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Influenza aviaire : les scientifiques sont prudents à propos de la vaccination des canards

Le milieu scientifique craint que la vaccination masque la circulation silencieuse de sous types de virus influenza susceptibles d’évoluer vers des formes pathogènes pour les volailles, voire pour l’homme.

Du côté des scientifiques français (Anses et École vétérinaire de Toulouse), le recours à un vaccin influenza est jugé "compliqué" car il exige de remplir de nombreuses conditions techniques. Pour protéger les animaux et empêcher les signes cliniques, il faut que la souche vaccinale soit adaptée à la souche sauvage en circulation estime l’Anses. Or, le virus pathogène peut évoluer d’une année à l’autre, ce qui complique énormément une démarche préventive de vaccination, d’autant qu’il y a des délais incompressibles pour fabriquer un vaccin.

Plus important, « si le vaccin n’est pas bien adapté, des animaux peuvent excréter du virus dans l’environnement sans manifester de signes cliniques, explique Nicolas Eteradossi, directeur du site Anses de Ploufragan-Plouzané. Et là, vous avez tout perdu. » Le scénario catastrophe peut être celui de la mutation en un virus hautement pathogène, ou le réassortiment avec des virus influenza d’autres espèces (porc notamment), voire le passage de la barrière d’espèce vers l’Homme.

Pour être sûr qu’il n’y ait pas de dérives, il faut pouvoir différencier les animaux vaccinés des oiseaux infectés, en testant les volailles par des « analyses longues et coûteuses » estime le virologiste. C’est surtout vrai avec les vaccins inactivés d’ancienne technologie. Ce sont ces raisons qui ont longtemps milité en défaveur de la vaccination. Jusqu’à présent, elle a été uniquement réservée aux pays où le virus était endémique (Asie, Égypte, Maghreb, Mexique, Italie).

Un vaccin expérimental prometteur

Ceci dit, la technologie des vaccins a considérablement évolué depuis une quinzaine d’années. Les nouveaux vaccins vectorisés utilisent des virus non pathogènes dont le génome contient un gène du pathogène visé à l’origine de la protection immunitaire. De tels vaccins vectorisés ont été produits contre le virus H5N1 et employés notamment en Égypte, Bangladesh et Vietnam.

Des recherches récentes ont aussi été menées en France pour protéger les canards du virus H5N8. En 2017, l’Anses a réalisé des tests d’épreuve sur des canards vaccinés placés en animalerie protégée et a transmis ses résultats au ministère de l’Agriculture commanditaire. Ils n’ont pas été rendus publics.

Selon le laboratoire Ceva Santé animale, qui faisait partie des trois fournisseurs de vaccin, l’essai s’est révélé concluant sur les canards avec son prototype vectorisé. Il faut compter un délai de mise en place d’immunité de cinq à six semaines. Ce vaccin pourrait être administré en primo-vaccination au couvoir et être accompagné d’un rappel en élevage. Des tests sérologiques et virologiques permettraient de suivre l’épidémiologie des virus vaccinaux et sauvages dans les élevages, comme c’est déjà fait avec la recherche du gène M avant un transfert de canards mulards.

 

 
La seconde vaccination serait réalisée en élevage © Ceva
La seconde vaccination serait réalisée en élevage © Ceva

 

Mais pas de vaccin commercial

En revanche, ce vaccin expérimental est resté à l’étape de la recherche-développement. Interrogé par Réussir Volailles, le fabricant indique qu’il a mis en attente ce projet de vaccin « H5N8 spécial Mulard » et cessé de travailler sur les conditions pratiques de sa mise en œuvre. En effet, pour qu’il continue d’investir sur la mise au point commerciale, il est nécessaire que les autorités et la profession se rejoignent sur une position commune en faveur de cette option.

Il lui faudrait un délai d’environ six à neuf mois pour être en mesure de fournir un stock d’intervention d’une vingtaine de millions de doses, dans l’hypothèse d’une vaccination automnale et hivernale localisée. Il revient donc aux décideurs de se positionner et de définir avec les experts quelle stratégie vaccinale adopter : sur quel périmètre, quelles espèces, quels élevages, quelle durée, quel suivi…

Une réflexion à mener sur plusieurs années

Jean Pierre Vaillancourt, vétérinaire aviaire canadien et expert en biosécurité

 

 

« Il est tentant de vouloir vacciner pour limiter la maladie à quelques foyers plutôt qu’à des centaines, mais la vaccination pose une foule de questions : quel vaccin, comment, quand, où, quel coût, l’évaluation bénéfices/risques… Je ne crois pas à la solution du « vaccin miracle » qui résoudra tout. L’influenza, ça ne se gère pas comme la maladie de Gumboro ou de Marek. Vu l’enjeu, la réponse ne viendra pas à court terme. C’est une réflexion à mener sur plusieurs années et à porter au niveau européen. Le débat sur l’intégration de la vaccination dans la stratégie de contrôle de l’influenza aviaire doit avoir lieu, mais cela ne vous empêchera pas de repenser la biosécurité. »

 

Les types de vaccins anti-influenza disponibles

Depuis les années 80, la technologie vaccinale a considérablement progressé. En matière de vaccins influenza, la palette va du plus traditionnel au plus novateur.

Vaccin inactivé homologue : il contient la même souche tuée que celle visée. Cette ancienne génération protège bien, mais elle ne réduit pas l’excrétion virale des vaccinés et on ne peut différencier les oiseaux vaccinés des non vaccinés ;

Vaccin inactivé hétérologue : la souche vaccinale diffère de celles du terrain par sa neuraminidase (par exemple H7N3 vaccin contre un H7N1 sauvage). La protection est partielle et moindre par rapport à un inactivé homologue ;

Vaccin inactivé Subunit VLP : cette nouvelle génération de vaccin inactivé homologue est moins contraignante à produire et réduit l’excrétion virale des oiseaux vaccinés ;

Vaccin vivant vectorisé : le virus vecteur peut être un herpès virus HVT (celui de la maladie de Marek) exprimant l’antigène H5 pour stimuler l’immunité. La protection persiste à vie dans l’organisme. Ils ont été utilisés contre le H5N2 LPAI (Mexique) et H5N1 HP (Égypte, Vietnam, Bangladesh). Ils sont très efficaces en poulet et dinde, mais ne fonctionnent pas en canard mulard (sauf le vaccin expérimental H5N8 spécial mulard) ;

Vaccins à ARN messager : de l’ARN m, copie de l’ARN d’une protéine immunogène du virus, est absorbé par les cellules de l’hôte qui produisent la protéine immunogène à partir de ce brin. Un vaccin H5 à ARNm est déjà produit aux USA contre la grippe porcine. Il sert de stock pour une vaccination d’urgence. Avantage : le changement rapide de la formule vaccinale.

 

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