« Il y a deux volets importants dans cette enquête : le terrain et les données satellites »
Rencontre avec Delphine Picard, chef du service « Économie agricole et développement rural » de la direction départementale des territoires de l’Allier : elle est une des chevilles ouvrières de l’instruction du dossier « calamités » auprès du ministère de l’Agriculture.
Celui qui se balade régulièrement dans l’Allier a forcément vu. Les terres bourbonnaises sont aussi brunes et jaunes que le soleil et les stocks de foin fondent comme neige au soleil. Mais pour débloquer le fonds «calamités», les images ne suffiront pas. Il va falloir convaincre avec des bilans fourragers, des photos et des témoignages.
« Le dossier d’instruction pour débloquer le fonds « calamités agricoles » comportera trois types de données, explique Delphine Picard, de la direction départementale des territoires de l’Allier. Les données satellites, le modèle ISOP (Information et suivi objectif prairies) et l’enquête de terrain. Les trois sont extrêmement importantes ».
Les données satellites travaillent essentiellement sur les couleurs. Quant aux analyses ISOP, elles sont établies par l’INRA en fonction des données climatiques et permettent de déterminer les variations de rendements de prairies entre le 1er mars et le 20 octobre : « la base de ce modèle est la même pour tout le monde : elle permet une objectivation que complètent parfaitement les enquêtes de terrain ».
L’enquête de terrain, menée par la DDT accompagnée par des élus de la chambre et des agriculteurs non touchés a permis de visiter 32 exploitations les 9 et 11 octobre dernier.
Comment les exploitations ont-elles été choisies ?
«Il fallait un échantillonnage représentatif de notre territoire. La sélection s’est donc faite en fonction des types d’exploitations (ovins ; bovins chargés à plus de 1,4 ; bovins chargés à moins de 1,4 ; laitiers ; mixte ovins-bovins) et des régions agricoles (Bocage, Sologne, Montagne Bourbonnaise, Combraille, Val d’Allier) ». Autre critère d’importance, « nous avions besoin de visiter des exploitations capables de nous fournir des bilans fourragers bien suivis. Nous n’en avons jamais assez ». Les éleveurs qui le souhaitent sont invités à transmettre leurs bilans à la chambre jeudi 19 octobre (une permanence est organisée). « Plus nous aurons de bilans étayés et diversifiés, meilleur sera le dossier. »
Sur le terrain, c’est la débrouille généralisée
En attendant de compiler toutes les données, sur le terrain, le constat est le même pour quasiment tous les éleveurs, à différentes échelles : pour nourrir les animaux pendant l’hiver, il va falloir faire preuve de beaucoup d’imagination.
« À raison de 10 à 20 kilos de foin par jour et par vache, nous avons déjà passé 450 tonnes du stock, c’est quasiment la récolte de l’année », expliquent Barbara Gutsche et Vincent Taboulot, interrogés sur leur exploitation à Chevagnes. De nature très organisés, ils ont également écoulé tout leur stock d’avance. Pour anticiper l’hiver, ils ont donc du investir et innover. Il a fallu acheter de la matière première, mais elle aussi manque sur le marché (cf. notre article ci-dessous). « Pour la première fois nous avons investi dans la paille de maïs ». À l’étable, la paille au sol a été remplacée par des copeaux de bois pour économiser les fourrages. « Nous avons testé ça avec des amis éleveurs depuis la sécheresse 2012, et on se rend compte que ça fonctionne très bien ». Côté prairie, on est au ras des pâquerettes à Chevagnes. « Nous avons semé une prairie en août, mais avec un seul épisode de pluie le 15 août, elle est à peine montée de quelques centimètres ». Eux passeront l’hiver « avec un surcoût inévitable », les cours de matières premières explosent, mais pour d’autres, « qui attendent encore de voir comment vont évoluer les choses, on se demande comment ils vont faire », s’interroge l’éleveur. « En tout cas, concluent-ils, les derniers kilos de viande vont être chers à produire ».
Ce qui va se passer
Côté calendrier, l’attente sera sans doute assez longue pour les éleveurs les plus touchés. « Nous devons rendre notre rapport d’enquête pour le 7 novembre au ministère, précise Delphine Picard. Le premier comité de pilotage se tiendra début décembre. Si indemnisation il y a, il faut être réaliste, les fonds ne seront pas débloqués avant l’année prochaine ». Prochaine étape donc début décembre.
Axeréal : « Nous faisons face à une situation inédite qui combine sécheresse et pénurie de matières premières »
Les vendeurs de matières premières sont pressés par une demande forte, alors que les récoltes de matières première sont anormalement basses.
« La situation est plus qu’inédite », confirme Patrick Goumin, responsable commercial pour le secteur « matières premières » de l’entreprise Axereal Élevage, basée à Saint-Germain-des-Fossés. « Depuis l’été, nous sommes dévalisés par les éleveurs inquiets face à ce que nous pouvons définir comme une sécheresse hors du commun ».
Hors du commun parce qu’elle dure dans le temps. D’une sécheresse d’été, on est passé à une sécheresse d’été et d’automne. « La demande en substituts de fourrages est très forte, et elle ne s’est pas encore totalement exprimée », analyse Patrick Goumin. « Beaucoup d’éleveurs attendent encore de voir comment évoluent les choses tant les trésoreries sont tendues », confirme Vincent Taboulot, éleveur à Chevagnes. Plus inquiétant encore, la pénurie de matières premières de substitution. « La ressource se tarit très vite et de l’autre côté de la chaîne, les récoltes ne sont pas à la hauteur des espérances ». Luzerne, foin, paille, la ressource présente sur le marché est faible. Dernier exemple en date, la betterave, en pleine récolte. « La pulpe de betterave peut remplacer le foin dans la ration des ruminants mais avec la sécheresse, on prévoit des baisses incroyables de rendements : entre 20 et 30 %. Face à une demande qui explose, on a rarement vu ça ».
EVA SIMONNOT
L’ALLIER AGRICOLE