Accroître la longévité des prairies temporaires
Il peut être intéressant de faire vieillir au-delà de cinq ans les prairies temporaires d’associations graminées-légumineuses. Le projet Perpet s’est penché sur la question.
Il peut être intéressant de faire vieillir au-delà de cinq ans les prairies temporaires d’associations graminées-légumineuses. Le projet Perpet s’est penché sur la question.
Les intérêts des prairies temporaires d’associations graminées-légumineuses sont multiples et ce, d’autant plus si on les fait vieillir. Base des systèmes herbagers pâturants économes dans le Grand Ouest, elles permettent aux éleveurs d’obtenir un fourrage équilibré avec des bénéfices environnementaux (lutte contre l’érosion, diminution du lessivage d’azote, stockage carbone…), économiques (amortissement des coûts d’implantation, réduction des intrants), ou encore agronomiques (flores adaptées et tissu racinaire résistant).
Conduit entre 2016 et 2020, le sous-programme Perpet (1) avait ainsi pour objectif d’améliorer la compréhension des déterminants de la pérennité des prairies temporaires d’associations graminées-légumineuses des exploitations de l’Ouest, au-delà de 5 ans. « Dans cette optique, deux approches complémentaires ont été utilisées, avec d’un côté, l’étude de parcelles dans deux observatoires, un historique (35 parcelles de plus de 12 ans enquêtées en 2015-2016 afin d’expliquer leur bonne tenue) et un dynamique (85 parcelles de 2-3 ans en 2016 et suivies pendant quatre ans de manière à comprendre pourquoi la prairie se maintient, se dégrade ou s’améliore) et, de l’autre, le suivi expérimental de quatre thématiques sur 76 parcelles à savoir, l’égrainage naturel, l’alternance fauche-pâture, le pâturage estival et le pâturage hivernal », évoque David Falaise du réseau Civam.
Les prairies vieillissent bien, sous conditions
Les premiers résultats de l’observatoire historique montrent que des prairies semées peuvent durer très longtemps et ce, dans une large gamme de contextes pédoclimatiques. Les espèces semées au départ sont généralement conservées même si d’autres s’y développent. L’observatoire dynamique montre quant à lui qu’une prairie peut rester productive en vieillissant. « Les prairies suivies dans le cadre du projet produisent en moyenne 7 TMS par hectare et par an, certaines peuvent même atteindre les 10 TMS plus de 6 ans après leur implantation. »
L’herbe peut être valorisée tout au long de l’année si les pratiques de pâturage sont adaptées aux conditions climatiques et la fertilisation (apports de matières organiques) non oubliée quand le taux de légumineuses tend à diminuer. En moyenne, cinq cycles de pâturage ont été réalisés annuellement, du 30 mars au 4 novembre, avec 4 jours par cycle. En moyenne, 50 % du rendement annuel s’effectuent au printemps. Les vaches peuvent toutefois récupérer plus d’1 TMS/ha d’herbe de qualité (155 g MAT/kg MS) en automne. Les agriculteurs suivis ont des pratiques de pâturage reposant sur deux principes, l’adaptation du temps de retour à la pousse de l’herbe (en moyenne de 35 jours au printemps) et l’atteinte de 12 à 13 centimètres de hauteur d’herbe pour rentrer dans la parcelle. « La réussite de l’implantation représente une condition sine qua none à un bon vieillissement des prairies. Il est également important d’accepter une évolution de la flore vers une diversification. »
Diversification et équilibrage entre les espèces
Au semis, la composition moyenne des prairies est d’un tiers de légumineuses pour deux tiers de graminées. Le rays-grass anglais et le trèfle blanc ont systématiquement été implantés. La fétuque élevée se retrouve dans 58 % des parcelles, la fléole et la fétuque des prés dans 25 %, le RGI et le RGH dans 18 % et le dactyle dans 8 % des parcelles.
« Après une phase précoce d’augmentation, le ray-grass anglais semble décroître tout comme le trèfle blanc, à l’inverse de la fétuque, plus lente à s’installer mais de plus en plus abondante et ce, d’autant plus en situation sèche. Sa présence ralentit également l’abondance des espèces spontanées, graminées ou dicotylédones », souligne Françoise Vertès de l’Inrae. Les autres espèces semées peu pérennes (TV, RGI-RGH) disparaissent rapidement.
Au-delà des 3-5 ans, ne subsistent donc des espèces semées que le RGA, la fétuque élevée et le trèfle blanc (+ dactyle, fléole) et des espèces spontanées qui se développent progressivement. Avec l’âge, on observe une diversification et un ‘équilibrage’entre les espèces. « La gamme de graminées prairiales permet des relais entre espèces pour une production adaptée aux conditions pédoclimatiques. Les légumineuses représentent un véritable moteur azoté de la prairie : 10 % de légumineuses en plus apportent 12 g de MAT/kg MS supplémentaires. Cet effet ‘protéine’est actif dès 20 % de légumineuses dans le couvert prairial. Dans la classification obtenue grâce à l’observatoire, les prairies les plus productives (8,9 TMS/ha en moyenne) ont en moyenne une proportion de légumineuses dans le couvert de 25 %. »
Les diverses dicotylédones sont pour la plupart des espèces spontanées à l’exception du plantain, parfois semé. Si elles sont souvent considérées comme « indésirables », avec des valeurs pastorales faibles, « ce programme a pu montrer que des prairies riches en diverses (20 %) permettaient une valorisation d’herbe supérieure à 6 TMS/ha. Il faut cependant distinguer celles qui contribuent globalement à la biodiversité et à la qualité des fourrages, de celles qui impactent la pérennité des prairies comme les rumex, les porcelles, les chardons… »
Les vieilles prairies sont robustes
« Dans les conditions de réalisation de l’étude, on a pu constater que le mode d’exploitation, à savoir le pâturage exclusif ou l’introduction d’une fauche de printemps dans une prairie pâturée le reste de l’année, n’a pas eu d’effet sur la composition floristique ou la densité de la prairie. Il n’apparaît donc pas obligatoire d’alterner fauche-pâture si on n’en a pas besoin », note Romain Dieulot du réseau Civam. Le protocole d’égrainage naturel (mise en défens et égrainage d’une zone du 15 avril au 15 août, la première année d’expérimentation) a eu un impact négatif sur le vieillissement de ces prairies d’associations. Il a contribué à accélérer la diminution du taux de légumineuses. D’après l’étude réalisée, le pâturage hivernal n’accélère pas le vieillissement des prairies d’âge. La flore et la densité du couvert n’ont pas été dégradées. « Toutefois, il faut faire attention à adapter le chargement instantané (45 UGB/ha) et/ou la durée de séjour (1,1 jour) et/ou le type d’animaux, de sortir dans des conditions météo opportunes (moins de pluie, pas de gel) et d’être vigilant quant à l’enfoncement des pieds et à la présence d’eau de surface », souligne ce dernier. Enfin, la dernière expérimentation sur la sévérité du pâturage en période estivale ne révèle aucun impact sur la flore de la prairie. Les éleveurs ont par contre été attentifs à la pression de pâturage et au temps de retour après un pâturage estival sévère (sortie à 4 cm herbomètre des parcelles).
La protéine est dans le pré
L’analyse d’une base de données de 843 valeurs de MAT, issues des parcelles impliquées dans les expérimentations, montre que les prairies de graminées-légumineuses ont en moyenne 145 g de MAT/kg de MS. Quand les prairies vieillissent, elles produisent toujours la même quantité de protéines (au moins jusqu’à 9 ans). L’herbe constitue donc une ration équilibrée qui ne nécessite pas de complémentation azotée.
Pour en savoir plus
Différents rendus sont disponibles sur les sites des partenaires du projet, à savoir 11 fiches Pourquoi/comment bien faire vieillir ses prairies temporaires, un quiz prairies avec 20 questions et 157 rendus de 4 pages de résultats fermes.
https://www.vegepolys-valley.eu/projet-sos-protein/projet-4ageprod/
Évaluer le potentiel de son système herbager
La notion d’une bonne prairie est assez subjective, fait remarquer Patrice Pierre de l’Institut de l’élevage.
« Les conceptions sont diverses et le plus souvent dictées par des considérations de productivité, de qualité floristique sans forcément faire le lien avec le rôle qu’a cette prairie dans le système fourrager. Pourtant, les fonctions fourragères permises par les prairies sont multiples », poursuit Patrice Pierre. À chacune de ces fonctions peut correspondre une physionomie de végétation apte à remplir la contribution attendue dans le système fourrager (production, qualité, saisonnalité, souplesse d’utilisation, pérennité…). Pour estimer si la prairie remplit sa fonction ou décider de son retournement, les éleveurs mobilisent différents indicateurs (la flore, le rendement, l’utilisation, la couverture).
Adéquation entre conceptions et fonctions attendues
De nombreuses fonctions fourragères sont nécessaires pour assurer une chaîne de pâturages et l’alimentation du troupeau. Une prairie, en évoluant, peut changer de fonction. On peut casser une prairie, mais on doit d’abord réfléchir au rôle qu’elle peut jouer dans le système. La bonne prairie, c’est celle qui remplit la fonction attendue et on peut faire évoluer ses attentes.
« Le diagnostic, c’est un contrôle technique consistant à vérifier l’adéquation de la fonction recherchée de cette prairie avec la flore observée. Face aux trajectoires d’évolutions des couverts, l’important est de trouver la meilleure cohérence entre la nature de la végétation et la fonction fourragère que l’on en attend dans le système. Cela conduit à des déclenchements de seuils pour rénover les prairies. »
Le saviez-vous
Le retournement des prairies de plus de 5 ans est possible sans autorisation si la baisse du ratio régional des prairies permanentes est inférieure à 2,5 %. Seules les prairies sensibles (bande enherbée de cours d’eau, zones humides, Natura 2000…) et identifiées comme telles sont interdites au retournement.