Riverains : quelles sont les règles à respecter pour traiter les vignes ?
Le contexte réglementaire sur les distances de sécurité riverains a évolué depuis la dernière campagne phytosanitaire. Voici comment s’y retrouver.
C’est l’un des dossiers les plus confus de ces dernières années : les « ZNT riverains », comme nous avons l’habitude de dire dans le vignoble. Ou plus exactement les Distance de sécurité riverain (DSR), si l’on veut être précis. À terme, chaque produit sera doté d’une Distance de sécurité vis-à-vis des personnes présentes et des riverains (DSPPR), indiquée sur l’étiquette. En attendant ce jour, le législateur a mis en place un régime transitoire pour les produits qui ne sont pas encore évalués.
Très concrètement, comment procéder pour savoir à quelle distance minimale je dois traiter ? La réponse passe par trois étapes. La première chose à faire est de regarder si le produit dispose d’une DSPPR. Si ce n’est pas le cas, le cadre législatif des DSR s’applique et les cas particuliers sont dictés par les chartes départementales. Il reste alors à vérifier l’éventuelle classification CMR 1 ou 2.
Si l’AMM prévoit une DSPPR
Pour les produits nouvellement autorisés ou ceux qui ont fait l’objet d’une mise à jour récente par l’Anses (dans le cadre d’un renouvellement par exemple), les autorisations de mise en marché (AMM) contiennent obligatoirement une information sur la distance à respecter. Le paragraphe se nomme « Protection des personnes présentes et des résidents (au sens du règlement (UE) N°284/2013) », on le trouve généralement entre celui des délais de réentrée (DRE) et celui sur les limites maximales de résidus (LMR). Il indique la distance à respecter, pour ce produit, entre le « dernier rang traité et l’espace fréquenté par les personnes présentes lors du traitement, ainsi que l’espace susceptible d’être fréquenté par des résidents ». Si elle est définie, cette information doit être indiquée sur l’étiquette du produit.
Cette distance-là ne peut pas être réduite en utilisant des matériels de réduction de la dérive, à moins que cela ne soit explicitement notifié dans l’AMM. Force est de constater que sur les dernières autorisations, l’Anses n’a jamais introduit une telle spécificité. L’agence se défend en expliquant que « le cadre européen fixé par l’Efsa ne laisse que peu de latitudes », bien que le guide européen de 2014 introduise la notion de réduction de la dérive jusqu’à 50 %. « Nous avons travaillé à l’IFV pour produire de la donnée scientifique sur la réduction de la dérive via les matériels et les protections physiques, informe Adrien Vergès, ingénieur IFV spécialiste de la pulvé. Nous avons livré ces travaux à l’Efsa, qui nous a contactés et semble ouverte à les prendre en compte. » Il ne reste plus qu’à espérer que cette méthodologie soit validée au niveau européen le plus rapidement possible, et que l’Anses s’en saisisse.
La profession s’est émue par ailleurs de l’apparition de DSPPR importante pour des produits de biocontrôle, comme pour le Vitisan d’Andermatt, à base d’hydrogénocarbonate de potassium, dont la valeur est fixée à 10 mètres. Interrogée sur le sujet, l’Anses nous a répondu ne pas agir de façon arbitraire, « le classement d’un produit pouvant relever d’un coformulant ».
Si l’AMM ne précise rien
Dans les cas où les produits n’ont pas encore été révisés, ce qui représente actuellement une large majorité, l’arrêté du 27 décembre 2019 sur les DSR s’applique. La règle de base, pour la vigne, est de ne pas traiter à moins de 10 mètres de la limite de propriété d’une habitation. Sont toutefois exemptés de cet arrêté les produits de biocontrôle, ceux utilisables en agriculture biologique et les substances de base. La distance de 10 mètres peut être réduite en utilisant des matériels limitant la dérive (face-par-face et panneaux récupérateurs) seulement si la charte d’engagement départementale le permet. Il s’agit donc pour chaque viticulteur de prendre connaissance du document issu de la concertation locale, émis par la préfecture. Les chambres d’agriculture départementales sont parties prenantes et ont la charge de la diffusion des « chartes d’engagement de l’utilisateur ». Concernant ces chartes, dont la légitimité a été attaquée en justice par les associations environnementales l’an dernier, le Conseil d’État a introduit de nouveaux éléments fin 2022. Les principales évolutions portent sur la prise en compte, en plus des habitations, des lieux accueillant des travailleurs de façon régulière ; ainsi que la nécessité d’informer le voisinage de l’application de produit en amont du traitement. « Il est fort probable qu’il y ait de nouveaux recours en justice cette année de la part des associations environnementales, pour faire tomber ces chartes, indique Christian Durlin, administrateur de la FNSEA. Une vingtaine de départements seraient déjà en ligne de mire. » Cela laisse donc planer le spectre d’une nouvelle recommandation du Conseil d’État et d’un nouveau cadre d’application pour la campagne 2024.
Si le produit est classé CMR
Pour les produits classés cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), les distances de sécurité riverain sont incompressibles. Les produits de deuxième catégorie (CMR2) sont affectés d’une distance de 10 mètres et ceux de première catégorie (CMR1) ne doivent pas être épandus à moins de 20 mètres. Ceci est valable même si l’on emploie des matériels performants pour réduire la dérive, comme les panneaux récupérateurs. Il est possible de définir le caractère CMR ou non du produit en regardant les phrases de risque sur l’étiquette. Les mentions H340, H350 et H360 indiquent que le produit est un CMR1. Celles H341, H351 et H361 traduisent un classement CMR2.
voir plus clair
Le ministère de l’Agriculture a édité le 30 mars dernier la liste à jour des produits pour lesquels la distance de sécurité doit être de 20 mètres et non réductible. Sont concernés en vigne : Calgary, Cazovincar, Copless, Dytoram WG, Enervin team, Folpec dimeo, Forum gold/top, Funki, HD DI-ME, Metaidime9, Metomor F, Milduedan, Pantheos, Presidium, Sodina top, Speedy duo SC, Spyrit WG, Valis plus, Vincare, Vintage C disperss, Vintecile C, et Vitimil.
Près de 35 % du vignoble à moins de 150 mètres d’habitations
Nicolas Guilpart, maître de conférences à AgroParisTech, et ses collègues de l’UMR Agronomie, ont publié une étude fin 2022 sur la proximité entre les zones résidentielles et les parcelles agricoles en France. Selon leurs calculs, 1579 hectares de vigne sont situés à moins de 10 mètres de bâtiments résidentiels, soit 0,2 % du vignoble hexagonal. En élargissant à 50 mètres, le chiffre grimpe à 49 142 hectares, et en prenant une zone de non-traitement de 150 mètres, comme le demandent certaines associations environnementales, les chercheurs avancent la superficie de 262 242 hectares, soit 35 % des vignes françaises ! Les départements où la vigne serait, dans un tel cas, la culture la plus touchée sont l’Aude, l’Hérault, le Gard, la Gironde, les Pyrénées-Orientales, le Var et le Vaucluse. Les auteurs de l’étude précisent qu’une telle politique pourrait avoir un impact fort sur la production agricole française.
La gestion des AMM de retour au ministère ?
Le 21 février dernier, Christiane Lambert, s’exprimant au sujet du S-métolachlore, a plaidé pour que les décisions d’autorisation de mise en marché (AMM) reviennent au ministère de l’Agriculture et non pas à l’Anses, comme c’était le cas avant 2015. Pour la présidente de la FNSEA de l’époque, l’Anses évalue les risques, alors que le ministre évalue la balance bénéfice/risque. L’intéressé, Marc Fesneau, a convenu lors de son discours au congrès du syndicat majoritaire que « l’Anses n’a pas vocation à décider de tout […] et sans jamais penser les conséquences pour nos filières », ajoutant qu’il aime prendre des décisions politiques et ne sera pas « le ministre qui abandonnera des décisions stratégiques pour notre souveraineté alimentaire à la seule appréciation d’une agence ». Selon nos confrères d’Agra Presse, cette sortie ne serait pas anodine, et pourrait laisser présager des changements dans l’organisation.