Grippe aviaire : Pourquoi repousser l’avifaune sauvage indésirable autour des élevages
À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Faute de savoir tout des vecteurs qu’utilisent les virus de l’influenza aviaire pour pénétrer dans les élevages, la bioprotection pourrait aussi concerner l’avifaune sauvage.
À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Faute de savoir tout des vecteurs qu’utilisent les virus de l’influenza aviaire pour pénétrer dans les élevages, la bioprotection pourrait aussi concerner l’avifaune sauvage.
L’implication des oiseaux sauvages aquatiques migrateurs dans la propagation des virus influenza aviaires (VIA) faiblement pathogènes est indubitable. Mais depuis le milieu des années 1990, la donne a changé avec l’émergence d’une lignée de virus H5 hautement pathogènes venue d’Asie. Cette lignée (le clade 2.3.4.4b) a acquis des facultés d’adaptation exceptionnelles envers des espèces d’oiseaux sauvages et domestiques très variées.
Les scientifiques s’accordent à dire que l’éradication des VIA est illusoire dans l’avifaune sauvage. Celle-ci est peu porteuse de virus hautement pathogènes, mais elle constituera toujours un réservoir au sein duquel se produiront des « mélanges » entre virus faiblement ou/et hautement pathogènes. Ces nouveaux virus pourront être pathogènes pour les oiseaux, voire pour les mammifères (dont l’homme). C’est à peu près ce qui s’est produit ces derniers mois. Alors qu’auparavant le risque épizootique survenait à l’automne, au moment des migrations descendantes, il a persisté au sein d’espèces sauvages sédentaires contaminées par des VIA excrétés par des élevages.
Quantifier les risques de l’avifaune
Force est de constater que les scientifiques savent peu de choses sur le portage des VIA dans le compartiment sauvage et sur ses interactions avec le compartiment domestique. Notamment parce qu’il est difficile d’étudier les VIA dans la faune sauvage.
Deux études françaises sur l’avifaune méritent d’être signalées. D’abord, celle de Sophie Lubac (Itavi) qui a conduit entre 2008 et 2010 une étude sur l’avifaune de trois régions (Dombes, Landes, Pays de Loire). Ceci après l’unique foyer H5N1 survenu en 2006 dans la Dombes (Ain).
Son équipe a répertorié l’avifaune commensale (1) des élevages sur vingt-quatre sites plein air, estimé les risques pour les volailles et testé une méthode d’effarouchement. Sur la cinquantaine d’espèces fréquentant en moyenne les parcours (sur les soixante-quinze recensées), aucune n’était aquatique, au sens strict. L’avifaune aquatique, notamment le canard Colvert, ne fréquentait pas les parcours, même pas dans la Dombes pourtant si riche en plans d’eau.
une bergeronnette grise
La présence de l’avifaune terrestre variait beaucoup selon l’espèce, la saison et l’heure. Les passereaux étaient le plus souvent recensés (moineaux, bergeronnette grise très fréquente). Sophie Lubac estimait que ces espèces « passerelles » pouvaient faire le lien entre oiseaux de rente et oiseaux aquatiques.
Des espèces relais à surveiller
Quant à Chloé Le Gall-Ladevèze, elle a étudié l’avifaune commensale fréquentant un élevage de canards du Gers dans le cadre d’une thèse en écoépidémiologie aviaire, présentée en 2022.
Durant une année, la chercheuse a observé, capturé et analysé l’avifaune commensale (1). Différenciant cinq profils d’espèces (sédentaire, estivale strict, hivernale strict, migratrice, semi-migratrice), elle montre elle aussi l’importance des moineaux (domestique et friquet) et de la bergeronnette grise comme espèces « relais » (les « passerelles » de Sophie Lubac). Très fréquente, cette dernière espèce vient consommer les insectes attirés par les canards (aliment, matière organique).
La recherche d’organismes pathogènes sur l’avifaune commensale montre un portage infectieux épisodique et de très faible niveau, suggérant un risque faible pour la volaille, hors période épizootique. La réceptivité de ces espèces terrestres vis-à-vis des VIA des espèces aquatiques semble faible, mais ces oiseaux relais pourraient néanmoins créer un lien avec des élevages ou des milieux humides potentiellement contaminés. Pour Chloé Le Gall-Ladevèze, les mesures réglementaires de restriction des contacts de la volaille de rente avec l’avifaune paraissent justifiées, dans la mesure où le risque de transmissions infectieuses ne peut jamais être écarté.
Une bioprotection active
Il peut donc être avantageux d’adopter des dispositifs de protection active évitant la proximité ou l’intrusion d’une faune indésirable. Les mammifères sont aussi concernés, et pas que les rongeurs. Des contaminations aux VIA ont été attestées sur des renards en Belgique (mais aussi Irlande, Canada, USA…) et d’autres mammifères aquatiques (dauphin, marsouin, phoque), probablement contaminés après avoir consommé des oiseaux.
Installer une clôture électrifiée contre les carnivores a deux autres avantages : réduire la prédation et les intrusions de voleurs. Quant à l’effarouchement, peu d’expériences sont relatées en milieu avicole.
Sophie Lubac a étudié l’effarouchement sonore en 2010, avec une efficacité limitée. Testé à 70 mètres des trappes de sortie et à 100 dB, le prototype d’émetteur de cris réduisait de 40 % la présence des pigeons, tandis que les poulets ne paniquaient pas. Plus tard, des chercheurs néerlandais ont obtenu des résultats plus probants en utilisant des rayons laser contre les oiseaux aquatiques (oies et canards).
« Sur les espèces commensales, ces effaroucheurs sont peu ou pas efficaces », estime Chloé Le Gall-Ladevèze. De plus, si ces pratiques d’effarouchement se généralisaient, des ornithologues avancent que la survie d’espèces cantonnées aux milieux agricoles pourrait être compromise. Concernant l’implantation des élevages à proximité d’un plan d’eau ou d’une zone humide, il n’est pas exclu qu’elle soit déconseillée à l’avenir, voire interdite pour les futurs élevages. Et il va de soi qu’un éleveur, par ailleurs chasseur ou détenteur d’une basse-cour, devra faire preuve d’une vigilance extrême en période à risque.
Une « biosécurité spaghetti »
Confrontées à la réalité du terrain, les mesures de prévention basées sur la biosécurité n’ont pas été suffisantes, mais ne sont probablement pas inutiles.
Jusqu’à maintenant, les virus influenza ont toujours réussi à profiter des failles à travers le « mille-feuille » de la biosécurité mise en place depuis 2016, c’est-à-dire : la décontamination des vecteurs passifs (matériel, personnel), les barrières sanitaires dans et autour des sites sensibles, l’élevage en bande unique, la mise à l’abri des volailles, les contrôles avant mouvement, puis en cours d’élevage, la dédensification.
L’efficacité de la biosécurité se heurte à la réalité complexe du terrain, comme l’image Yves de la Fouchardière, le directeur des Fermiers de Loué 100 %. « Actuellement, la biosécurité est appréhendée site par site, comme des spaghettis bien rangés dans leur paquet. Mais quand ils sont cuits, tout se mélange. C’est ça l’aviculture : elle s’est développée progressivement sur les territoires, en juxtaposant tous ses maillons, sans imaginer le pire virus qui pouvait lui tomber dessus. »
Force est de constater que cet enchevêtrement a conduit à des failles par lesquelles sont passés les virus. Par exemple, un camion d’aliment sain croisant un véhicule d’équarrissage contaminé. « Pourtant, la biosécurité individuelle est indispensable et c’est la clé d’entrée de l’élevage. »