Maintenir la garde contre la grippe aviaire avec la triple vaccination
Mi-janvier, dix foyers de grippe aviaire avaient été déclarés en France, mais la partie n’est pas encore gagnée, estiment les vétérinaires engagés dans la stratégie de prévention, jouant la prudence.
Mi-janvier, dix foyers de grippe aviaire avaient été déclarés en France, mais la partie n’est pas encore gagnée, estiment les vétérinaires engagés dans la stratégie de prévention, jouant la prudence.
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En ce début d’année, la situation sanitaire française vis-à-vis de l’influenza aviaire hautement pathogène est nettement plus favorable que les années précédentes. Pour mémoire, 275 foyers étaient recensés au 16 janvier 2022 (depuis le 1er août 2021). Un an après, le compte était de 10 foyers, principalement en dinde (6 cas) et 3 sur des canards, dont 3 foyers dans la zone à risque de diffusion des Pays de la Loire (1 en dinde, 2 en canard).
Carte interactive des foyers d'influenza aviaire en France (Cas avifaune et foyers) et en Europe [cliquer en haut à droite pour agrandir]
Ce qui a changé c’est la vaccination des canards qui a commencé le 1er octobre. Au 8 janvier, 12,44 millions d’animaux avaient reçu la première dose et 9,05 millions la seconde. La direction générale de l’Alimentation (DGAL) n’a pas donné de chiffre de ceux ayant reçu la troisième dose. Celle-ci est obligatoire depuis le 4 décembre pour les canards mulards situés dans 118 communes à haut risque (celles des plans Adour et Vendée militaire), recommandée en zones à risque de diffusion (ZRD) et autour des sites sensibles.
Faut-il en conclure que la vaccination est à l’origine de ce bilan plutôt satisfaisant ? Aucun des vétérinaires, intervenant au webinaire organisé le 3 janvier par l’interprofession du foie gras, ne s’est risqué à l’affirmer. D’autant plus que la vague des foyers 2023-2024 s’est abattue sur l’Europe plus tardivement selon les autorités sanitaires européennes. La présence des virus est attestée dans 32 pays. Dense en palmipèdes, la Hongrie est la plus touchée avec 74 foyers au 15 janvier (sur 190 foyers européens en élevage), loin devant l’Allemagne (21 foyers).
Le webinaire cifog, suivi par près de deux cents personnes, a permis au professeur Jean-Luc Guérin de l’ENVT (École nationale vétérinaire de Toulouse) et à trois vétérinaires praticiens (Vincent Blondel, François Landais, Jocelyn Marguerie), de répondre aux interrogations sur la stratégie vaccinale.
Pourquoi la troisième vaccination a-t-elle été décidée tardivement ?
Selon Jean-Luc Guérin, « vacciner un canard est plus compliqué qu’un poulet, car la réponse immunitaire est plus complexe à mettre en œuvre avec cette espèce à durée de vie longue, comme pour la dinde. » Les données des expérimentations menées par l’Anses en 2022-2023 avec deux vaccinations étaient très satisfaisantes jusqu’à l’âge de 7 semaines et les niveaux d’anticorps laissaient penser à une protection résiduelle suffisante à 11 semaines. Or, les études complémentaires ont révélé un décrochage d’immunité qui a rapidement conduit à préconiser une troisième dose dans un contexte de challenge viral élevé.
Le dispositif de la troisième vaccination est-il optimal ?
Scientifiquement, la réponse est non. Le schéma actuel est « un compromis imparfait, selon François Landais. Le souhait de la DGAL était que tous les canards situés en ZRD soient vaccinés une troisième fois. Cela n’a pas été possible par manque de main-d’œuvre, d’où la priorité donnée aux mulards dans 118 communes. » « Il est difficile d’intégrer toutes les pratiques », complète Jean-Luc Guérin. Ainsi, il est possible d’engraisser en ZRD des canards Barbarie vaccinés deux fois. « L’essentiel est que ces cas restent limités » estime le professeur. La question de la troisième dose se pose aussi pour les canards mulards des élevages autarciques. Même s’ils ne bougent pas de l’élevage, ils pourraient diffuser du virus localement s’ils étaient infectés.
Pourra-t-on alléger le protocole vaccinal dans les mois à venir ?
Les intervenants ont reconnu que vacciner des animaux de huit semaines était difficile pour les vaccinateurs et pouvait avoir des conséquences sur les animaux (boiteries, griffures, étouffements…). Il est trop tôt pour prédire un allégement, mais tous espèrent des évolutions positives dès cette année. Les essais en station expérimentale continuent, tant du côté de la recherche publique que privée. L’objectif est d’optimiser les protocoles à deux doses (décalage de l’âge, administration au couvoir) pour se passer de la troisième injection. Ces essais seront croisés avec les retours d’expérience du terrain. François Landais souligne l’écart entre les conditions optimales de l’expérimentation et celles « sous-optimales » des élevages (qualité de l’administration, qualité de l’environnement du caneton). « Il faut bien distinguer efficacité du vaccin et efficacité de la vaccination. »
Pourquoi maintenir la mise en l’abri alors qu’on vaccine ?
Avec la vaccination une nouvelle stratégie se met en place, mais il est trop tôt pour alléger le dispositif réglementaire, estime Jean-Luc Guérin, notamment celui de la mise à l’abri. Il reste des incertitudes sur le programme de vaccination et la pression virale est bien là. La mise à l’abri, même imparfaite, apporte des éléments supplémentaires de sécurité. Les vétérinaires praticiens vont dans le même sens. François Landais rappelle que vaccination et mise à l’abri vont de pair. « La vaccination vise à empêcher la diffusion à partir de lots contaminés alors que la biosécurité générale peut limiter l’introduction virale ». Pour sa part Vincent Blondel constate un « relâchement de la biosécurité lié à un découragement général, illustré par l’apparition de pathologies (pasteurelle notamment) ». Jocelyn Marguerie a insisté « sur les mesures de biosécurité à prendre au moment des vaccinations et vis-à-vis des injections, notamment les cadences et la température du vaccin (28 °C comme optimum) ».