Quand enherbement et eau font bon ménage
Enherber entraîne une concurrence hydrique mais permet une meilleure mise en réserve de l’eau. Une gestion pointue des couverts permet de cumuler les avantages de cette technique sans en subir les inconvénients.
Enherber entraîne une concurrence hydrique mais permet une meilleure mise en réserve de l’eau. Une gestion pointue des couverts permet de cumuler les avantages de cette technique sans en subir les inconvénients.
En région méditerranéenne, bon nombre de viticulteurs restent réticents à l’enherbement interrang, même un rang sur deux, notamment à cause de la concurrence hydrique jugée trop sévère pour la vigne. Dommage, « car la présence d’un couvert végétal permet une meilleure infiltration de l’eau, et un supplément de recharge pouvant aller jusqu’à 60 % par rapport à un sol nu », informe Christian Gary, chercheur Inra à l’UMR System de Montpellier. D’ailleurs, ces viticulteurs se privent par la même occasion de beaucoup d’autres services rendus par l’herbe, comme les gains de biodiversité et de portance ou la réduction de l’érosion.
Toutefois, Rémi Gaudin et Florian Celette, de l’UMR System, ont montré que ce supplément de recharge hydrique hivernal n’est pas suffisant pour compenser la hausse d’évapotranspiration générée par un enherbement permanent en été. « L’enjeu est d’imaginer des itinéraires techniques plus pointus, permettant d’allier les avantages d’un couvert végétal et de s’affranchir des inconvénients », estime Aurélie Metay, enseignant-chercheur à Montpellier SupAgro.
Des viticulteurs déjà engagés dans l’expérimentation
Certains viticulteurs ont déjà commencé à expérimenter de telles démarches sur leurs parcelles. Parmi eux, se trouve Frédéric Albaret, vigneron au domaine Saint Antonin à Cabrerolles, dans l’Hérault. « J’ai essayé l’enherbement naturel maîtrisé un rang sur deux pendant quelques années, témoigne-t-il. Mais la vigne a eu des gros coups de stress et les rendements ont chuté. Sans parler de la végétation qui dégénère au fil du temps : je me suis retrouvé avec des séneçons et des graminées… » Il s’est donc lancé dans un protocole avec culture hivernale et mulching. Pour la première année, il a choisi de semer un mélange de vesce commune et de seigle au 20 octobre. Une date qu’il estime un peu tardive avec le recul. « J’ai testé le semis sur des rangs travaillés ou en direct. Mais semer dès le début sous couvert est très aléatoire », avoue Frédéric Albaret. En janvier, il a apporté six tonnes par hectare de marc composté, pour aider la culture interrang, mais aussi pour éviter la concurrence azotée avec la vigne. Il s’est donc retrouvé avec un couvert homogène d’environ 80 centimètres de haut qu’il a plié au Rolofaca en mai. « C’est un peu tôt, estime-t-il, mais ça a marché. J’ai obtenu un paillis dense. » Le but est a priori atteint : malgré la présence de quelques adventices, le mulch rempli relativement bien son rôle, et le viticulteur n’observe pas de concurrence azotée, ni hydrique. Pour ce dernier point, ce serait même l’inverse. « Sur les rangs ainsi conduits, les sols étaient bien plus frais au printemps, même si l’effet s’est un peu estompé en été », indique-t-il. L’an prochain, il essaiera de troquer la vesce commune contre la velue, aux racines plus superficielles. Et si le rapport C/N augmente trop, il s’adaptera en la remplaçant par de la luzerne ou du trèfle.
Un cycle annuel comprenant deux semis
Sur la commune voisine de Laurens, Cédric Guy, vigneron à l’Abbaye Sylva Plana, combine lui aussi avec succès enherbement et non-concurrence hydrique, bien qu’il ait un itinéraire un peu différent. Il sème des légumineuses et/ou des crucifères entre août et octobre, qu’il plie au Rolofaca en fin d’hiver. « Et je réalise dans la foulée un semis direct avec une céréale de printemps, informe-t-il. Un nouveau couvert que je roule, également au Rolofaca, début juin, juste avant la floraison. » Mais il faut, selon Cédric Guy, un certain nombre d’années pour que le système soit autonome et non concurrentiel. « Pour réduire ce délai il est possible de réduire la largeur de l’enherbement avec un travail intercep du sol plus large », assure-t-il. Par exemple, pour une vigne plantée à 2 mètres d’interrang, il sème sur 0,50 mètre au départ, puis 1 mètre de large l’année suivante, et 1,50 mètre ensuite. Il prend soin également de nourrir les semis dès le départ, avec des engrais ou des composts liquides, de façon à avoir une densité correcte. Jusqu’à présent, le système le plus performant observé dans les vignes de Sylva Plana (sols de schistes très secs et peu profonds) est une association de vesce commune et sainfoin en automne, puis d’orge ou de blé au printemps.
Les deux viticulteurs sont suivis par Léo Garcia, doctorant à Montpellier SupAgro. L’objectif de sa thèse est d’évaluer comment la dynamique de croissance de 15 espèces végétales influe sur le bilan hydrique des parcelles. Et ce, afin de sélectionner celles qui répondent aux services attendus par les professionnels, avec une stratégie de culture hivernale et mulching. « À terme, nous devrions aussi pouvoir formuler des indicateurs de pilotage et des règles de décision précises pour la mise en place, l’entretien et la destruction des espèces pour les viticulteurs », précise Aurélie Metay, encadrante de la thèse.
Choisir son espèce en fonction du service attendu
17 génotypes d’espèces végétales ont été caractérisés par Xavier Delpuech, de l’IFV Rhône-Méditerranée, en fonction de critères spécifiques. Cela permet au viticulteur de choisir son enherbement par rapport à ses attentes : si l’objectif est d’avoir un couvert pérenne et moyennement concurrentiel, le plantain et la fétuque rouge sont indiqués. Pour réduire la vigueur, mieux vaut sélectionner un dactyle ou une fétuque élevée. Enfin, le brome des toits et le trèfle souterrain (variété Dalkeith) permettent une bonne maîtrise des adventices et un potentiel de concurrence faible, mais ont une pérennité de deux ans.