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La rémunération, seul salut pour enrayer la décapitalisation du cheptel allaitant

L'érosion du cheptel bovin français est sans précédent et s'accentue. Une situation reflet d'un déficit de rentabilité qui questionne le commerce extérieur et appelleun sursaut en urgence.

La France exporte aujourd'hui 747 000 broutards et en engraisse 586 000.
La France exporte aujourd'hui 747 000 broutards et en engraisse 586 000.
© P.O.

Depuis que le commerce a remplacé le troc, la loi de l'offre et la demande est implacable. Ce qui est rare est cher. Une vérité à laquelle n'échappe plus la filière bovine française quand bien même certains semblent encore s'accrocher à de vieilles recettes éculées. En matière d'offre donc, c'est une chute vertigineuse qui se poursuit depuis juillet 2016 : 741 000 vaches de moins dans les élevages français en six ans. Une érosion qui affecte certes le cheptel laitier (- 284 000 têtes, - 7,7 %) mais qui frappe davantage encore les élevages allaitants : - 457 000 vaches (- 11,4 %). Et qui dit moins de vaches dit moins de veaux laitiers et moins de broutards, un phénomène qui s'accentue : depuis janvier dernier, l'offre tricolore de broutards est ainsi en repli de 10 %  par rapport à la même période de 2021, selon les chiffres présentés par l'Idele (Institut de l'élevage) au Sommet de l'élevage.

Encore 860 000 vaches de moins d'ici 2030
Cette décapitalisation du cheptel allaitant tient en premier lieu aux cessations d'activité (retraites principalement) synonymes de forte contraction d'effectifs, que ne compensent ni les installations ni  les agrandissements. Des agrandissements qui restent une réalité mais dans des proportions plus
limitées : + 0,4 vache/élevage/an contre
+ 1 vache/an par le passé. Autre facteur, plus récent : les exploitations ont tendance à réduire leur cheptel avec comme objectif une recherche d'autonomie alimentaire et donc de réduction de charges. L'Idele relève en outre d'autres stratégies : le développement du produit viande par l'engraissement de femelles par exemple ou la diversification dans d'autres activités agricoles ou non (production d'énergie...).
Et le phénomène n'est pas prêt d'être enrayé si l'on croit les projections de l'Idele qui ont refroidi la salle : en prolongeant la dynamique actuelle de départs/installations en viande bovine, ce sont encore 860 000 vaches  qui vont manquer à l'appel d'ici 2030 avec une baisse inéluctable de la disponibilité de broutards français sachant qu'actuellement, il s'en produit 1,33 million/
an, dont 747 000 sont exportés, 586 000 engraissés en France. Deux scenarii sont avancés par l'Idele : le maintien de l'équilibre actuel entre ces deux débouchés. Dans cette hypothèse, ce sont "seulement" 125 000 broutards de moins qui seraient exportés. Second scénario : le même nombre de têtes seraient engraissées en 2030, dans ce cas, le flux vers l'export perdrait 219 000 broutards.
Laquelle de ces deux hypothèses s'imposera ? Trop tôt pour le dire, même si on assiste depuis l'automne 2021 à une reprise des achats de broutards pour les ateliers d'engraissement français. Une chose est sûre : quel que soit le scénario qui se dessinera in fine, il se fera aux détriments de l'un ou l'autre de ces deux débouchés.

Abatteurs : "Sécuriser nos approvisionnements"
Dès lors la question posée aux acteurs présents lors de cette table ronde (coopération, fédération nationale des commerçants en bestiaux (FFCB), abatteurs français, importateurs italiens et espagnols) est : comment inverser cette tendance et regarnir les cheptels allaitants tricolores ?
Pour Guillaume  Gauthier, de la FNB (Fédération nationale bovine), la réponse est simple : "la rémunération !", en poursuivant la revalorisation du prix du maigre et des bovins en général dans le cadre de contrats couvrant les coûts de production comme le fixe la loi Égalim 2. "Sur le JB (jeune bovin), il manque encore 0,68 EUR/kg pour y arriver", illustre-t-il. Franco Martini d'Intercarne Italia (interprofession italienne) abonde : "Il faut donner une valorisation économique plus importante à nos produits pour le maintien de nos exploitations  françaises et italiennes."
Les contrats, la FNB les juge également indispensables pour assurer la visibilité requise aux jeunes pour s'installer. Président du Club viande bovine Europe, Dominique Guineheux (groupe Bigard) en est bien conscient lui dont la priorité est de "sécuriser nos approvisionnements(1), on n'a pas le choix ! La courbe de 2030 fait peur. Les éleveurs doivent vivre de leur métier et on dit oui à la contractualisation qui est aussi synonyme de sauvegarde de nos outils". Malgré les chiffres présentés, son voisin Philippe Dumas, représentant la Coopération agricole, se veut beaucoup plus dubitatif quant à la contractualisation, rejetant toute "économie administrée". Une position qui fait bondir Guillaume Gauthier : "J'ai quand même l'impression que la filière française administre l'économie depuis 30 ans et que nos voisins italiens sont plus prêts à entendre que la recapitalisation doit passer par la rémunération des éleveurs que leurs homologues français ! Attention à ne pas continuer à administrer les prix bas..."
Hausse de prix et consommation compatibles
Du côté de la FFCB, Michel Fénéon se veut pragmatique : "Tout le monde manque de marchandise, la concurrence va donc s'exacerber et les prix à la production vont continuer à augmenter. Il va falloir répercuter ça à l'aval." Sur cette capacité à faire passer des hausses dans un contexte déjà inflationniste, les avis divergent : scepticisme chez la coopération tandis que du côté transalpin, on en est convaincu, quelques dizaines de centimes, voire un euro, de plus au kilo ne vont pas dissuader les consommateurs. "La consommation tient et ça va continuer", assure Franco Martini, comme son collègue importateur Fluvio Fortunati, tous deux appelant à une stratégie commune franco-italienne et à faire barrière aux importations de viandes extra-européennes aux exigences sociétales et environnementales bien loin des standards communautaires.


(1) Le repli des abattages de 3,5 % en France depuis le début de l'année a conduit certains abattoirs à ne fonctionner plus que quatre jours sur cinq.

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