"J'ai anticipé pour transmettre plus facilement mon ferme avicole"
Céder l’exploitation à des jeunes dans de bonnes conditions, telle était la volonté de Bruno Debray, agriculteur à La-Croix-du-Perche. Pour cela, il a séparé juridiquement la production céréalière de l’atelier œufs.
Céder l’exploitation à des jeunes dans de bonnes conditions, telle était la volonté de Bruno Debray, agriculteur à La-Croix-du-Perche. Pour cela, il a séparé juridiquement la production céréalière de l’atelier œufs.
À 63 ans, Bruno Debray est un homme heureux. Il va passer le flambeau de l’exploitation familiale qu’il gère depuis 25 années, à cinq jeunes dont ses deux fils. « Je suis fier de transmettre à des jeunes motivés et aux enfants », confie tout sourire l’agriculteur de La-Croix-du-Perche dans l’Eure-et-Loir.
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La transmission, il la prépare depuis un moment, depuis qu’il a scindé juridiquement les activités d’élevage et de grandes cultures en 2016. « Il était temps de revoir l’organisation pour trois raisons : un, le seuil d’achat revente d’œufs était dépassé, deux, je réfléchissais à la transmission et trois, la pression MSA et impôt était trop lourde. » L’exploitation individuelle a continué de porter les 78 hectares de cultures (blé-escourgeon-colza) dont les travaux sont confiés à un voisin en prestation de services.
L’élevage et le commerce ont été placés dans la Sasu Bruno Debray. Celle-ci regroupe la vente directe d’œufs plein air des 4500 poules élevées sur le site de la ferme et des 9000 pondeuses d’un agriculteur voisin en contrat d’intégration. S’ajoute l’achat revente d’une partie des œufs produits par une jeune agricultrice installée avec 7000 poules plein air et d’œufs bio d’un élevage de 2000 poules.
Au total, ce sont 90 à 100 000 œufs vendus chaque semaine sous les marques Terre d’Eure-et-Loir et CduCentre (1). La société commercialise également des rillettes, terrines et plats cuisinés élaborés avec les poules de réforme. Au fil des ans, Bruno a développé la clientèle historique pour atteindre aujourd’hui quelque 300 clients. Des petites épiceries et supérettes, des bouchers charcutiers et des hypermarchés que lui et son équipe de sept salariés livrent dans un rayon de 70 kilomètres autour de Chartres.
Les deux fils s’associent en SCEA
La passation est en marche. Depuis un an, Bruno accompagne les repreneurs pour « passer la main ». « Je compte encore rester à temps plein six mois puis apporter aux jeunes une aide ponctuelle. » Les productions végétales sont reprises par ses deux fils qui s’associent en SCEA à parts égales. « D’un point de vue patrimonial, je souhaitais qu’ils soient tous les deux. »
Seul Antoine, 28 ans, sera exploitant. Diplômé en commerce et entreprenariat, il a bourlingué de l’Irlande à la Nouvelle-Zélande. « J’avais l’idée de m’installer depuis l’âge de 15 ans, mais pas en volailles », se rappelle Antoine. Son père lui suggère les légumes en vente directe. Sensible à l’alimentation et la santé, il est séduit par cette proposition. « Papa a des bonnes idées, c’est un bon entrepreneur. S’il pense que ça va marcher, ça va marcher. »
Le jeune homme part une saison au Luxembourg se former au maraîchage sur sols vivants. Fin 2020, il revient sur la ferme comme salarié. Il met en culture une serre de 230 m2 et un jardin de 600 m2, sans travail du sol, avec un épais paillage de matière organique. « Je veux aller vers des méthodes vertueuses, respecter le sol. » Les premiers légumes ont été commercialisés l’été dernier dans les Amap locales et auprès des restaurateurs. Antoine, qui sera installé en avril prochain, a pour projet de doubler ses surfaces de maraîchage afin d’embaucher un apprenti et de certifier sa production en bio. Il souhaite également intégrer le GIEE « changement de pratiques » porté par l’Adear28 pour adopter l’agriculture régénérative tant sur les légumes que sur les grandes cultures.
Trois frères s’installent ensemble
Reprendre l’activité œufs et vente directe et s’associer avec ses frères au sein de la SAS, l’idée a germé dans la tête de Nicolas Dalibard, 24 ans, salarié sur l’exploitation depuis son apprentissage de Bepa. Il en discute avec Mathieu 30 ans, et Thomas 28 ans, tous deux salariés agricoles en polyculture élevage. « Seul, aucun ne se serait lancé dans l’aventure. Cette entreprise est une affaire d’équipe. Il fallait aussi qu’on soit formés au commerce pour pouvoir reprendre », raconte Mathieu. En 2021, iI rejoint la ferme en tant que salarié et Thomas met la main à la pâte dès qu’il peut.
En parallèle de la SAS, ils souhaitent créer une SCEA pour construire un poulailler plein air de 10 000 poules. « Il faut prévoir de remplacer la production en intégration quand l’éleveur partira en retraite d’ici quelques années. » La société abritera également un centre de conditionnement et de calibrage des œufs, plus grand et plus fonctionnel. « L’actuelle unité est trop petite et la calibreuse est en fin de vie. » Le projet sera complété dans deux-trois ans par la reprise de la ferme familiale à La Gaudaine (Eure-et-Loir) lorsque leur père cessera son activité. L’exploitation compte une centaine de mères Charolaises et 120 hectares. Les frères assureront aussi la conduite des surfaces reprises par Antoine. Les trois pôles (œuf et calibrage, ferme La Gaudaine, SCEA du futur élevage) seront regroupés sous une holding. Même si Mathieu et Nicolas préfèrent le contact client et Thomas l’élevage, les trois frères se doivent d’être polyvalents, que ce soit pour les soins au poulailler, le calibrage ou la livraison dès quatre heures du matin. « C’est important que tout le monde sache tout faire pour se relayer et assurer un week-end d’astreinte par mois. » La complémentarité des projets et la belle entente entre les jeunes font le bonheur de Bruno.
Valoriser les poules de réforme
Entre 0 et 15 centimes le kilo de poule de réforme, ce n’était plus possible. Bruno Debray voulait valoriser ses pondeuses. C’est l’abattoir de Craon (Mayenne), à 180 kilomètres, qui assure l’enlèvement, la découpe des volailles et la livraison des cuisses et suprêmes à la charcuterie du Moulin à Cherré-Au (Sarthe) plus proche (40 km). Celle-ci fabrique en prestation des rillettes et terrines sans colorant ni conservateur, en bocaux appertisés avec une DLC de trois ans. Six références au total auxquelles s’ajoutent trois plats cuisinés, poules au pot, au cidre et à la bière, commercialisés par Bruno Debray auprès de sa clientèle. Si cette diversification requiert du temps et de l’organisation, elle allège en contrepartie le poste d’achat de poulettes.
Éric Quineau, directeur associé du cabinet Fiteco
Préparer juridiquement la transmission
« Isoler la production d’œufs et la vente directe au sein de la Sasu Bruno Debray et séparer cette activité de l’atelier grandes cultures avaient plusieurs objectifs.
Dans un premier temps, il était nécessaire de se mettre en conformité par rapport au seuil légal d’achat revente de 50 000 euros annuel. Ensuite, le souhait était de préparer l’avenir et de faciliter la cession. Transmettre l’exploitation dans sa globalité aurait sans doute été plus difficile, d’une part à cause du montant des actifs, de l’importance de l’entreprise avec la gestion des activités et des salariés et d’autre part parce que tout le monde n’est pas fait pour le commerce !
Scinder l’élevage des cultures a aussi permis de clarifier la performance des activités et de chiffrer la valeur de l’atelier œufs qui, au-delà de la production, devait intégrer la dimension commerciale. Une bonne manière d’anticiper en vue de la transmission séparée."