membres fondateurs de l’APLM.
Y. Fialip : La crise laitière de 2009 nous a tous marqués, et en tant que jeune responsable laitier à cette époque, l’idée de créer une marque qui appartient aux producteurs et qui leur apporte une valorisation supplémentaire m’a séduit.
Notre démarche a été construite pour différencier nos produits et reprendre le pouvoir dans la valorisation ce qui veut dire comprendre les transformateurs, reprendre contact avec les consommateurs.
EGALIM avant l’heure
Comment analysez-vous le parcours de l’APLM depuis douze ans ?
D. Barrau : Notre démarche, comme toutes celles qui existent en parallèle depuis, traduisent bien le problème des producteurs de lait qui ne sont pas rémunérés à la juste valeur des efforts qu’ils fournissent, de leur engagement quotidien... Pendant trop longtemps, les entreprises n’ont pas entendu leur message, ce qui les a amenés à avoir des initiatives comme la nôtre parce qu’ils n’avaient pas de réponses ! Finalement nous avons mis en application la loi EGAlim avant l’heure ! Et notre revendication date d’avant 2010 ! C’est aussi cela le syndicalisme : on revendique, on manifeste, on fait valoir nos droits ! C’est notre rôle d’agriculteur de garder des territoires vivants et notre initiative le permet.
Que retenez-vous de l’aventure Mont Lait ?
D. Barrau : J’ai deux fiertés ! Arriver à valoriser 12 millions de litres de lait autour d’une marque commune qui appartient aux producteurs. Et réunir 400 producteurs tous très impliqués, dans les réunions et assemblées générales comme dans les animations en magasin, les fermes ouvertes... C’est dur de partir de chez soi mais ils reviennent avec la banane ! C’est cette dynamique que les grandes entreprises n’ont pas comprise !
Y. Fialip : Je suis fier de ce qu’on a fait car nous parlons en direct avec les opérateurs, transformateurs, distributeurs. Nous obtenons un retour économique positif et surtout nous redonnons de la fierté dans le métier d’éleveur laitier.
Y a-t-il eu de grandes étapes ?
D. Barrau : Bien sûr il y a d’abord eu le démarrage. Pendant les quatre premières années, nous avons doublé les volumes. Puis nous avons atteint les 6,5 millions de litres de lait. Et l’appui d’un gros opérateur, Lidl pour ne pas le citer, qui nous a accompagné dans notre marche avant. Aujourd’hui nous avons un nouveau palier à franchir au-dessus des 12 millions de litres de lait.
Notre force est aussi la diversité de notre gamme de produit : le lait de consommation mais aussi la raclette et le beurre que nous avons pu développer grâce à des entreprises du territoire, qui n’ont pas été insensibles à la volonté des producteurs d’être acteurs de leur produit et de leur valorisation.
Y. Fialip : La force de l’APLM et de Mont Lait c’est que la marque n’appartient qu’aux producteurs. Ils sont impliqués dans sa valorisation et ne sont pas cantonnés à leur seul rôle d’éleveur, producteur de lait... Ils sont investis jusque dans la commercialisation. Nous vendons un produit collectif et c’est hors de question de partager avec les autres acteurs de la filière !
Quel est votre espoir pour la suite ?
D. Barrau : L’association a la chance d’avoir un conseil d’administration très présent. Tout le monde est très assidu et il n’y a pas un sujet qu’un membre du conseil d’administration ne connaît pas ! J’ai donc toute confiance dans la suite et dans la poursuite de cette dynamique autour de Yannick. Je sais que des projets importants sont dans les cartons... (comme un fromage de montagne... a confié Yannick NDLR).
Y. Fialip : Mon objectif en reprenant le flambeau, est de faire perdurer la démarche. Nous sommes entre 1 et 2 représentants de chaque département au conseil d’administration. Nous ne nous connaissions pas mais nous partageons la même envie de faire progresser notre démarche : nous sommes tous éleveurs, en zone de montagne, en recherche de valorisation de notre lait. Nous avons créé une histoire commune autour de plus de 700 producteurs.
Ensemble nous allons continuer à travailler pour valoriser notre lait de montagne, c’est essentiel pour l’avenir de nos zones. Cette démarche redonne du sens aussi bien aux producteurs, qu’aux consommateurs en quête de naturalité, de production liée au pâturage...
Un souvenir ?
D. Barrau : C’était avec Yannick justement lors de notre première négociation avec Leclerc en 2012. Nous n’étions pas rompus aux démarches commerciales. Nous nous étions préparés mais eux étaient accompagnés de juristes : c’est là que nous avons vraiment découvert le monde de la distribution. Pour autant nos arguments ont porté puisque notre démarche les a intéressés ! L’APLM était sur de bons rails ! Trois jours après, d’autres distributeurs nous contactaient. C’est ce jour-là que tout a démarré !
Y. Fialip : Comme Dominique, les premières négociations commerciales m’ont marqué ! Certaines démarraient déjà dans l’ascenseur ! J’ai vraiment découvert l’envers du décor des négociations, un monde très dur.
Continuer de grandir
Un mot sur votre successeur ?
D. Barrau : Yannick fait partie des 4 membres fondateurs de l’APLM et de la marque Mont Lait. Son département, la Haute-Loire, comme le mien, l’Aveyron, sont des moteurs de la démarche. Mais nous sommes avant tout dans une démarche territoriale liée à l’investissement que chacun y met. L’engagement d’un responsable certes mais qui œuvre pour le compte de producteurs qui s’impliquent, c’est la clé !
Un mot sur votre prédécesseur ?
Y. Fialip : On se connaît depuis longtemps avec Dominique ! À la FNSEA, à la Copamac... Nous nous sommes découverts vraiment dans le syndicalisme économique. Sans lui, il n’aurait pas été facile de concrétiser notre démarche lait de montagne. Je le remercie vraiment pour son engagement parce que nous n’étions pas sûrs de réussir !
Et demain ?
Y. Fialip : L’enjeu est de continuer de grandir : gagner en volumes et en parts de marché ! Dans le contexte actuel d’inflation, nous résistons bien car nous ne perdons pas de volumes. Depuis 2-3 ans, nous élargissons la gamme avec la raclette, le beurre, ce qui nous a permis d’asseoir la démarche, les volumes aussi, de fidéliser nos producteurs. Je suis rassuré parce que notre démarche a du poids. Nous avons su aussi construire une équipe administrative efficace autour de Maryline Crouzet. Nos administrateurs se renouvellent, la jeune génération est pleinement investie avec plein d’idées ! L’aventure continue !