L'Inra de Lusignan sécurise un système très pâturant
La diversification des ressources est au coeur du système de la station de l'Inra de Lusignan, dans la Vienne. Pour résister aux aléas climatiques sur un système pâturant en toute saison !
La diversification des ressources est au coeur du système de la station de l'Inra de Lusignan, dans la Vienne. Pour résister aux aléas climatiques sur un système pâturant en toute saison !
La station expérimentale de Lusignan, dans la Vienne, est une curiosité dans une région qui compte peu de systèmes pâturants. Son objectif est de pâturer en toute saison et de diversifier les stocks. Pour avoir un système résistant aux sécheresses estivales, qui peuvent être aussi précoces ou tardives. Le tout en étant économe en intrants avec quasiment pas d'irrigation (600 m3 de réserve pour sauver des semis). " En 2018 (été et automne secs), le déficit fourrager nous a amené à vendre des vaches. Certaines innovations ne donneront des résultats que dans quelques années, mais les premiers résultats sont encourageants ", commente Sandra Novak, coordinatrice du projet Oasys de l'unité expérimentale à l'Inra de Lusignan. La performance économique du modèle devrait être évaluée cette année.
Le système de Lusignan doit être considéré dans son ensemble : des fourrages très divers pour répartir la production sur l'année ; des animaux croisés adaptés à ces ressources ; une conduite adaptée avec deux périodes de vêlages centrées sur le printemps et l'automne.
Des prairies multiespèces avec de la chicorée
Chaque année, une nouvelle prairie est semée dans chacune des trois rotations. Pour chaque prairie, la composition (espèces, variétés) diffère pour étaler la production au fil des saisons.
Il y a deux rotations de sept ans avec deux ans de cultures annuelles et cinq ans de prairie, dont les espèces sont choisies parmi le ray-grass anglais, le trèfle blanc, le dactyle, la fétuque élevée, la chicorée, le plantain, le trèfle violet, le lotier. Et une rotation de huit ans avec quatre ans de prairie de fauche (luzerne associée à du dactyle, de la fétuque élevée, du trèfle blanc, du sainfoin) et quatre ans de cultures annuelles : maïs, blé, sorgho monocoupe, méteil (triticale, avoine, pois, vesce). " Nous envisageons d'aller sur un méteil plus riche en protéagineux. "
Des annuelles pour pâturer et faire des stocks
Des cultures fourragères annuelles permettent de pâturer à différentes périodes. De décembre à mai, avec le méteil. De mars à novembre, avec un couvert chicorée et ray-grass d'Italie et un couvert RGI et trèfles. De juillet à septembre avec des couverts d'été : millet, moha et sorgho multicoupe, associés à diverses légumineuses : trèfles d'Alexandrie, de Micheli, vésiculé, incarnat. De septembre à décembre avec du colza et du radis fourragers : " en 2018, nous avons testé le chou, mais la sécheresse automnale a compliqué le semis et des insectes ont attaqué la levée. Du coup, nous n'avons pas pu compter sur cette ressource ". De novembre à janvier avec de la betterave fourragère.
Des cultures annuelles sont menées à double fin : du sorgho monocoupe associé à des légumineuses et du méteil. La ferme a testé il y a quelques années le pâturage de blé en automne-hiver, avant le stade épi 1 cm. " Cela pénalise un peu le rendement en grain. Donc c'est plutôt une roue de secours. "
Les stocks sur pied pour passer les sécheresses
L'objectif de Lusignan est que le pâturage représente 100 % de l'alimentation des vaches laitières au printemps, 50 % en été, 50 % en automne et 25 % en hiver. Au printemps, l'objectif n'est pas atteint : 67 à 88 % selon les années (2013 à 2018). Un déprimage plus précoce - dès février - des prairies est une voie d'amélioration. En été, l'objectif est dépassé avec 60 à 83 % de pâturage dans l'alimentation. " Les sols limoneux argileux à bonne réserve utile et la surface importante permettent d'assurer le pâturage d'été, et de réaliser des stocks sur pied. On débraye des prairies de pâturage pour faire les stocks sur pied. Il faut une prairie riche en légumineuses pour que la valeur alimentaire reste bonne. Sinon, la chicorée performe. Et dans les prairies, la fétuque élevée, le dactyle et le plantain poussent bien en été. "
L'automne (13 à 64 % de pâturage dans l'alimentation) est problématique quand il est trop sec, comme en 2018. " Ce fut difficile de pâturer et certains semis n'ont pas fonctionné. " À l'avenir, les arbres pourront aider à passer ce cap. " Une piste est de faire aussi des stocks sur pieds sur cette période. Mais cela implique de faire moins pâturer l'été. "
Le pâturage d'hiver n'est pas évident (2 à 19 % de l'alimentation). " Nous sommes limités par la portance des sols, même avec des vaches croisées plus légères, et même en mettant les couverts hivernaux sur les parcelles les plus portantes. Les prédictions indiquent que les pluies seront peut-être plus intenses à l'avenir en basse saison, ce qui n'arrangera pas les choses. " Les ressources pâturables en hiver sont la betterave fourragère, le colza ou le radis fourrager, le méteil.
Les arbres fourniront du fourrage à partir de 2021
Des arbres - aulne de Corse, frêne, mûrier blanc, orme Lutèce - ont été plantés en 2014 sur trois hectares de prairies (d'autres essences ont été plantées plus tard dans d'autres parcelles). L'hiver dernier, ils ont été taillés en têtard. Pour assurer la pérennité des arbres en système pâturant, il faut favoriser un enracinement des arbres. Cette taille met les feuilles au niveau des animaux pour faciliter leur consommation et permet d'augmenter la biomasse foliaire. " On ne pourra les faire manger aux vaches qu'à partir de l'été 2021 ", indique Sandra Novak. Cette ressource fourragère pourra aider à passer un été-automne très chaud et sec. En valeur alimentaire et appétence, les espèces les plus prometteuses semblent être le mûrier blanc et le frêne. Les haies et arbres peuvent aussi abriter les animaux, créer un microclimat pour l'herbe et améliorer la fertilité du sol. " Les arbres sont encore trop jeunes pour voir leur effet sur la production d'herbe et sur le bien être des vaches. "
Chiffres clés
Réactions d'éleveurs...
Les éleveurs du groupe Climalait de Saintonge (ouest de la Charente-Maritime) actionnent déjà certains leviers et sont plus dubitatifs sur d'autres.
Les éleveurs font déjà de la luzerne en mélange pour les prairies de fauche ou incorporent de la chicorée dans les systèmes herbagers. Certains se sont mis à faire de la betterave, mais pas à pâturer. Pour le reste, sachant que deux tiers des élevages ne pâturent pas, ils sont assez réservés. Pour développer le pâturage, il faudrait révolutionner les systèmes pour tout faire bouger en même temps : le système de culture, le troupeau et la conduite d'élevage.
Les éleveurs ont des réticences à investir pour pâturer à deux périodes centrées sur le printemps et l'automne. La portance des sols en début d'année peut être limitante. Pour le report sur pied, ils craignent que la hausse des températures conduise à encore plus de pertes de qualité de biomasse. Ils doutent aussi de la capacité de l'herbe à repartir à l'automne, avec plusieurs années à automne sec.
L'agroforesterie les laisse dubitatifs : "j'ai des arbres dans ma prairie, et en été l'herbe a bien plus de mal à pousser autour des arbres ". Ou encore : " les vaches font vraiment du lait en broutant les arbres ? "
Les implantations d'été sont très risquées sans irrigation. Le chou ou le colza fourrager est envisagé par ceux qui peuvent trouver du matériel adapté, pour une distribution en vert, en cas de problème de stock.