« La France est face à de grands challenges ! », estime Nan-Dirk Mulder
La France doit réviser son modèle en profondeur sur fond de consolidations transnationales, si elle veut rester positionnée sur le marché du poulet frais, estime Nan-Dirk Mulder, expert néerlandais des marchés de la viande chez Rabobank.

Quelle analyse faites-vous de la situation du secteur avicole français ?
« La France possède de bons fondamentaux : des exportations et une production importantes, des matières premières sur place, un marché intérieur puissant. En ce qui concerne le poulet, la consommation française croît lentement et peut encore progresser. Sur ce point, la France ressemble à l’Allemagne, sauf que les industriels allemands ont su exploiter ce potentiel pour se développer.Du côté des faiblesses, la structure française de production manque d’investissements, ce qui la rend moins compétitive en Europe. Ses voisins (Allemagne, Belgique, Pays-Bas) ont investi aussi bien dans leur amont que leur aval. Depuis de nombreuses années, l’activité d’exportation du poulet entier vers le Moyen-Orient est un dossier sensible qui pourra difficilement perdurer. Vous importez beaucoup de viande de poulet standard européenne. J’estime aussi que vos fabricants d’aliment ont trop de pouvoir dans la filière. La France a un challenge difficile à relever, qui demandera une modernisation et des investissements significatifs. »
. Après l’internationalisation des marchés, y a-t-il une internationalisation des entreprises ?
" Chaque pays a vu émerger un leader sur son marché intérieur, qui peu à peu élargit son rayonnement géographique. L’industrie européenne est entrée dans ce processus de dépassement des frontières nationales. À Rabobank, nous avons identifié de grandes régions, définies par des similarités de la demande, où vont émerger des leaders : les pays nordiques, le Nord-Ouest de l’Europe, l’Europe du Sud, l’Europe de l’Est. Ce processus d’élargissement pousse à des rachats et à des rapprochements. Je vois trois Français capables de mener cette stratégie : LDC, Terrena-Gastronome et Sofiprotéol-Glon. À eux de faire le choix entre un développement vers le Sud et/ou vers le Nord-Ouest. Dans les cinq à dix ans, l’industrie avicole sera devenue européenne. Le match va probablement se dérouler avec d’autres européens : Plukon et Two Sisters aux Pays-Bas ; Moy Park et Two Sisters au Royaume-Uni ; Weisenhoff et Rothkötter en Allemagne. »
. Cette internationalisation n’est pas sans risque…
« Oui, bien sûr. Ces industriels doivent aussi réviser et restructurer en permanence leurs modèles économiques par rapport aux évolutions des marchés (GMS, industrie alimentaire). Quitte à fermer des usines pour créer des synergies internationales et arriver à une plus grande efficacité. Plukon et Two Sisters font très bien cela. »
. Quelle est la zone d’Europela plus dynamique ?
« La Pologne est le pays le plus à craindre pour l’Ouest, et peut-être l’Ukraine à plus long terme si elle peut avoir plus d’accès au marché de l’UE. La Pologne possède un marché intérieur puissant sur lequel elle peut s’appuyer pour le développement de ses exportations (repli possible en cas de difficultés). Des opérateurs de l’Ouest y sont déjà présents (l’Anglais Two Sisters, l’Allemand Wiesenhoff, le Français LDC). Les coûts de production y sont moindres, les élevages se modernisent. Il lui reste deux points faibles. Pour les produits frais, la logistique fait encore défaut, même si cela progresse avec une industrie située au Sud et à l’Est. D’autre part, sa chaîne d’approvisionnement manque de discipline, avec des éleveurs indépendants et opportunistes. Cependant, la transformation pourrait être réalisée sur place. »