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Travailler dans les vignes en respectant les abeilles

L’impact des pratiques viticoles sur les abeilles n’est pas anodin. La prise en compte de certains paramètres peut éviter d’accentuer leur mortalité. Voici nos conseils pour une viticulture respectueuse des pollinisateurs.

La vigne est une plante anémogame, c’est-à-dire qu’elle n’a pas besoin de l’aide des pollinisateurs, le vent seul suffisant à sa reproduction. Nous avons donc tendance à penser que la vigne n’est pas attractive, et que nous sommes moins concernés par les précautions à prendre envers les abeilles. Et pourtant, elles sont bel et bien là. Dans les tournières, les talus, les rangées enherbées, et dans l’environnement proche des parcelles. « Nous avons étudié plusieurs systèmes agricoles, explique Amélie Mandel, animatrice du Réseau biodiversité pour les abeilles (RBA). Et nous nous sommes rendu compte que les zones viticoles étaient les plus fréquentées par les pollinisateurs sauvages. » Et pour cause. Elles disposent, a contrario des systèmes en grande culture, d’une grande diversité de plantes.

Les abeilles peuvent être impactées par les pratiques des viticulteurs de plusieurs façons. Il y a d’une part une action directe, due aux insecticides employés contre les vers de grappes et cicadelles. Et d’autre part, tous les autres produits phytosanitaires, agissant de façon indirecte. Herbicides et fongicides se retrouvent par exemple sur le pollen, ce qui peut contaminer la nourriture des larves et adultes, et affaiblir les colonies. De manière générale, les mois de mai et juin, alors que les températures permettent de traiter en pleine journée et que nombre de plantes sauvages sont en fleur, sont les périodes les plus critiques. Pour limiter ces impacts, il convient de prendre quelques précautions.

Pas de traitement pendant la floraison et tonte des adventices

Cela commence par le respect de la réglementation. L’arrêté du 28 novembre 2003 prévoit, pour protéger les insectes pollinisateurs, l’interdiction de traitements insecticides et acaricides pendant toute la durée de floraison de la vigne. Si une intervention s’impose, seuls les produits portant la mention « abeille » sont autorisés. Le mélange de pyréthrinoïde et de triazole-imidazole est par ailleurs interdit. Il stipule également que les adventices en fleur doivent être éliminées avant tout traitement.

Pour éviter de décimer les colonies, et d’autant plus en zone de lutte obligatoire contre la flavescence dorée, il est important de traiter lorsque les abeilles sont à la ruche. C’est-à-dire tôt le matin, ou mieux encore le soir. Car les ouvrières butinent dès que la température atteint les 13°C, et ne rentrent dormir qu’à la tombée de la nuit. « Il peut être intéressant d’observer les parcelles quelques jours avant, suggère Sandrine Leblond, experte abeilles et biodiversité chez BASF, pour voir comment les pollinisateurs se comportent et déduire les meilleurs horaires. De même, il est bon de descendre du tracteur pour regarder ce qu’il se passe dans la parcelle avant de commencer à traiter, quitte à repousser l’intervention en présence d’abeilles. » L’experte propose même aux viticulteurs avec qui elle travaille de faire un comptage, en suivant un protocole de quelques minutes. Lorsque des ruches sont installées à proximité des parcelles, il est également recommandé d’engager le dialogue avec l’apiculteur et de le prévenir avant toute pulvérisation.

Autre point clé : optimiser l’efficacité des traitements phytosanitaires. Plus on perd de bouillie et plus la pression sur les abeilles est forte. Les règles générales de limitation de la dérive s’appliquent donc (respect de la vitesse du vent, utilisation de buses anti-dérive ou de panneaux récupérateurs, etc). Par ailleurs, il est important de limiter la formation de grosses gouttes, où les abeilles seraient susceptibles de venir s’abreuver.

Assurer aux abeilles une eau de bonne qualité

Car il y a là un autre enjeu : les abeilles boivent, et peuvent se contaminer par le biais des gouttes sur les feuilles et des flaques d’eau. L’idéal est donc de traiter le soir, pour que les abeilles puissent profiter sans danger de la rosée du matin, surtout en période de sécheresse. D’autre part, il faut être vigilant lors du rinçage et de la vidange du pulvérisateur, et veiller à ce qu’aucune flaque de produit ne se forme.

Pour aller plus loin, les viticulteurs peuvent aussi mettre en place des mesures pour aider les abeilles à trouver leur nourriture. C’est l’objectif du programme BiodiversID, copiloté par BASF, le RBA et l’association Farre. « Nous analysons le pollen que des abeilles butinent dans des systèmes de culture viticole, confie Sandrine Leblond. Ainsi, nous pouvons déduire quelles sont les plantes les plus utiles. » Ces analyses portent sur la quantité de pollen, mais aussi sur la qualité. « La composition doit être variée, car c’est la seule source de protéine dont elles disposent, indique Amélie Mandel. On estime qu’il faut au minimum cinq familles de plantes différentes pour qu’une abeille soit en bonne santé. » Les observations de 2013 et 2014 nous enseignent que les plantains et la ronce occupent une place de choix dans le bol alimentaire des apidés, de même que le lierre. « Ce dernier est très important, même s’il a une qualité nutritive moindre, car il fleurit à une époque où la nourriture se raréfie », assure Sandrine Leblond.

Fournir du pollen en quantité et en qualité

De manière globale, il ressort de l’étude que les milieux non cultivés ont une importance particulière. « Il faut donc être vigilant sur la taille des haies. Il est également très appréciable de pratiquer des fauches tardives et différenciées, car lorsque l’on coupe tout d’un seul coup il n’y a plus de refuge pour les pollinisateurs » poursuit l’experte. Il est possible de semer des jachères apicoles sur les parcelles non cultivées. Une étude du RBA a démontré qu’une telle initiative sur 0,5 % du territoire d’une ruche, soit 1,4 are, modifie de 70 % l’alimentation des abeilles. « Il faut par contre faire attention aux fausses bonnes idées, avertit Sandrine Leblond. Comme semer un couvert de fleurs mellifères sur l’inter-rang, qui peut s’avérer être un piège à insecte. À moins de n’utiliser strictement aucun insecticide. » Dans le cadre du programme de recherche, plusieurs mélanges ont été étudiés. Le Meliflor 2 de Jouffray-Drillaud, qui contient sainfoin, mélilot, trèfle, minette et phacélie, apparaît comme un bon compromis : il est plus visité et moins cher que ses concurrents (35 à 55 €/ha contre 200 €/ha pour des mélanges d’une vingtaine d’espèces), mais moins pérenne. « Le type et la date de semis se raisonnent néanmoins au cas par cas, estime l’experte. Il est plus aléatoire sur sol sableux par exemple, et doit intervenir à l’automne sur le pourtour méditerranéen. » Une autre façon astucieuse d’aider les pollinisateurs est d’installer des « chaussettes » au pied des pylônes électriques. Il s’agit d’implanter des arbustes comme le noisetier, dont le pollen est abondant et de bonne qualité, à des endroits souvent désherbés ou laissés en friche. « En plus la fédération de chasse s’occupe de tout, c’est très facile » rapporte Sandrine Leblond.

Les abeilles sont présentes dans les tournières, les talus, les rangées enherbées… Pour limiter l’impact, il convient de prendre quelques précautions.
témoignage

Des actions peu contraignantes et qui valent la peine

" En 2011, nous avons décidé d’implanter sept ruches dans le vignoble de la colline des Cortons, pour prouver que viticulture et apiculture peuvent cohabiter. Avec la cinquantaine de viticulteurs que compose l’association, nous avons signé une charte de bonnes pratiques. Depuis nous favorisons la biodiversité autour des vignes grâce à des arbres isolés et des haies d’aubépine et de noisetier. Sur les parcelles en repos, soit 3 à 4 pourcents du vignoble, nous semons systématiquement des mélanges de moutarde, vesce, trèfle et sainfoin. Cela permet par la même occasion d’améliorer le sol. Cette charte engendre quelques contraintes, comme celle de traiter le soir, mais les viticulteurs se sont adaptés sans problème. Il faut dire que le résultat est là. Le miel que nous produisons est un véritable outil de communication, il permet de changer le regard des gens sur notre métier. L’apiculteur qui travaille avec nous est lui aussi satisfait de cette démarche, et ne constate pas de mortalité particulière, malgré le fait que nous soyons passés en zone de traitement obligatoire contre la flavescence dorée en 2013. "

 

voir plus loin

Une fiche de bonnes pratiques

La FNSEA et l’IFV ont élaboré conjointement une fiche de recommandations pédagogiques adaptée à la viticulture, pour faciliter l’application de l’arrêté du 28 novembre 2003. Ces « bonnes pratiques de traitement en floraison pour protéger les abeilles », approuvées par le ministère de l’Agriculture, sont disponibles auprès de la FNSEA et ses partenaires (JA, APCA, Coop de France, FNA).

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