SUR LE RENOUVELLEMENT DES ELEVEURS
Yves de la Fouchardière : « La nouvelle génération aspire à autre chose que celle que j’ai connue. On ne peut plus engager des éleveurs seulement par la confiance, en leur promettant de gagner plus après avoir amorti. Leur considération passe par leur rémunération.
Or, quand j’ai commencé à Loué, il fallait sept ans pour payer un poulailler. Maintenant c’est douze à quinze ans pour aucun avantage supplémentaire. Sept ans, c’est la durée moyenne de l’amortissement d’un investissement dans le commerce et dans l’industrie. Dans une certaine mesure, le maillon élevage s’est paupérisé.
Ce n’est pas ça qui va permettre de motiver des jeunes pour renouveler les partants. S’ajoute l’incertitude de l’avenir. Pourquoi prendre le risque de se serrer la ceinture pendant quinze ans, si on n’a pas de visibilité ?
En volailles label, le recul du marché et les constructions aidées (type PCAE) font qu’on ne manquera pas de poulaillers. Cela va être beaucoup plus compliqué en volailles standard.
Je suis convaincu que l’exploitation avicole idéale ne doit pas être qu’avicole. La spécialisation intégrale est beaucoup trop dangereuse. En Label rouge, le modèle avec deux ou trois productions me paraît être le plus résilient et le plus transmissible. Je suis dubitatif sur l’exploitation sociétaire devenant énorme. Il n’y aura pas qu’un seul modèle agricole, mais je me passerais bien des mégafermes détenues par des investisseurs non-agriculteurs ».
SUR LE MARCHE DES VOLAILLES LABEL ROUGE
Y. D. L. F. : « Bonne nouvelle, presque tout le monde gagne de l’argent avec la filière Label rouge, même quand il y a des promotions : les abatteurs, la grande distribution et l’État avec la TVA perçue. D’ailleurs, l’État devrait investir dans la communication sur le Label rouge. Rien qu’en volailles, chaque année il récupère 30 millions d’euros de surplus de TVA par rapport à de la volaille standard. Communiquer est plus important que distribuer des aides à la production, via les PCAE.
Mauvaise nouvelle, le marché label est en recul régulier, ce qui se soldera au final par une concentration de l’offre sur des bassins de production. Cela se fera par la force des choses. En attendant, les acteurs espèrent ne pas être le prochain sortant et résistent silencieusement. L’issue fatale, c’est l’arrêt d’activité d’abattoirs devenus trop déficitaires. Nous l’avons connu dans la dinde et le canard gras y est déjà confronté.
Un autre paramètre pourra influencer la donne. Que va-t-il réellement se passer en 2026 avec le développement (ou pas) du poulet sous cahier des charges ECC (European Chicken Commitment) . Les distributeurs GMS et de la restauration vont-ils respecter leurs engagements, sachant que cela signifie 25 % de hausse du coût ? Si c’est le cas, le poulet Label rouge peut revenir dans le match du prix. Le Label rouge sera bien positionné si le poulet ECC trouve sa place en France ».
Le débouché du Label rouge, c’est d’abord de la pièce entière. La découpe est certes passée de 10 % à 30 % des volumes pendant ma carrière aux Fermiers de Loué, mais elle revient aux environs de 25 %. La clé du marché du Label rouge reste l’entier parce que c’est bon et parce que c’est économique. Il faut rendre le poulet Label rouge encore plus désirable. La volaille Label rouge a encore un immense avenir car elle correspond à ce que veut la société : un produit frais, local, et sortant à l’extérieur ».
SUR LA SITUATION DE L'ACCOUVAGE FRANCAIS
Y. D. L. F. : « Aujourd’hui, le nombre de couvoirs de poussins Label rouge est tombé à 11, dont 4 sont intégrés et fournissent plus de 60 % des volumes. La crise de ce maillon touche toutes les espèces, certaines plus que d’autres (dinde, pintade). Elle ne date pas d’hier, mais elle se déroule dans un silence assourdissant et dans un climat d’indifférence malsain.
A-t-on conscience de ce que nous devons aux accouveurs et de ce que nous leur demandons ? Ils doivent anticiper les besoins du marché et des clients, sans aucun engagement. Ils engagent des fonds considérables qui ne sont amortissables que dix-huit mois plus tard, si le marché est au rendez-vous et si ce prix couvre les charges. Un couvoir n’est rentable que s’il valorise au moins 95 % des œufs à couver, et personne ne se soucie des œufs à couver excédentaires. Est-ce que ce modèle peut tenir durablement ?
Les accouveurs doivent aussi maîtriser l’élevage et la reproduction, gérer les aléas sanitaires, maîtriser l’incubation, assurer le service après-vente. La moindre mortalité fait l’objet de contestations et de négociations. Au final, la plupart des couvoirs ont des problèmes de rentabilité, et pour certains très graves.
Nous sommes arrivés au bout d’une logique où la filière leur laisse prendre en charge toutes les initiatives de prévisions et tout le financement, tant que leurs banquiers les soutiennent.
Tout se complique avec des marchés en recul. Le cas de la pintade devient emblématique avec une demande de plus en plus saisonnière. À ce rythme, les pintadeaux vont devenir rares et chers, sans parler de possibles difficultés pour l’unique sélectionneur.
L’accouveur ne peut plus être le seul à prendre la responsabilité financière de la production à venir. Il est nécessaire que l’aval s’engage avec des engagements fermes. S’il ne le fait pas, on constatera tôt ou tard des pénuries d’oisillons. »
Le parcours d’un homme pressé
Yves de la Fouchardière a exercé quarante-deux années dans le monde de la volaille. À 20 ans, BTS en poche, il entre en aviculture par la porte de la génétique, d’abord deux années au sein de la société Caille des Vosges, puis durant douze ans (1984-1996) à la direction de la Sasso, sélectionneur de volailles fermières colorées à croissance lente. À 34 ans, il est devenu directeur de la coopérative des Fermiers de Loué et de ses entités (accouvage, fabrication d’aliments). Une aventure de 28 ans.