Menace sur Bourdon : pas de solution dans la « boule de Cristal » Union
Pour pérenniser l’activité globale du Groupe, Cristal Union a décidé de mettre à l’étude le projet de fermeture du site de Bourdon. Une décision qui ne passe pas auprès des planteurs, à qui aucune solution alternative n’est aujourd’hui proposée.
La rumeur d’une fermeture de la sucrerie de Bourdon courait depuis quelques jours en Limagne, relayée par les médias et les craintes de ses 96 salariés. Le couperet est tombé le 18 avril dernier, date à laquelle le conseil d’administration de Cristal Union a décidé de « mettre à l’étude le projet de fermeture des sites de Bourdon dans le Puy-de-Dôme, de Toury dans l’Eure-et-Loir, ainsi que le projet d’arrêt partiel de l’activité de conditionnement du site d’Erstein dans le Bas-Rhin ». Le lendemain, le 19 avril, Olivier de Bohan, président de Cristal Union, faisait face à la consternation et à l’incompréhension de près de 300 planteurs de la Limagne, réunis à Ennezat.
La faute au contexte sucrier
À la question « qu’est-ce qui a conduit Cristal Union à ce projet de fermeture ? », le président de Bohan s’est expliqué en se lançant dans l’énumération des multiples contraintes qui malmènent aujourd’hui les sucriers : fin des quotas en 2017, libéralisation du marché, surproduction et stocks importants, pression des grands pays producteurs, distorsions de concurrence au niveau intracommunautaire (ndlr : avec des aides couplées accordées dans certains bassins betteraviers de l’UE), restrictions dans l’utilisation des produits phytosanitaires et absence de soutiens spécifiques de l’UE. Le tout couronné par un résultat négatif de Cristal Union en 2018, « -99M€ » selon le président. « Tous les groupes sucriers européens affichent aussi des résultats à un niveau de pertes très élevé » justifie Olivier de Bohan avant d’expliquer que pour préserver leur compétitivité et pérenniser un maximum de bassins betteraviers, ces mêmes groupes « sont contraints de rationaliser ou de réorienter leurs activités ».
Quel projet, quelle solution ?
Cristal Union se dit désormais engagée « dans une démarche légale de procédure de recherche de repreneur et de solutions alternatives ». C’est en tout cas le message porté par le président de Bohan et le président de la section de Bourdon, Gilles Berthonnèche.
« Nous souhaitons pérenniser le site de Bourdon et notre filière betteravière. On est au début du processus, nous allons dès maintenant étudier toutes les solutions possibles en lien avec notre environnement économique local et notre région pour réformer notre coopérative locale à travers un nouveau projet qui soit économiquement viable » s’est exprimé Gilles Berthonnèche « mais tout cela doit se bâtir ensemble ! ». Cristal Union se donne « jusqu’à la fin de l’été pour une étude de projets » dans lesquels « on (ndlr : Cristal Union) est prêt à y mettre de l’argent. Note volonté est de vous accompagner pour trouver des alternatives » a expliqué Olivier de Bohan.
Colère et scepticisme des planteurs
Mais la proposition sonne faux dans l’auditoire. « Vous nous jetez puis vous nous renvoyez la balle pour prendre les décisions, ça ne passe pas ! » s’est exclamé Mathieu Trillon, agriculteur producteur de betteraves. « C’est quoi votre projet ? » poursuit Sylvain Deloche, également planteur. Nous n’avons plus confiance en Cristal Union. Si aucun repreneur ne se manifeste, si aucune solution n’est trouvée, l’usine Bourdon fermera ses portes à la fin de l’année et la production disparaîtra ! »
Pour Régis Chaucheprat, président de la CGB Limagne, le syndicat betteravier, ce sont les valeurs coopératives qui sont remises en cause : « de la part d’un président de coopérative, j’aurais préféré qu’il vienne rencontrer ses 400 producteurs pour leur présenter un projet plutôt que leur annoncer une fermeture. Aujourd’hui on devrait se serrer les coudes et garder tout le monde au sein de notre coop. Et si Cristal Union est prête à mettre de l’argent sur des solutions alternatives qu’elle le mette pour continuer Bourdon et jouer la solidarité ! » Des arguments qui claquent auprès des producteurs présents à Ennezat. Marc Rougane, agriculteur à Yssac la Tourette, ancien président du GEDA du Buron, n’a pas manqué d’exprimer son amertume et son émotion, « il n’y a aucune raison aujourd’hui de sortir de la famille. Nous ne pesons que 2% dans l’économie de Cristal Union, et ce n’est pas 2% qui va déstabiliser la coopérative ! Ce sont les racines betteravières de la France qui sont détruites. Cette décision est inacceptable car elle n’est guidée par aucune raison économique valable ». De son côté, Philippe Aymard, représentant le président de Limagrain, a déploré cette décision «rude de conséquences pour notre zone » et exprimé la solidarité de la coopérative semencière envers Gilles Berthonnèche et son conseil d’administration. « Limagrain jouera son rôle dans la recherche d’alternatives mais à la hauteur de ses capacités, a-t-il indiqué, avant de rappeler que Cristal Union avait « une lourde responsabilité par rapport à la Limagne ».
Producteur dans l’Allier et conseiller régional Aura, Emmanuel Ferrand a estimé de son côté que la profession n’avait pas suffisamment défendu les quotas au moment où ils étaient menacés. « Le Conseil régional prendra sa part de responsabilité dans le projet qui sera construit. La Région travaillera sur une solution mais l’argent restera ici et n’ira pas à Cristal Union ! » a prévenu le conseiller régional.
« Toute une économie locale impactée »
Éric Alexandre, producteur en Limagne et président des Entrepreneurs des territoires (EDT) du Puy-de-Dôme est très inquiet : « une dizaine d’entreprises de travaux agricoles est concernée par la production betteravière. Plus de 90% des surface sont récoltées par les EDT dans le Puy-de-Dôme soit près de 30 emplois directs. L’arrêt de la production va fragiliser l’économie de nos entreprises, pour certains cela représente 70 % de leur chiffre d’affaires ; 70 % qu’ils ne vont pas récupérer sur d’autres productions. Les fournisseurs des EDT sont aussi impactés ; nos machines sollicitent beaucoup d’entretien, des achats de carburants … c’est toute une économie locale qui est touchée. Je souhaite que dans les prochaines semaines nous ayons un projet cohérent qui voit le jour. Pour cela, il faut que les agriculteurs aient envie de sauver leur outil de production créé par leurs anciens et qu’ils soient accompagnés par tous les acteurs locaux.»
Ils ont dit
Les réactions ont été nombreuses à l’annonce du projet de fermeture de la sucrerie de Bourdon.
- La Confédération général des planteurs de betteraves (CGB) a demandé à Cristal Union de ne laisser « aucun agriculteur sur le bord de la route », regrettant « que la coopérative ait été conduite à prendre, dès la première crise post-quota, une décision qui ampute le potentiel français de production de sucre et risque de faire disparaître en Limagne un des plus anciens bassins betteraviers français représenté par 423 planteurs et 5 000 ha ».
- Jean-Marc Boyer, sénateur du Puy-de-Dôme souligne dans un communiqué que le site de Bourdon « possède des atouts indéniables, de par sa situation géographique, son savoir-faire, sa viabilité économique ; aussi, les producteurs, les salariés, les collectivités locales, les élus de toutes sensibilités, les autorités de l’État, les ministres concernés (de l’agriculture, des finances) doivent travailler à trouver des solutions de pérennisation du site Bourdon. En tout cas, ce sera mon engagement de parlementaire au Sénat ».
- Pour le député André Chassaigne, « cette décision a été prise au mépris de l’esprit du modèle coopératif agricole et agroalimentaire, sans concertation des producteurs betteraviers coopérateurs (…). Une telle atteinte à la filière betteravière, en France comme en Limagne, appelle des réponses à la hauteur de la part des pouvoirs publics. »
- Dans un communiqué, la Région Auvergne-Rhône-Alpes indique vouloir « aider la filière selon des modalités qui restent à définir, à s’organiser à travers une aide d’urgence, un soutien à l’investissement via les Fonds européens et une aide sur la Recherche ». La Région souligne qu’elle ne laissera pas tomber la plus ancienne sucrerie de France. « Sa disparition mettrait en péril l’équilibre d’une filière qui s’étend dans le Puy-de-Dôme et l’Allier déjà impactée par les aléas et les maladies. Seule sucrerie située au Sud de la Loire et dont la moitié de la production fournit notre région, Bourdon illustre également, la production de proximité chère à Auvergne-Rhône-Alpes ».
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
LA BETTERAVE SUCRIÈRE EN DANGER !
Vendredi dernier, le président du groupe coopératif Cristal Union, Olivier de Bohan est venu annoncer aux 420 planteurs de l’Allier et du Puy-de-Dôme la décision du Conseil d’administration de mettre à l’étude le projet de fermeture du site de Bourdon, la plus ancienne sucrerie de France, mais aussi la seule au sud de la Loire.
Cette décision rappelle celle de Saint-Louis Sucre, il y a 2 mois, qui annonçait la fermeture de 2 de ses 4 usines. Si Cristal Union confirme cette fermeture, alors c’est un désastre pour la filière betterave-sucre régionale, avec des conséquences agronomiques, techniques et économiques très graves pour les exploitations betteravières. Mais aussi avec des répercussions importantes pour les autres filières. C’est aussi tout l’environnement économique qui sera frappé à travers les 300 à 350 emplois directs et indirects menacés.
La FNSEA03, les JA03 et la Chambre d’Agriculture de l’Allier soutiendront et épauleront tous les planteurs du département, mais aussi tous les projets de reprise pour le maintien de la sucrerie. Le contexte est en ce moment très compliqué, mais au côté de la CGB Limagnes, nous avons une réelle volonté de conserver cet outil industriel afin de pérenniser la culture de la betterave, qui contribue à l’équilibre entre les filières de notre territoire.
FNSEA03/JA03/CHAMBRE D’AGRICULTURE DE L’ALLIER