Bien être animal : L’ovosexage d’Orbem opérationnel au couvoir Lanckriet
Le dispositif Genus Focus inventé par la start-up munichoise Orbem a pris son envol dans les deux sites français qui l’ont acquis pour ovosexer leurs poulettes de tout type génétique. Visite au couvoir Lanckriet.
Le dispositif Genus Focus inventé par la start-up munichoise Orbem a pris son envol dans les deux sites français qui l’ont acquis pour ovosexer leurs poulettes de tout type génétique. Visite au couvoir Lanckriet.
L’interdiction d’euthanasier les frères des poules pondeuses d’œufs de consommation est entrée dans sa deuxième année d’application en France. Les cinq principales entreprises (1) qui vendent des poulettes se sont équipées du dispositif Cheggy développé par AAT ou du système Genus Focus lancé par la start-up allemande Orbem. « Pour notre part, nous avons choisi cette dernière », explique Pierre Lanckriet, PDG de l’entreprise familiale basée dans le village de Foucaucourt-en-Santerre dans la Somme.
Celui-ci ne tenait pas à utiliser des machines de la filiale d’un groupe de génétique et d’accouvage concurrent. Il y avait bien l’alternative Seleggt, consistant à percer la coquille pour en analyser le contenu. En 2021, cette solution était aboutie, mais elle était aussi trois fois plus coûteuse que celle d’AAT. De plus, le calendrier du passage à l’ovosexage imposé par l’État était très serré : moins d’un an entre la confirmation de l’interdiction de l’euthanasie en juillet 2021 et la mise en route du premier scanner en septembre 2022. « On nous a donné très peu de temps pour choisir le procédé, faire les devis de construction de l’extension de 1 400 m², monter les dossiers de demande d’aides, et réaliser les travaux. »
2 500 œufs à l’heure par scanner
Orbem avait fait la preuve de son concept, mais il lui manquait encore les retours d’expérience qui ont eu lieu à grande échelle dans les couvoirs Lanckriet et Hendrix Genetics. Pour l’application industrielle, Orbem a conclu un accord en 2022 avec la société Vencomatic. Sa filiale Prinzen a conçu les automates permettant d’acheminer les œufs embryonnés jusqu’au scanner, de les marquer et de séparer les œufs femelles des autres à détruire (œufs clairs et mâles).
Chaque appareil ne traite qu’un œuf à la fois. La cadence est largement moindre que celle à laquelle sont habitués les accouveurs.
Chez Lanckriet, deux scanners fonctionnant en parallèle ont été installés dans le nouveau hall attenant aux incubateurs. « Nous tournons à 2 500 œufs par heure et par machine, ce qui nous conduit à travailler du soir au matin tous les jours (sauf le jeudi). » Pour augmenter la vitesse, un troisième scanner est attendu ce printemps et un quatrième à terme.
Au démarrage de l’ovosexage, les œufs étaient sexés au quatorzième jour d’incubation. Grâce aux progrès de l’intelligence artificielle, ils le sont au douzième aujourd’hui. Il faut trouver le réglage aboutissant à une minimisation des rejets de femelles (perte sèche pour le couvoir) et à un taux acceptable de mâles, à trier à l’éclosion ou à gérer en élevage. Des contrôles sont régulièrement réalisés sur les œufs rejetés. Le marquage de chaque œuf ovosexé permet de comparer ces « autopsies » au verdict de l’intelligence artificielle.
Coûts de fonctionnement élevés
L’avantage de Gene Focus est de pouvoir ovosexer tous les œufs. Le couvoir Lanckriet commercialise des souches blanches et brunes, mais aussi des fermières colorées pour les éleveurs en circuits courts. « Nos essais montrent que le réglage change à chaque génétique, ce qui nous complique un peu la tâche. Jusqu’à présent, nous n’ovosexons qu’une partie des fermières, mais ce sera systématisé pour le mois de septembre. »
La faible cadence nécessite une bonne gestion des températures, compte tenu des temps d’attente. « La salle de traitement est climatisée à 29 °C et nous avons une salle de stockage temporaire à 37,2 °C pour les œufs sexés. Parallèlement la salle informatique est à 18 °C et nous avons besoin de froid pour le compresseur d’hélium liquide. » Son passage à l’état gazeux fait tomber la température à -280 °C, nécessaire pour assurer les qualités supraconductrices des aimants des scanners.
Les coûts de fonctionnement se révèlent donc élevés. Nettement réévalué à la hausse après les travaux, cet investissement de plusieurs millions d’euros pèse lourd pour l’accouveur, qui estime n’avoir pas reçu suffisamment d’aides de l’État. Une autre mauvaise surprise est arrivée fin 2023 : le niveau de prise en charge par poulette sexée commercialisée est passé de 1,11 € à 0,96 €, ne couvrant pas tous les coûts. « Nous allons jouer sur l’effet volume pour nous rattraper », assure Pierre Lanckriet, résolument optimiste.
Mêler magnétisme et intelligence artificielle
La start-up Orbem a été créée en 2019 par Pedro Gomez et des collègues en doctorat à l’université de Munich, qui travaillaient sur l’imagerie et l’intelligence artificielle.
Associant magnétisme et intelligence artificielle (IA), la technologie d’Orbem est non invasive et sans effet secondaire. L’éclosabilité n’est pas non plus impactée par le procédé. Cette méthode repose sur le magnétisme appliqué à l’imagerie médicale, plus connu sous le terme d’IRM (imagerie par résonance magnétique). Elle différencie le sexe, quelle que soit la souche de poules (brune, blanche, fermière). Selon Orbem, le système détermine le sexe en un peu moins d’une seconde.
Comme pour des examens médicaux humains, l’œuf embryonné traverse un cylindre creux aimanté dans lequel il est soumis à un fort champ magnétique. Celui-ci réoriente ses molécules d’eau (on parle de « spin ») sous l’effet de l’émission de certaines fréquences par une antenne située dans la machine. C’est le jeu des fréquences réémises (la « résonance magnétique ») par l’œuf et interprétées informatiquement qui va créer une image. L’intelligence artificielle permet ensuite de préciser s’il s’agit d’un embryon mâle ou femelle. L’IA « apprend » en compulsant les données et gagne en précision au fur et à mesure de son expérience.
Les dates à retenir pour l’ovosexage
2020 : en janvier, les ministres de l’Agriculture allemand et français (Didier Guillaume) annoncent la fin de l’euthanasie de frères de poulettes pour 2022
2021 : mi-juillet, le ministre Julien Denormandie confirme l’obligation de s’équiper de dispositifs d’ovosexage courant 2022
2022 : en février, parait le décret sur l’ovosexage et en novembre le dispositif de financement du fonctionnement est finalisé
2023 : en janvier, l’ovosexage devient obligatoire, sauf dérogation.