Le démarrage précoce des poussins en débat
Des innovations technologiques permettent de nourrir les poussins dès leur éclosion. Leur mise en œuvre à grande échelle dépend de considérations sociétales autant que technico-économiques.
Des innovations technologiques permettent de nourrir les poussins dès leur éclosion. Leur mise en œuvre à grande échelle dépend de considérations sociétales autant que technico-économiques.
Ces trois dernières années, nos colonnes se sont fait l’écho de technologies innovantes touchant à l’éclosion des poussins et à leur démarrage précoce au couvoir ou à la ferme (1). Elles vont plus loin que les solutions nutritives gélifiées ajoutées depuis longtemps dans les caisses de livraison des poussins, notamment pour les voyages aériens. Ces dispositifs ont vocation à permettre au poussin de mieux poursuivre son développement et de le rendre plus vite robuste, de réduire la médication antibiotique, ainsi que les manipulations et le stress de l’éclosoir jusqu’à l’élevage. Les arguments des entreprises BHV2 et HatchTech ayant innové dans cette voie, et ceux du fabricant Petersime ont été exposés au début du mois d’octobre lors de l’assemblée générale du syndicat des accouveurs français (SNA).
(1) Voir "Du nouveau dans l’incubation" (dossier du n° 211 novembre 2015) et "L’éclosion à la ferme débarque dans le Nord" (n° 227 juin 2018 p. 22).
HatchCare bichonne le poussin au couvoir
Le Néerlandais HatchTech propose l’éclosoir HatchCare depuis 2014. Une fois mirés, les œufs sont placés sur des plateaux posés sur des paniers. Les poussins éclos tombent dans le panier où se trouve de l’aliment (mangeoires sur deux côtés), de sorte qu’il n’y a pas de contact direct avec les coquilles et les poussins disposent de 40 % de place en plus. Ils ont également accès à de l’eau circulant dans des gouttières placées dans les parois de l’éclosoir. Les chariots sont directement chargés dans le camion de livraison sans nécessiter de manipulation supplémentaire, mais les poussins ne peuvent pas être sexés. Selon Patrick Manen de HatchTech, le poussin gagne du poids au lieu d’en perdre, essentiellement sous forme d’eau (13 à 15 g d’eau et 3 à 4 g d’aliment consommés en 36 heures). Or habituellement « un poussin perd en moyenne 6,4 % de son poids entre le pic d’éclosion et la sortie de l’éclosoir ». Dans le HatchCare, il utilise son jaune résiduel directement pour développer ses organes digestifs et immunitaires (bourse de Fabricius). Une installation va être réalisée aux Couvoirs de l’Est (200 000 poussins par semaine) dans le cadre de la construction d’un nouveau couvoir. « Ce choix a été dicté par un souci d’amélioration du bien-être animal, explique son dirigeant Jo Scherbeck. Le démarrage précoce est une tendance forte en Allemagne et au Benelux. Ces marchés représentent un débouché important pour notre principal client abattoir alsacien. »
NestBorn fait naître sous surveillance à la ferme
Avec l’éclosion à la ferme NestBorn lancée cette année, le service R & D du groupe d’accouvage belge BHV2 a fait le choix d’un système flexible et sans investissement pour l’éleveur. Il utilise un robot qui dépose les œufs prêts à éclore (50 000 œufs en une heure) sur un lit de copeaux maintenu à 28 °C (33-35 °C en ambiance). Livrés le lundi après-midi, tous les poussins ont éclos le jeudi matin. Selon la technique de mirage (laser ou lumière) le taux de non éclos varie de 1 à 3 %. L’éclosion est suivie à distance grâce à des capteurs de température de coquille connectés. « On supprime le stress et le risque sanitaire du couvoir, précise Erik Hoeven, le responsable R & D. La fenêtre d’éclosion devient moins importante à maîtriser, car chaque poussin naît à son rythme. Le poussin va commencer par se nourrir. L’eau est distribuée ensuite. » La technique a été validée sur 20 millions de poussins pendant deux ans et demi. Les plus de ce système sont un poids de 5 à 7 % supérieur à sept jours, une mortalité réduite surtout au démarrage (environ 0,5 % en valeur absolue), moins de pododermatites (-50 %) et moins d’usage d’antibiotiques (-30 à 40 %). Les moins sont un allongement du temps d’occupation du bâtiment, la gestion fine de la température (tous les bâtiments ne conviennent pas), le ramassage des non éclos.
Petersime privilégie la fenêtre d’éclosion
Leader des équipements d’incubation et d’éclosion, le Belge Petersime ne propose pas de système d’alimentation précoce. Son responsable R & D, Eduardo Romanini, s’en explique en rappelant les particularités physiologiques des oiseaux domestiques précoces (poule, dinde, canard…). À l’éclosion, leurs poussins peuvent se déplacer, boire et manger, contrairement à ceux des espèces nidicoles (oiseaux chanteurs), tout comme le pigeonneau qui dépend de ses parents. Leurs œufs ont aussi un jaune plus important qui sert de réserve nutritionnelle pendant 3 à 5 jours. De plus, Petersime a collaboré avec l’université d’Ankara pour évaluer l’alimentation précoce. Sur du poulet Ross 308 de trente-cinq jours, il est constaté un supplément d’environ 100 g (4,5 %) si le poussin a été nourri 2 heures après éclosion plutôt que 40 heures. Mais l’indice de consommation augmente et il n’y a plus de différence de poids en comptant toute la durée d’accès à l’aliment. Et la mortalité est plus importante.
Eduardo Romanini estime que l’incubation artificielle doit imiter au mieux la Nature, en prenant en compte les contraintes liées à l’éclosion en machine de plusieurs dizaines de milliers d’œufs, notamment la déshydratation des premiers nés. Ce problème est accentué si la fenêtre d’éclosion est trop large (48 h au lieu de 24-30 h). Si un aliment est à distribuer, il faut le faire 28 à 32 heures après l’éclosion et non immédiatement. Mais si la fenêtre est large, l’optimum de distribution est différé entre des poussins nés au début, au pic ou en fin d’éclosion.
Marketing du bien-être animal
L’opinion publique et les donneurs d’ordre (abattoirs et clients finaux) peuvent être séduits par de nouveaux concepts de prime abord plus respectueux du bien-être du poussin. Le pas a été franchi par des enseignes de la grande distribution des Pays-Bas en 2017 et d’Allemagne début 2018 pour des poulets vendus sous leurs marques. Mais qui y gagne ? Faut-il céder à un marketing du bien-être animal si le poulet n’est pas plus « heureux » ou si la filière n’en tire pas d’avantages technique ou économique ? Le consommateur est-il disposé à payer plus cher son poulet ? Rien n’est figé dans le marbre… À l’avenir, ces clients pourraient souhaiter une limitation de la vitesse de croissance des poulets. Auquel cas, le démarrage précoce deviendrait économiquement moins intéressant. Et les investissements auraient été réalisés en pure perte. L’avenir de ces innovations dépendra de la pression sociétale. Quoi qu’il en soit, le consommateur aura toujours raison, en dépit des arguments des professionnels fondés sur des faits plutôt que sur une vision anthropomorphique du bien-être.