Le broutard français efface la concurrence sur le marché italien
Les animaux maigres issus du grand bassin allaitant français ont retrouvé toute leur place sur le marché de l’engraissement italien et ce malgré une baisse de consommation.
Il y a seulement deux ans, dans cette même salle au Sommet de l’élevage, c’était un peu la soupe à la grimace avec un horizon des plus incertains pour la filière du maigre français : la chute vertigineuse de la consommation en Italie, conjuguée à l’attractivité de débouchés plus juteux comme la méthanisation pour le maïs de la plaine du Pô, laissait alors craindre l’effritement de l’engraissement transalpin et la mise à mal des exportations de broutards français, déjà concurrencés par leurs lointains cousins polonais. Vingt-quatre mois plus tard, la donne a sensiblement changé, remettant en selle le maigre hexagonal.
Baisse de consommation : rien de fatal !
Du côté de la consommation d’abord : après avoir dévissé de près de 25 % en moins d’une décennie, la consommation globale de viande bovine se stabilise en Italie, voire même enregistre un petit rebond (environ 19 kg équivalent carcasse par habitant). « Nous espérons avoir atteint un point bas », a déclaré Fabrizio Guidetti, responsable d’Inalca (groupe Cremonini), leader du marché italien de la viande bovine, pour qui les messages positifs et répétés de la filière transalpine en matière de traçabilité, bienfaits de la viande rouge pour la santé,... ont commencé à porter leurs fruits. Rebond également, plus précoce, en Espagne (13 kg) alors que la crise produit toujours ses effets en Grèce (-15 % à 15 kg). En France, la chute a été moins brutale (-5 % en dix ans, à 24 kg) mais persistante. A contrario et plus surprenant, le niveau de consommation s’est envolé outre-Rhin avec +17 % par rapport à 2006, résultat d’un pouvoir d’achat dopé, d’une image plus « naturelle » de la viande bovine1, sans compter un « effet migrants » certain. Une demande allemande qualitative pour laquelle les produits du cheptel allaitant français sont bien calibrés, estime Mathieu Pecqueur de Culture Viande, soulignant que la baisse de consommation « n’est pas une fatalité ! »
Hégémonique en Italie
Autres phénomènes observés en Italie : une préférence nationale donnée aux viandes « made in Italy » (même si elles sont issues de broutards français engraissés...), l’attrait pour des produits élaborés et des formats piécés plus modestes (des animaux un peu plus légers, y compris désormais des femelles). Ajoutez à cela une réforme de la PAC qui a abaissé d’un mois la période de détention des bovins dans les ateliers d’engraissement pour bénéficier de la prime à l’abattage : et vous comprendrez pourquoi les ateliers transalpins ont tourné ces derniers temps à plein régime, avec un appel d’air du côté du bassin allaitant français. Avec comme conséquence heureuse pour les éleveurs tricolores : l’accroissement du nombre de têtes importées (800 000 en 2016) et la diminution parallèle des importations de viandes étrangères. « Le poids du vif français dans les importations italiennes est de plus en plus prégnant, c’est plus de 80 % », a confirmé Philippe Chotteau, responsable du service Économie de l’Institut de l’élevage. A contrario, celui des pays de l’Est et de l’Irlande, « s’est réduit comme peau de chagrin ».
« Le double jeu espagnol »
Quid du marché espagnol traditionnellement tourné vers l’importation de petits veaux ? On a assisté en 2016 à une forte reprise des flux commerciaux avec 800 000 veaux de moins de 160 kg importés et une stratégie bien arrêtée : l’engraissement de ces animaux achetés à bas prix2 pour les revendre en vif, prêts à abattre pour les clients du pourtour méditerranéen (120 000 têtes exportées en 2016, notamment sur la Libye). Ce qui ne manque pas d’interpeller Philippe Dumas, représentant de Coop de France : « La filière veau de boucherie française est très intégrée et ne met en production que ce que le marché est capable d’avaler. S’il reste des veaux laitiers en excédent, leurs seuls débouchés c’est l’Italie mais demandeuse de veaux de mères vaccinées et il y en a peu, et l’Espagne qui achète à la fois des veaux et du maïs français qui sert à les engraisser pour l’exportation. Pourquoi on ne fait pas ça en France ? Il y a une question de compétitivité et de savoir-faire mais aussi une réflexion à mener au sein de la filière française des veaux laitiers. » Emmanuel Bernard (FNB) partage le constat : « La filière espagnole – les éleveurs comme les autorités – ont une vraie stratégie de conquête. Or, qui se développe par la concurrence sur les prix ? La Pologne en viande, l’Espagne en vif. Nous Français, en restant sur des marchés qui segmentent, en communiquant sur la qualité de nos produits, on voit qu’on résiste mieux et qu’on regagne des parts de marché. »
1. Par rapport aux élevages de porcs jugés « industriels ».
2. Maxi 900 euros pour des veaux non vaccinés mais à PCR négative.