Michel Joux : « On a tenu le pays, on a produit, maintenant il nous faut des prix ! »
Président de la FRSEA Auvergne-Rhône-Alpes revient sur les trois derniers mois assez inédits que le pays vient de traverser, et appelle les pouvoirs publics à joindre les actes à la parole en musclant la loi alimentation pour qu’au moins 90 % des volumes soient rémunérés au coût de production.
Quels enseignements tirez-vous de la crise sanitaire de ces derniers mois, qui par effets dominos, a déstabilisé bien des secteurs ?
En tant qu’agriculteurs, nous avons pu poursuivre notre travail, continuer à alimenter nos concitoyens, c’est une chance par rapport à d’autres métiers. Pour autant, suite à la décision du confinement, il y a eu un vent de panique sur les filières, qui s’est ressenti sur les prix alors qu’il n’y avait pas lieu. La consommation, certes différente, était au rendez-vous. Il y a des opérateurs économiques qui ont joué le jeu en mettant en avant l’origine France et d’autres non, avec une répartition de la valeur ajoutée pas du tout à la hauteur de l’enjeu. Moralité, on a eu et on a encore des prix à la production en baisse, cela va de quelques milliers d’euros à quelques dizaines de milliers d’euros. Le monde agricole n’avait pas besoin de ça. Aujourd’hui, a priori, la crise sanitaire semble derrière nous, c’est l’un des seuls points positifs.
Cette crise a révélé, si besoin était, les failles de la loi alimentation…
Dans le comportement des consommateurs, des choses ont changé. Il y a eu une prise de conscience de l’intérêt de consommer français, reste à savoir si cela sera durable. La mise en avant de produits agricoles français dans certains cas payés au coût de production peut orienter vers des contrats commerciaux plus équilibrés. Mais, le « certains cas » doit désormais devenir la règle. C’est tout l’enjeu de la loi alimentation qui globalement va dans le bon sens, mais n’est pas assez coercitive. Si l’État ne la renforce pas, en l’assortissant de sanctions pour ceux qui ne joueraient pas la transparence, on court à la catastrophe. Actuellement, les opérateurs s’achètent une image avec quelques pour cent de leur volume. Ce que l’on réclame, c’est qu’ils se mettent autour de la table avec nous, pour bâtir des contractualisations gagnant-gagnant à livre ouvert en se basant sur un coût de production moyen, et que cela s’applique sur au moins 90 % des volumes des uns et des autres (GMS, RHF, grossistes…). Une contractualisation doit se faire sur un juste prix.
Que répondez-vous à ceux qui renvoient systématiquement à la problématique du pouvoir d’achat ?
La théorie selon laquelle mieux payer les agriculteurs créeraient de l’inflation ne tient pas. Encore une fois, tout est question de répartition de la valeur. Sans revalorisation substantielle aux producteurs, c’est la course aux volumes qui va s’imposer avec des territoires qui se désertifient au profit d’une agriculture industrialisée. D’autres pays européens ont fait ce choix, ce n’est pas à mon sens, l’orientation que souhaite la société française, ni celui que nous défendons. Dans des crises, comme celle que nous venons de vivre, la France pourrait être tributaire de pays tiers, qui pourrait nous fournir des produits selon leur bon vouloir. Le meilleur remède pour se prémunir d’un tel scénario est de conserver une agriculture durable et compétitive. Cela passe par des prix annexés sur nos coûts de production. Il est en effet illusoire d’imaginer que nous pourrons indéfiniment produire des bons produits avec des coûts de production en expansion tout en étant payés au prix mondial. Une fois l’été passé, il nous faudra des résultats. Les pouvoirs publics ne peuvent pas nous promettre à longueur de discours monts et merveilles, sans que derrière rien ne se passe.