Sélection et accouvage de palmipèdes
Le groupe Orvia animé par la conquête
Né de rien le 1 juillet 1976, le Couvoir de la Seigneurtière devenu le groupe Orvia pèse aujourd’hui 90 millions d’euros en accouvage multi-espèce et en sélection de palmipèdes.
Né de rien le 1 juillet 1976, le Couvoir de la Seigneurtière devenu le groupe Orvia pèse aujourd’hui 90 millions d’euros en accouvage multi-espèce et en sélection de palmipèdes.
Benoît Gourmaud se souvient qu’avant de produire les premiers canetons Barbarie, lui et ses frères ont aidé leur père Bernard à débroussailler un site agroalimentaire à l’abandon. Directeur d’un couvoir à Saint-Hilaire-de-Loulay (Vendée), mis en faillite par le propriétaire, Bernard avait décidé de se lancer dans la production de canetons. Aujourd’hui, fort de 550 collaborateurs et d’un chiffre d’affaires qui devrait atteindre 90 millions cette année, le groupe Orvia fournit 80 % de la génétique mondiale en mulard, 18 % des GP Pékin en Chine, au moins la moitié des 39 millions de canetons mulards français et 40 % des 31 millions de canards Barbarie élevés en France. Auxquels s’ajoutent quelques dizaines de millions de poussins de chair.
L’esprit familial, une valeur fondatrice
Comment la famille Gourmaud en est-elle arrivée là ? Le fils aîné Benoît, engagé en 1984 et qui a pris les commandes en 1998, souligne que la force vitale du groupe repose sur un socle de valeurs fondé sur la famille- « la première motivation pour entreprendre »- et sur la relation humaine au sein de l’entreprise. Un autre pilier, c’est la volonté farouche d’indépendance financière, « y compris en Chine. » Pour s’y tenir, il a fallu mener une gestion prudente qui a permis d’asseoir progressivement les bases financières. Par rapport à son père « créateur », Benoît Gourmaud se définit comme un « développeur ». Il précise sa règle de conduite : « Ne pas dépasser 12 % de croissance annuelle, pour avoir suffisamment de capacité d’autofinancement. » Au-delà, il aurait fallu s’endetter, faire appel à des fonds extérieurs, faire entrer les investisseurs au capital. Ce qui aurait forcément modifié la façon de conduire l’entreprise. Tôt ou tard, les intérêts des actionnaires et des dirigeants opérationnels s’affrontent. Orvia se place dans une logique de production plutôt que dans un raisonnement purement financier.
Diversifier les métiers et renforcer le socle
La vie de l’entreprise s’est déroulée en trois grandes périodes : celle du démarrage jusqu’en 1983 ; celle de la consolidation jusqu’au milieu des années 2000 et celle de l’essor à partir de 2008. Trois périodes qui correspondent au triptyque du modèle économique : produire et vendre des oiseaux d’un jour avec une diversité de produits (canetons, oisons, poussins, d’autres éventuellement) et de sites en visant la proximité avec le client ; faire de la sélection pour apporter de la valeur ajoutée grâce à l’accouvage qui sécurise un budget et des volumes ; enfin rechercher l’ouverture vers des marchés et des cultures différentes pour être en capacité d’évoluer dans un contexte changeant. L’année 1983 a marqué une rupture avec le démarrage d’une sélection en canard Barbarie. « Nous avons commencé avec l’aide de Gerhard Lorenz, alors généticien chez Tétra », souligne Bernard Gourmaud. Puis, Gourmaud Sélection a développé ses propres ressources avec le Sysaaf, une structure de R & D en génétique liée à l’Inra. Cette diversification a permis de ne pas péricliter ou de disparaître comme tant d’autres. Jusqu’en 2007, l’entreprise ne va pas évoluer spectaculairement, rachetant seulement France Canard en 1990. « On ne grandissait pas. On se concentrait sur nos métiers. On réinvestissait tous les résultats pour garder notre indépendance et pour avoir les moyens de grandir plus tard », commente Benoît Gourmaud.
Développements français et internationaux
L’accélération a été impulsée au milieu des années 2000, simultanément sur deux fronts et « sans que l’un nuise à l’autre. » À l’international, Orvia teste les marchés des pays de l’Est et de la Chine en investissant au minimum, via des participations minoritaires. « Cela nous a permis de mieux comprendre les cultures et de créer des têtes de pont pour atteindre d’autres cibles dans des pays voisins. » Ces tentatives se sont concrétisées en 2012 par l’acquisition d’un couvoir en Hongrie pour développer l’oie et le mulard et par la création en Chine d’une structure produisant des grands parentaux (GP) Pékin. Le marché chinois est de l’ordre de 12 millions de parentales (PS) et de trois milliards de canards commerciaux. « En investissant six millions d’euros, notre ambition était de fournir 30 % des GP chinois. Nous sommes déjà parvenus à 18 %. Il ne faut pas forcer ce marché, mais y aller à petits pas en faisant la preuve par le produit et non par un marketing agressif. » Aujourd’hui réalisé dans plus de 40 pays, le débouché international représente 25 % du chiffre d’affaires. L’autre axe de développement a été la France par croissance interne et externe (rachats de la Sepalm, Couvoir Blanchard, Couvoir de Saint-Hilaire-de-Loulay, couvoir Anjou Accouvage, SAS Bréhéret). « Notre objectif prioritaire vise le Pékin chair et l’export tout en conservant nos bases dans l’accouvage, notre cœur de métier. »
Garder toujours une longueur d’avance
Un sélectionneur doit anticiper les évolutions pour être capable de répondre au bon moment avec les produits adéquats. « Aujourd’hui, il faut faire de l’économie avec autre chose que des coûts de production, avec des enjeux sociétaux comme le bien-être animal, la durabilité et l’environnement. » Sur ce point, le travail réalisé sur l’économie des ressources alimentaires et les rejets est probant. Concernant le bien-être animal, Orvia se prépare à toute éventualité. Le sexage des œufs embryonnés est travaillé depuis plus de 5 ans avec un important budget. Les conditions d’élevage sujettes à polémique (débecquage, caillebotis) trouveront peut-être des alternatives techniques, mais les généticiens cherchent à adapter les souches et ils modifient leur technique d’élevage (nid automatique en groupe remplaçant la cage). « Tous ces changements créeront d’autres opportunités qu’il faudra savoir saisir. Il faudra aussi faire preuve de pédagogie, occuper l’espace médiatique avec un discours cohérent », conclut Benoit Gourmaud.
L’Influenza redessine la carte génétique
La précédente crise d’influenza hautement pathogène avait été durement ressentie par Orvia. En 2006, la fermeture des marchés internationaux s’était concrétisée par une baisse du chiffre d’affaires de 20 %. Bien que cette seconde crise soit plus forte (près de 80 cas), Benoît Gourmaud estime que l’impact ne devrait être que de 5 % sur le groupe, même si l’incidence est forte en mulard (moins 50 % pour le couvoir Blanchard). L’activité réalisée à partir de l’étranger atténue l’impact de l’embargo. L’influenza a aussi été une opportunité avec le rachat des actifs français de la SAS Bréhéret, devenue Orvia Couvoir de la Mésangère. Celui-ci renforce Orvia en Europe de l’Est à travers l’accord de fourniture de génétique pour les couvoirs bulgare et hongrois de Denis Bréhéret.
Pour commercialiser la génétique au niveau international, maîtriser le risque sanitaire impose la diversité géographique des sites de sélection et de production. Orvia se réorganise donc pour anticiper une persistance de l’influenza HP en France et l’incertitude sur les possibilités d’exportations. La génétique oie présente en France est en cours de transfert en Hongrie qui devient aussi une réserve de lignées Pékin. « Plutôt que de vendre notre génétique sous forme d’animaux, nous allons expédier des œufs à couver », annonce Benoît Gourmaud. « Cela nous donnera plus de souplesse pour nous adapter aux évolutions sanitaires. »
Une spécialisation génétique gagnante
Depuis 1983, Gourmaud Sélection s’est spécialisé dans la sélection génétique des palmipèdes et a acquis de ce fait une forte expertise. Pour son directeur Bernard Alletru, recruté en 1984 pour lancer le programme de recherche sur le canard de Barbarie « il faut au moins dix ans pour parvenir à fournir des produits répondant aux attentes. » Après le Barbarie, la sélection de l’oie a démarré en 1989, celle du mulard en 1995 et celle du Pékin de chair depuis 2000. Chaque production requiert des souches spécifiques, tant les objectifs diffèrent. Ainsi, le comportement alimentaire d’un mulard et d’un canard chair varie d’un extrême à l’autre. Ces différences ont été quantifiées depuis dix ans grâce à la station IC d’une capacité de 3500 sujets (en 19 modules). Elle permet de mesurer la consommation individuelle de sujets élevés en groupe. Muni d’un identifiant (puce RFID), chaque candidat de lignées Pékin et Barbarie est évalué pendant sa croissance (indice de consommation, nombre de repas, temps de consommation). « Avec cet outil, l’héritabilité sur l’indice est passée de 0,15-0,18 à 0,3-0,4. Le progrès génétique s’est accéléré. Nous avons gagné 30 à 50 g d’aliment par génération. »