"Nous avons chiffré le surcoût des attentes sociétales en volailles de chair"
La coopérative Ciab a supporté financièrement le Gaec des Grandes Roussières pour chiffrer les attentes sociétales avec deux poulaillers neufs de 400 m², en ventilation dynamique, avec préau et parcours.
La coopérative Ciab a supporté financièrement le Gaec des Grandes Roussières pour chiffrer les attentes sociétales avec deux poulaillers neufs de 400 m², en ventilation dynamique, avec préau et parcours.
En Vendée, les dirigeants de la coopérative interdépartementale des aviculteurs du bocage (Ciab), Patrick Pageard et Éric Baldo, y pensaient depuis longtemps. Ils l’ont concrétisé en 2021.
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La Ciab a mis la main à la poche pour financer les surcoûts de la construction de deux poulaillers vraiment polyvalents au Gaec des Grandes Roussières à Chauché (Vendée). « On peut tout faire dans ce bâtiment, résume Éric Baldo, le vétérinaire responsable de l’approvisionnement du vif : du poulet label jusqu’au poulet à croissance rapide et même de la dinde, tout en respectant le cahier des charges à la lettre. »
L’objectif est d’en faire un démonstrateur technicoéconomique des impacts des attentes sociétales exprimées à travers les cahiers des charges axés sur le bien-être animal : chargement adaptable (11 à 20 poulets par mètre carré), accès libre ou pas à un préau, sortie ou pas sur un parcours, aménagements d’enrichissement du milieu sont les variables d’ajustement qui permettent de produire tous les concepts de poulet, de la dinde et de la pintade.
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Avec une dimension de 400 m², les poulaillers sont conformes au cahier des charges Label rouge que produit le Gaec des Grandes Roussières. Ils permettent aussi d’élever d’autres poulets, avec un chargement de 30 kg/m² (European chicken commitment : ECC) ou plus (certifié, standard), selon la souche et l’âge d’abattage.
L’ensemble est revenu à 484 000 euros (sans le local d’accueil et de la salle de réunion pour 40 000 euros), soit 610 euros par mètre carré d’élevage au lieu de 310 euros par mètre carré normalement. Le surcoût de 236 000 euros double quasiment l’investissement. « Nous sommes proches des coûts des poulaillers suisses ou scandinaves », remarque Éric Baldo. « Nous savions que cela nous coûterait cher, mais nous avons voulu aller jusqu’au bout pour en faire la preuve par neuf à nos acheteurs », justifie Patrick Pageard.
Un fonctionnement conforme aux attentes
Les premiers poussins sont arrivés en juillet 2021 mais en 2022 la grippe aviaire est venue bloquer les mises en place durant plusieurs mois. Des chapons, du poulet standard, certifié, Label rouge ont pu être élevés pendant l’apprentissage du fonctionnement. Ludovic Drapeau n’a pas eu de mauvaise surprise. Le fonctionnement à la pression naturelle (dépression d’environ 0.2 Pa) procure une ambiance sans vitesse d’air et d’une très grande homogénéité, quel que soit l’endroit du bâtiment. C’est sans doute lié à la très bonne étanchéité.
« Techniquement, la ventilation à dépression nulle marche bien. Toutes les volailles sont vraiment en conditions confortables, note l’éleveur, au point qu’elles ont du mal à sortir du bâtiment. Surtout les poulets à croissance rapide : « Les Ross 308 ne sortent pas dans le préau l’hiver ! » affirme Ludovic. Les poulets label auraient tendance à faire de même lorsqu’il a fait très chaud en été. « Ils se trouvent mieux au frais à l’intérieur. Et le préau est un plus par rapport au renard », ajoute-t-il.
Mais un coût de production plombé
Les premiers retours mettent en évidence un gain notable sur l’indice de consommation des poulets, notamment des certifiés. « En poulet fermier, le gain d’aliment est de 200 g par kilo vif. C’est énorme », analyse Éric Baldo, qui annonce un indice de consommation autour de 2,4-2,45. Malgré cela, avec le surcoût bâtiment les premiers chiffrages du coût de production évaluent la surenchère à au moins 10 % sortie élevage. « Le prix de revient du vif oscille entre 80 euros la tonne en standard et 230 euros la tonne en Label rouge, calcule Éric Baldo. Cette hausse n’a rien à voir avec des négociations de prix avec nos acheteurs qui oscillent entre + 5 et + 20 euros la tonne. Nous sommes hors course. »
La Ciab a bien sûr fait visiter cet élevage. « Les clients sont emballés par les conditions d’élevage, mais beaucoup moins quand on leur annonce le coût du vif. »
Pour l’instant, le curseur des prix ne bouge pas dans cette proportion, d’autant que les consommateurs ne sont pas emballés par les prix des poulets ECC proposés en vente-test par quelques GMS. Les méventes importantes ont stoppé net les ambitions de certains distributeurs.
Dans ces conditions, ces « poulets bien-être » pourraient rester des marchés de niche. « Le retour à la 'cabane en bois' pour élever la volaille est une utopie, estime Patrick Pageard. On ne fera pas gagner nos filières comme cela, d’autant que la génétique ne cesse de faire progresser les performances et que les éleveurs souhaitent de meilleures conditions de travail. Ce sont deux incontournables pour avoir des éleveurs et des salariés demain. »
Ludovic Drapeau, éleveur testeur
Proximité géographique, jeunesse, ouverture d’esprit, Ludovic Drapeau a le profil de l’éleveur expérimentateur pour conduire cet élevage hors norme et faire des retours d’expériences. Âgé de 31 ans, il a été plusieurs années technicien SAV en matériel agricole avant de s’installer dans le Gaec familial des Grandes Roussières. Cette structure comporte quatre associés, dont deux dédiés à de la volaille Label rouge élevée dans douze bâtiments. Par ailleurs, l’exploitation de 137 hectares de SAU élève des lapins (300 cages mères) et des ovins viande (370 têtes).
Ventiler à la pression normale, trappes ouvertes
Une ventilation Skov à pression constante a été choisie, compte tenu de la volonté de laisser ouvertes les trappes d’accès au préau.
L’originalité de ce système est l’absence de volets pour l’entrée d’air frais. Celui-ci est aspiré par trois cheminées, tandis que l’air vicié est expulsé par trois autres.
L’éclairage naturel est apporté par des baies (3 % de la surface) posées très haut sur un seul côté (l’autre donnant accès au préau) et ayant une casquette extérieure obturante. En sous-toiture, l’isolant foncé procure une luminosité adoucie.
Le préau grillagé latéral de 3 m de large (pour 43 m de long) a été particulièrement soigné. Il est bétonné, isolé en sous-toiture. Un rideau brise-vent a été ajouté après coup, à cause des courants d’air. Le souhait de l’éleveur de pouvoir y passer un engin pour racler et nettoyer a conduit à rehausser la charpente métallique du poulailler, de sorte que son volume intérieur est plus grand que d’ordinaire. Coté équipements, les deux bâtiments comportent un automate de pesée de l’aliment avec mélange possible des quatre silos, des pesons automatiques, le matériel d’abreuvement et d’alimentation pour poulet et dinde (troisième ligne de pipettes), la brumisation haute pression (en couronne autour de chaque cheminée d’admission), le canon à air chaud.
« Nous n’avons pas le droit de 'planter' nos éleveurs »
Être une organisation de production impose des devoirs vis-à-vis des éleveurs partenaires, à plus forte raison lorsque l’OP est une coopérative. Son directeur Patrick Pageard évoque la notion « d’espace-temps-éleveur ». « Notre coopérative accompagne sur la durée, avec l’objectif qu’un éleveur qui investit en début de carrière puisse gagner sa vie avec cet outil pendant au moins vingt-cinq ans et si possible jusqu’au bout, quitte à réinvestir pour se maintenir à niveau. Par conséquent, on ne va pas orienter nos adhérents sur un concept d’élevage, si nous n’avons pas l’assurance que celui-ci durera et surtout qu’il sera rentable. »