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Influenza aviaire : les responsabilités de l’épizootie sont partagées dans le Sud-Ouest

Malgré les mesures prises depuis 2016, l’histoire s’est répétée dans le Sud-Ouest. Encore plus meurtrière qu’en 2016-2017, la seconde épizootie d’influenza aviaire H5N8 résulte d’une conjonction d’erreurs et de lacunes.

Il faudra sans doute du temps pour tirer le « retex » – comprenez retour d’expérience – complet et détaillé de cette troisième épizootie d’influenza aviaire. Tout d’abord, il est difficile, voire impossible, de résumer les sentiments des acteurs du Sud-Ouest, notamment des éleveurs directement touchés et affectés par cette épidémie qui a commencé cette fois-ci dans l’ouest des Landes début décembre. Au début, ce furent la surprise et l’étonnement teintés de l’inquiétude de voir s’allumer et se rapprocher de plus en plus de foyers. Puis l’agacement et la colère face à l’inexorable montée de l’incendie qui se déroulait sous leurs yeux et que rien n’arrêtait ; enfin, l’impuissance et la résignation devant le fait accompli. Bientôt viendra le temps du rebond et de la résilience…

 

 
Les Landes ont été massivement touchées par une vague virale de fin décembre à fin janvier, tandis que les cas étaient plus éparpillés ailleurs, sauf dans le Gers (Astarac) mi février. © Plateforme ESA
Les Landes ont été massivement touchées par une vague virale de fin décembre à fin janvier, tandis que les cas étaient plus éparpillés ailleurs, sauf dans le Gers (Astarac) mi février. © Plateforme ESA

 

En attendant, il y a de quoi s’interroger sur le pourquoi et le comment de cette hécatombe animale et de ce désastre économique pour les filières avicoles du Sud-Ouest. Les dégâts (directs et indirects) pourraient se chiffrer en centaines de millions d’euros, comme en 2017… À la date du 15 mars, le ministère de l’Agriculture totalisait 473 foyers dans le Sud-Ouest (341 dans les Landes) et 14 pour le reste du territoire national (4 en élevages commerciaux). Après un pic à 138 la première semaine de janvier, le nombre de cas hebdomadaire est tombé à 29 la première semaine de février. Depuis mi-février, il n'y a plus eu de foyers dans les Landes mais un rebond a eu lieu dans le sud-est du Gers, avec 17 foyers déclarés sur la seconde quinzaine du mois. Il n'y a eu que 5 foyers sur la première quinzaine de mars.

Il y a trois ans, on n’entendait les décideurs dire « plus jamais ça ». C’est encore arrivé, parce que le dispositif anti-influenza qui repose sur la trilogie « Prévenir-Alerter-Réagir » a connu des « trous dans la raquette », et non des moindres.

Le système d’alerte a été efficace

Depuis l’été, les autorités suivaient attentivement les détections de virus H5N8 hautement pathogènes dans l’avifaune sauvage aux confins de la Russie et au Kazakhstan. Les cas se sont progressivement déclarés en Europe au fur et à mesure de la progression des migrateurs le long de la mer baltique. Le premier est signalé aux Pays Bas le 20 octobre sur deux cygnes, puis les alertes s’enchaînent par dizaines, avec des anatidés et des anséridés qui tombent comme des mouches. C’était le signe que ce variant H5N8 avait une pathogénicité importante pour les oiseaux palmés et une haute contagiosité. À partir du 26 octobre, les autorités françaises ont progressivement remonté le niveau de risque avec ordre de mettre les volailles à l’abri, jusqu’à l’imposer sur tout le territoire le 17 novembre, le lendemain de la confirmation du premier foyer en Corse. C’est la première fois que le virus H5N8 a profité d’une faille, par manque de vigilance sur l’origine et le transport d’oiseaux vendus aux particuliers via les magasins d’animaleries.

 

Un virus très hautement contagieux et des failles de biosécurité

 

 
Oies Bernache en migration. Les anséridés et anatidés (cygnes, oies, canards ...) ont été les premières victimes du virus H5N8, avant de contaminer l'environnement des élevages. © Office national de la ...
Oies Bernache en migration. Les anséridés et anatidés (cygnes, oies, canards ...) ont été les premières victimes du virus H5N8, avant de contaminer l'environnement des élevages. © Office national de la biodiversité

 

Affectant des régions peu avicoles et quelques élevages de particuliers, l’alerte dans les trois animaleries a été rapidement gérée. Ce qui laissait augurer d’une maîtrise efficace, si le virus venait à être retrouvé dans des élevages commerciaux. C’est arrivé entre début et mi-décembre avec plusieurs cas en Vendée et en Deux-Sèvres sur des canards de Barbarie en claustration (dont des reproducteurs). La cause est très probablement une matière contaminante issue d’oiseaux sauvages ayant réussi à pénétrer dans les élevages, en dépit des barrières sanitaires. Tout comme cela est arrivé dans d’autres pays européens. Dans ces zones à très forte densité aviaire, les foyers ont été rapidement circonscrits. La zone de surveillance du foyer de Saint-Christophe-du-Ligneron (85) comptait 200 bâtiments (dont une quarantaine en canards) et plus de deux millions de volailles (dont 360 000 canards). Pourtant, aucun foyer secondaire ne s’est déclaré.

Trop des canards restés dehors en Chalosse

C’est un tout autre scénario qui s’est joué dans les Landes. Début décembre, un élevage de canards est touché à Bénesse-Maremne près du marais d’Orx. C’est une zone humide naturelle où séjournent des oiseaux sauvages sans doute à l’origine de la contamination. L’éleveur a obtenu une dérogation pour garder des canards à l’extérieur. Malgré la réaction rapide des autorités qui font euthanasier le lot sans attendre, le virus a eu le temps de se multiplier sur les canards non confinés et de se propager. Selon le professeur Jean-Luc Guérin, il se passe au moins 5 jours entre l’infection et les premiers signes cliniques nerveux visibles. Dans l’intervalle, le lot excrète massivement des particules virales.

Le même événement s’est reproduit mi-décembre dans deux élevages plus à l’est, à Sort et Bergouey. Ces deux communes de Chalosse sont parmi les plus denses des Landes en canards. À partir de là, c’est toute la Chalosse qui s’enflamme avec la conjonction de trois éléments. La proximité entre les élevages a facilité la propagation de proche en proche qui a été accentuée par l’absence de mise à l’abri de canards dans de nombreux élevages. Ces canards ont servi de milieu de culture et de liaison. Des failles de biosécurité ont aussi facilité la progression du virus par sauts, le plus emblématique étant celui survenu en Haute-Garonne. Tout le monde ne partage pas ce scénario. Pour les syndicats Modef et Confédération paysanne, c’est l’industrialisation de la production, source de nombreux transports et de failles de biosécurité, qu’il faut incriminer. Or, rien de tel ne s’est produit dans des régions au moins aussi denses en canards. Il y a de quoi s’interroger…

Une lutte « pas à la hauteur » de la crise

Tout le monde sait aussi qu’avec ce genre de maladie, il faut réagir vite et fort. C’est à l’État qu’il revient de déployer les moyens d’euthanasie. La vélocité du virus ayant surpris tout le monde (plusieurs kilomètres parcourus quotidiennement par le front épidémique), le dispositif de lutte n’a pas été calibré à temps à la hauteur d’un scénario du pire. Le manque de moyens humains et techniques d’abattage a été criant entre Noël et le jour de l’an. À ce moment, les huit vétérinaires praticiens landais avaient une quarantaine de suspicions par jour (trois fois plus qu’en 2017). Or une équipe de l’entreprise missionnée (GT Logistics) effectuait à peu près un chantier par jour, afin de respecter un protocole strict. Leur mode opératoire semblait plutôt adapté aux élevages de grande capacité qu’à des petits. Au pic épidémique, des éleveurs ont dû attendre plus de dix jours une équipe. Dans certains petits élevages, les vétérinaires sont intervenus pour euthanasier à la seringue.

Au-delà des moyens insuffisants, les inondations, la Covid-19 et les congés de Noël ont encore compliqué et ralenti la mobilisation. Les acteurs les plus critiques disent qu’il a manqué un général pour conduire la bataille. En revanche, il est indéniable que les professionnels réunis au sein du Cifog et du cluster Biosécurité avaient musclé leur dispositif d’alerte et de gestion depuis 2017. Ils ont utilisé la cartographie digitale en temps réel reliée à la base de données des élevages et des mouvements. Pour se préparer, ils ont réalisé des exercices de simulation (sauf en 2020 pour cause de Covid-19). Avec les organisations de production, ils ont été le bras armé de l’État, en contactant les éleveurs non-foyers (beaucoup le sont devenus à postériori) et en dépeuplant leurs élevages. Par exemple, au 8 février les services de l’État avaient vidé 174 foyers (950 000 animaux) quand les professionnels en avaient évacué 560 (2 millions d’animaux). Ces constats, plus ou moins partagés, démontrent qu’il faudra prendre des mesures supplémentaires de prévention sanitaire de base, sans doute faire évoluer les pratiques d’élevage en plein et certainement renforcer les moyens de lutte. Absolument tous les acteurs doivent se sentir personnellement concernés, afin de ne pas être le maillon faible par lequel toute l’économie d’une région peut être mise à mal.

 

Les quatre phases de la seconde épizootie H5N8

L’alerte monte en puissance

- 26 octobre : passage au niveau de risque élevé dans les communes ayant une zone humide, avec mise à l’abri des volailles ;

- 6 novembre : mesures étendues aux départements traversés par les migrateurs ;

- 16 novembre : premier foyer en Corse ;

- 17 novembre : restrictions sur tout le territoire national ;

L’épizootie démarre vraiment en élevage

- 5 décembre : premier foyer à l’ouest des Landes ;

- 10 décembre : deux foyers en Deux-Sèvres et Vendée ;

- 19 et 20 décembre : premiers foyers en Chalosse à Sort et Bergouey et premier foyer en Hautes-Pyrénées ;

L’épizootie ravage les Landes et essaime

- 23 décembre : mise en place de l’abattage préventif sur 3 km ;

8 foyers confirmés jusqu’au 27 décembre ;

- 31 décembre : premier foyer en Pyrénées-Atlantiques ;

51 foyers confirmés jusqu’au 3 janvier ;

- 4 janvier : premier foyer dans le Gers ;

189 foyers confirmés jusqu’au 10 janvier ;

- 12 janvier : abattages préventifs élargis à 5 km, extension de la zone de surveillance à 20 km (au lieu de 10 km) avec blocage des mouvements ;

295 foyers confirmés jusqu’au 17 janvier ;

- 18 janvier : premiers foyers en Haute-Garonne et Lot et Garonne ;

L’incendie s’éteint peu à peu

88 foyers confirmés entre le 25 janvier et le 15 mars.

Les différences entre les trois épizooties

En 2015-2016, le virus H5N1 est déjà présent : Du 24 novembre 2015 au 7 janvier 2016, 67 foyers sont identifiés impliquant un virus H5N1, mais aussi H5N9 et H5N2. Majoritairement touchés, les canards ne montrent pas de signes cliniques, au contraire des Galliformes. La faune sauvage n’a joué aucun rôle. Le virus trouve son origine dans la circulation inapparente de virus faiblement pathogène pendant au moins deux ans et dans une mutation en un sous-type hautement pathogène.

En 2016-2017, le virus H5N8 voyage avec les canards : Du 4 décembre 2016 à la fin de l’épizootie en avril, 486 foyers à H5N8 (mais aussi H5N5 et H5N6) sont détectés dans neuf départements du Sud-Ouest (153 foyers au 16 janvier 2017). Cette fois-ci, les canards sont tombés malades. L’avifaune est touchée ; elle a introduit le virus, lequel a été principalement diffusé par les activités humaines.

En 2020-2021, le virus H5N8 se déplace vite de proche en proche : Entre le 6 décembre 2020, date du premier foyer landais, et le 15 février 2021, 446 foyers ont été confirmés dans le Sud-Ouest dans 6 départements (75 % dans les Landes). Le virus est encore tombé du ciel grâce aux migrateurs. Il a très vite parcouru le territoire plutôt grâce aux animaux restés dehors qu’à cause d’erreurs humaines.

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