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Clap de fin : "Nous avons choisi d'arrêter notre élevage de 67 000 poules logées en cage "

Après quarante ans de production d’œufs issus de poules en cage, la famille Bailhache a arrêté cette activité à contrecœur, victime collatérale de la mutation de la filière vers l’œuf « alternatif ».

Au-delà de leur cas personnel, Gwénaëlle et Moïse Bailhache sont inquiets pour l’avenir d’une filière œuf qui va se retrouver sans œuf bon marché et sous le feu permanent des antiélevages en claustration.
Au-delà de leur cas personnel, Gwénaëlle et Moïse Bailhache sont inquiets pour l’avenir d’une filière œuf qui va se retrouver sans œuf bon marché et sous le feu permanent des antiélevages en claustration.
© P. Le Douarin

« C’est un soulagement et c’est aussi un échec », lâche Gwenaëlle Bailhache à la sortie du bâtiment de 2500 m² qui a abrité des poules en cages pendant 20 ans. La dernière poule a été enlevée le 7 juillet, le matériel d’emballage vendu et les cages vides attendent un repreneur, ainsi que le séchoir à fientes. « Nous avons du mal à trouver des acheteurs", poursuit Gwenaëlle.

"Les cages sont relativement âgées et cette marque n’a pas la cote. Elles vont sans doute partir avec une entreprise de recyclage de métaux. C’est sans doute mieux ainsi… » Même si le matériel vieillissait, il aurait encore pu tenir dix ans, le temps de terminer de rembourser les emprunts contractés par Gwenaëlle et Moïse Bailhache. Mais rien ne s’est passé comme prévu.

Répondre aux attentes sociétales à tout prix

Les agriculteurs se sont installés sur la ferme familiale des parents de Moïse, située dans la Manche. Elle produisait du lait et des œufs, l’atelier avicole étant juridiquement séparé et tenu par Catherine, mère de Moïse et fille d’un pionnier de la pondeuse dans le département. En 2015 ils ont racheté l’atelier œuf et emprunté 590 000 euros, à rembourser sur 15 et 18 ans.

Les dates clés de la famille Bailhache

1981 création d’un élevage de poules de 25 000 places en cage par Catherine Bailhache, la mère de Moise

2002 création d’un second bâtiment attenant au 1er, contenant 83 000 poules en cages Zucami aménageables

2008 installation de Moise avec son père

2012 mises aux normes du second bâtiment avec réduction à 67 000 places ; arrêt du premier poulailler non adaptable

2013 installation de Gwenaëlle

2015 retraite de Catherine Bailhache et rachat du poulailler

 

 

Ils étaient fiers de nourrir les Français avec leurs 60 000 œufs par jour venant d’un bâtiment visité par plus de 1000 personnes lors de son inauguration en 2002. « À l’époque, c’était le must de la technologie. » Pourtant, Catherine avait longtemps hésité avec un bâtiment d’élevage au sol, pressentant que l’œuf alternatif pouvait avoir du potentiel. Ce fut d’ailleurs le choix stratégique adopté par la coopérative quelques années plus tard.

Sortie en 1999 (mais obligatoire en 2012), la directive européenne bien-être a commencé à sonner le glas de la cage. On connaît la suite. Les attentes sociétales ont été plus fortes que les résistances d’une filière française agrippée à la cage qui s’est résolue à se tourner vers l’œuf alternatif dans la précipitation.

 

En 2002, un élevage de 87 000 poules logées sur six niveaux était le must technico-économique pour les décideurs de la production d'œufs.

 

Gwenaëlle et Moïse en ont fait les frais, comme beaucoup de producteurs auxquels on n’a pas vraiment laissé le choix. Comme les autres éleveurs du groupement coopératif auquel ils appartenaient, ils ont été mis devant le fait accompli en 2021 : continuer avec un contrat de prestation de service moins avantageux, ou bien transformer l’élevage. « Nous avions un contrat d’intégration jusqu’en 2022. Le responsable de l’époque nous a clairement dit de changer de système et qu’il suffisait d’emprunter pour cela. Mais sans connaître notre situation. »

Absence d’accompagnement

 

L’année 2021 a été celle de la réflexion, des doutes et des angoisses. Toutes les hypothèses ont été examinées. « Le nouveau contrat obligeait à financer les poulettes et deux mois d’aliments, donc d’emprunter plus de 400 000 euros à court terme. On perdait environ 120 000 euros au début, puis on rentrait progressivement dans nos frais, si tout se passait bien… Pas loin, il y a eu de la grippe aviaire, sans compter les salmonelles. Le risque était trop grand et c’était reculer pour mieux sauter. »

En 2021, la situation du marché n’était pas celle d’aujourd’hui. Face à ce retournement, la coop n’a pas révisé sa proposition en 2022 note l’éleveuse. Les autres options étaient de transformer en plein air, ce qui aurait grignoté une quinzaine d’ha indispensables à la production laitière toute proche, sans compter le risque sanitaire. Faire de l’œuf sans parcours, sur un ou deux niveaux, demandait entre 450 000 € et 1,4 million d’€ d’investissement, se rajoutant à l’encours de 300 000 €. « Notre banque qui bloquait déjà sur du court terme n’aurait pas suivi et c’est toujours de l’élevage en claustration. »

Les trois scénarios envisagés par la Gaec Les grandes mares

Continuer avec un contrat en non intégré, reconductible à la bande : incertitude et risque financier

Transformer en atelier plein air : impossible vis-à-vis de l’atelier laitier (perte de foncier, risque sanitaire)

Transformer en atelier sol, avec 20-24 000 poules (450 000 € à investir) ou en volière 2 niveaux (1,4 million d’€) : trop de charge d’investissement

Moïse, même s’il n’aime pas ce terme, déplore le manque d’accompagnement réel, ni de la profession, ni des politiques. « Personne ne nous a fait de proposition concrète pour essayer de trouver une porte de sortie. On nous a laissés nous débrouiller… » La cellule Réagir aidant les agriculteurs en difficulté les a mal compris. « Cette commission nous a conseillé de placer l’exploitation en redressement judiciaire et de commencer par licencier un de nos deux salariés, alors que l’atelier lait est notre planche de salut. »

Une décision d’arrêter inévitable

Prise en octobre 2021, la décision d’arrêter a été « choisie à 25 % et subie à 75 %. » Les éleveurs ne supportaient plus le stress permanent de l’incertitude du lendemain. « Depuis le départ des poules, nous avons retrouvé plus de sérénité, même si nous savons que nous aurons 60 000 euros par an à rembourser. Nous sommes soulagés aussi parce que nous avions toujours la crainte d’être désignés comme des éleveurs qui maltraitent les animaux. » Gwenaëlle critique les médias qui relaient et amplifient les actions et les discours d’activistes animalistes bien connus. « Sur la page Facebook du Gaec, nous n’avons jamais communiqué sur les poules. Nous avions récemment mis des serrures sur toutes les portes. »

Désormais, les quarantenaires misent sur le lait, dont la production monte en puissance depuis 2019 avec l’achat d’un 3eme robot pour les 200 vaches. « Nous sommes à 1,6 million de litres avec un potentiel de 1,8 million. » Le bâtiment sera en partie reconverti pour les génisses. Gwenaëlle tient encore la gestion du Gaec, mais elle est devenue autoentrepreneuse pour faire du conseil administratif auprès d’agriculteurs et d’artisans. « Être jeunes et bien formés est une chance pour réorienter notre carrière. Tous les laissés-pour-compte de la poule en cage, en mono production ou proches de la retraite, n’ont pas ces opportunités. À certains, il ne restera que la retraite de la MSA. »

 
 

Moins de deux cents éleveurs en code 3

 

 
Clap de fin pour les poules en cage du Gaec les Grandes mares
© DGAL

Selon le ministère de l’agriculture, 423 établissements abritaient des poules en cage en 2012. Leur nombre a baissé fortement à partir de 2018-2019, avec une chute de 150 élevages au moins entre 2019 et 2021. En 2022, le nombre passera certainement sous la barre des 200. Dans le Grand ouest, le nombre d’éleveurs de code 3 n’ayant pas de solutions viables et envisageables pour en sortir serait de 30 à 40, mais ce n’est qu’une estimation, faute de déclarations des situations.

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