La Champagne-Ardenne, un gisement avicole convoité
L'ancienne région Champagne-Ardenne connaît un net regain depuis dix ans. Les agriculteurs céréaliers s’intéressent à nouveau aux productions avicoles qui offrent des compléments aux grandes cultures de moins en moins rentables. Ils y sont incités par des opérateurs régionaux, mais aussi extra-régionaux et extra-nationaux, à la recherche de volumes pour conquérir des marchés nationaux.
L'ancienne région Champagne-Ardenne connaît un net regain depuis dix ans. Les agriculteurs céréaliers s’intéressent à nouveau aux productions avicoles qui offrent des compléments aux grandes cultures de moins en moins rentables. Ils y sont incités par des opérateurs régionaux, mais aussi extra-régionaux et extra-nationaux, à la recherche de volumes pour conquérir des marchés nationaux.
Un potentiel longtemps sous-exploité
Malgré leur faible emprise foncière, les productions avicoles organisées n’ont pas décollé dans les années soixante en Champagne-Ardenne, tant le poids des productions végétales était important. Pourtant, le territoire possédait et possède encore des atouts indéniables, qui s’accentuent depuis une dizaine d’années. Il se trouve aux portes de grands bassins de consommation, aussi bien à l’Ouest (Ile-de-France) qu’au Nord (Hauts-de-France et Belgique) et au Sud (Lyon et couloir rhodanien).
Champagne-Ardenne dispose de vastes espaces pour installer des ateliers avicoles à peu près partout où les coûts d’approche sont supportables (eau, électricité, distance) et il peut valoriser les effluents. En manque de matière organique, la zone est envahie par du « compost » importé de Belgique et des Pays-Bas.
La complémentarité élevage-cultures pourrait aussi créer un important effet de levier pour le développement avicole. C’est ce que constatent les acteurs avicoles régionaux, soulignant que la baisse de rentabilité des grandes cultures soumises aux aléas climatiques et commerciaux redonne de l’intérêt à des activités autrefois délaissées. Construit en partenariat avec un opérateur qui assure le débouché, l’atelier avicole devient attractif pour des jeunes en recherche de revenu régulier et assuré.
Plus d’opportunités en chair qu’en œuf
C’est la carte qu’ont jouée dans l’œuf les opérateurs d'oeufs CDPO et Sodine. En moins de dix ans, ils ont fait installer environ 900 000 places de poules en Champagne-Ardenne avec une cinquantaine d’éleveurs, soit environ la moitié de leur développement dans le Grand Est. Après cette phase d’expansion, tous deux déclarent aujourd’hui faire une pause.
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Les opportunités deviennent donc plus fortes en poulet. Les porteurs de projet ont le choix entre un modèle sécurisé en filière « à la française » proposé par le binôme marnais Nealia-Éleveurs de la Champagne ou, par le Bourguignon Duc, et un modèle plus risqué « à la belge » proposé par un fournisseur d’aliments (le Français Sanders ou le Belge De Heus) travaillant pour le compte de l’abatteur néerlandais Plukon.
En manque de « minerai », ses deux abattoirs belges ont étendu leur influence sur le territoire français. Plukon n’hésite pas à chercher les poulets à plus de 350 kilomètres. C’est ce modèle qui semble avoir la préférence actuelle des éleveurs, tandis que la filière Nealia-Éleveurs de la Champagne a choisi une croissance prudente. Duc affiche des ambitions pour s’étendre dans le Sud du territoire.
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Peu d’opérateurs industriels
S’ils sont à l’écart des grands bassins de production avicole, les éleveurs ardennais et champenois n’en sont pas moins aussi « challengés » qu’à l’Ouest par des opérateurs connectés aux marchés. Et leurs performances sont plus qu’honorables. À la différence des activités végétales évoluant selon les circonstances économiques et climatiques, leurs ateliers très spécialisés (standard, label rouge, œuf alternatif en volière) leur donnent une faible marge de manœuvre en cas de défaillance de leur aval. Et c’est un peu le talon d’Achille de ce territoire. Les éleveurs qui travaillaient pour Doux sont bien placés pour en parler.
Les outils industriels dans la Marne
En Champagne-Ardenne, les outils industriels avicoles se comptent sur les doigts d’une main, en dehors de quelques usines d’aliments du bétail.
Créé en 1959 à l’initiative de cultivateurs coopérateurs, et aujourd’hui filiale de Galliance, l’abattoir Les Éleveurs de la Champagne est spécialisé en poulet standard et label rouge à marque régionale. Il a délaissé l’abattage de la dinde standard, de sorte que cette production s’est quasiment arrêtée après le dépôt de bilan de Doux en 2012.
Sodine et CDPO sont deux centres de conditionnement d’œuf de dimension nationale. Créée en 1972 par Dominique Flambert, cultivateur marnais, Sodine fut d’abord une activité d’élevage. C’est à partir de 1985 que ses trois fils ont réintégré le conditionnement et la vente en régional. Quant à CDPO, arrivé dans la Marne en 2003 pour y construire son nouveau centre de conditionnement, il a misé sur un approvisionnement extra-régional jusqu’au courant des années 2010.
En Bio, l’œuf domine la volaille
Selon l’agence Bio, en 2019 les trois départements de Champagne-Ardenne comptaient 22 ateliers de poules pondeuses, totalisant 310 000 places (14 000 par site en moyenne), principalement dans les Ardennes (148 000 places et dix élevages). Ils ont été pour la plupart installés sous l’impulsion de CDPO et de Sodine, à partir de 2013. Auparavant, il y avait 10 000 poules dans quatre élevages des Ardennes.
En chair, l’agence recense 7 élevages certifiés bio pour les trois départements. La production frémit dans la Marne, avec 4 éleveurs ayant une capacité annuelle de 47 000 têtes en 2019 (pas de données pour les années précédentes). Un essor à mettre en relation avec le début du développement d’une filière bio en filière longue avec Nealia
Un champion végétal condamné à évoluer
Avant-guerre, la partie crayeuse et la plus pauvre de la Champagne (Marne et Aube) était recouverte de pinèdes plantées (pour la chasse) et de maigres friches (les « savarts ») où paissait le bétail (surtout des moutons). Faute de moyens, le reste du foncier était médiocrement cultivé. Il fallut attendre la fin des années cinquante pour qu’une révolution agricole s’opère. Grâce aux progrès techniques (motorisation et mécanisation), agronomiques (pesticides et engrais chimiques), organisationnels (remembrement, défrichage), la Champagne « pouilleuse » s’est enrichie et est devenue un grenier de la France. Largement subventionnés par les services agricoles, 30 ans de défrichements massifs ont créé d’immenses plaines entièrement cultivées, si caractéristiques du paysage.
Revenir à l’élevage
Mais depuis les années 2000, ce modèle hyperspécialisé tangue et des agriculteurs s’interrogent sur leur avenir. Confrontés au marché international des produits agricoles de commodité, ils ne sont plus les « rentiers » d’autrefois. Leur légitimité est triplement remise en cause, par les environnementalistes (pollution, appauvrissement des sols et des milieux, perte de biodiversité), par les consommateurs (glyphosate, néonicotinoïdes…) et dans une moindre mesure par les citoyens périurbains (cohabitation ville-campagne, industrialisation agricole). Tout cela concourt à une remise en cause qui passera par un rééquilibrage entre productions végétales et productions animales, dans une perspective d’agriculture circulaire et plus durable. L’aviculture est une des solutions, mais comme ailleurs, les projets de grands ateliers commencent à être contestés par des citoyens anti-élevages « intensifs ».
En savoir plus sur la filière volailles de chair du Grand Est
Le service économique de la direction régionale de l’alimentation, agriculture et forêt (Draaf) de la Région Grand Est vient de publier une « fiche filière volailles de chair » de six pages. Ce document recense et localise les capacités d’élevages, ainsi que les couvoirs et abattoirs.