INTERVIEW. Patrick Bénézit : « L'élevage doit être la priorité de rentrée du Gouvernement »
Une sécheresse calamiteuse, des dégâts de nuisibles récurrents, et des prix insuffisants pour absorber la spectaculaire hausse des charges. Un cocktail détonnant qui pourrait hypothéquer notre souveraineté alimentaire.
Patrick Bénézit, président de la Copamac et secrétaire général adjoint de la FNSEA tire la sonnette d'alarme concernant notre souveraineté alimentaire face aux déconvenues que subit l'agriculture française, alors que la période de sécheresse n'est pas encore terminée.
La sécheresse a encore une fois sévit sur une majeure partie des territoires, en particulier d'élevage. Alors que les premiers comités sécheresse se sont réunis, que demandez-vous aux Pouvoirs publics ?
Patrick Bénézit : « Les premières estimations de perte sont très inquiétantes (voir par ailleurs). L'accentuation de la décapitalisation du cheptel est déjà une réalité. Comme partout en France, l'ensemble du grand Massif central est touché avec des zones qui subissent le double fléau : sécheresse et rats taupiers. Face à une vague qui pourrait envoyer entre 10 et 20% du troupeau français à l'abattoir, le Gouvernement doit réagir vite en évaluant la situation de manière objective sans recourir à des cartographies approximatives. Sur la forme d'abord, les dossiers calamités doivent aboutir le plus rapidement possible, avec des avances et sur le fond, au regard de la situation exceptionnelle, certains critères doivent absolument évoluer : le seuil de perte de 13% du Chiffre d'affaires ne peut rester en l'état, tandis que le taux de prise en charge de la perte ne saurait être cantonné à 28%. L'enjeu est très clair : soit on veut sauver l'élevage, et le Gouvernement met en place rapidement un soutien conséquent, soit on s'achemine vers une perte massive de notre souveraineté alimentaire. »
La situation est d'autant plus tendue sur le terrain, que les prix payés aux producteurs sont loin de compenser les hausses de charges tous azimuts...
P.B. : « Il est grand temps en effet que toutes les dispositions des lois Ega s'appliquent dans leur intégralité. La non négociabilité de la matière première entre les industriels et la distribution a déjà porté ses fruits avec un certain nombre de hausses de prix qui sont passées, même s'il en manque encore. Aujourd'hui, la priorité est de faire respecter le premier niveau de la loi, à savoir le respect du coût de production : sur la viande, les derniers indicateurs dépassent les 6 euros pour les vaches et ont dépassé les 4 euros pour les broutards et nous sommes aux environs de 500 euros pour une tonne de lait. Des chiffres qui s'entendent évidemment en production conventionnelle, et qui ne tiennent pas compte des diverses calamités (sécheresse, campagnols...). Rappelons que ces coûts de production sont issus des indicateurs interprofessionnels validés par la loi qui s'appuient sur des éléments tangibles. Les pouvoirs publics doivent garantir la la bonne application de la loi en augmentant les contrôles, et le cas échéant les sanctions. Ce n'est pas qu'à cette condition qu'on rendra la loi opérante pour construire le prix en marche avant. »
Certains opérateurs brandissent depuis plusieurs mois déjà, l'argument de la préservation du pouvoir d'achat des consommateurs, quitte à se mettre hors de la loi Ega. En quoi cet argumentaire ne tient pas ?
P.B. : « Le pouvoir d'achat n'est plus un sujet agricole. Quand on parle de 7 à 10% d'inflation uniquement sur l'alimentation, ce qui permet de couvrir les coûts de production de tout le monde, nous sommes sur 10 à 20 euros de plus par mois par consommateur. Le moindre plein de carburant c'est 40 euros de plus. L'énergie est un sujet bien plus prégnant pour le consommateur que l'alimentation. Demain, les gens continueront de manger. Ces derniers mois, la consommation de viande a d'ailleurs augmenté. Si politiquement on ne tient pas l'élevage dans notre pays, les gens consommeront encore, mais de la viande et du lait importés au prix fort et à des qualités discutables. C'est un choix fondamental. La souveraineté alimentaire ne se décrète pas, elle se prouve par des mesures volontaristes. »
Une nouvelle loi sur la gestion des risques est en cours d'élaboration au Ministère. A l'heure où le risque est presque devenu la règle, qu'en attendez-vous ?
P.B. : « Nous attendons que les arbitrages du ministre de l'Agriculture sur la mise en oeuvre de la nouvelle loi sur la gestion des risques combinant assurances et fonds de solidarité, prévue pour 2023 soit conforme à nos spécificités. Là encore, il s'agit d'assurer notre souveraineté alimentaire et in fine de permettre à ses principaux artisans que sont les agriculteurs, de se projeter.»
La Commission européenne a proposé dernièrement d'étendre le champ d'application de la directive sur les émissions industrielles (IED), aux exploitations bovines comprenant 150 unités de gros bétail (UGB) et plus. Avec des conséquences pour l'élevage français qui pourraient être dramatiques...
P.B. : « Cette directive européenne nous inquiète. C'est clairement une mesure anti-élevage. Nous demandons au Gouvernement français de mettre un terme à ces délires européens. Nous disposons d'arguments solides pour démontrer que notre élevage est durable. Nous, éleveurs, sommes légitimes pour l'affirmer. Cette durabilité commence par une rémunération suffisante, et par la reconnaissance des aménités positives générées en termes d'agronomie, d'économie, d'environnement, d'aménagement du territoire, de préservation des écosystèmes...Les vertus de notre élevage qui respecte par nature l'environnement méritent d'être connus et reconnus. »
Propos recueillis par
Sophie Chatenet