Les trognes peuvent apporter de multiples bénéfices aux viticulteurs
Que ce soit pour cultiver la matière organique ou la biodiversité, les arbres en forme de trogne réinvestissent nos paysages. Lumière sur cette pratique oubliée.
Que ce soit pour cultiver la matière organique ou la biodiversité, les arbres en forme de trogne réinvestissent nos paysages. Lumière sur cette pratique oubliée.
On les appelle trognes, têtards ou parfois même arbres paysans. Autrefois, les fermiers les cultivaient aux quatre coins de la campagne pour se faire du bois de chauffage, alimenter le four à pain, produire du fourrage ou encore donner l’osier nécessaire à la vannerie. « Et puis les énergies fossiles ont peu à peu remplacé l’usage du bois », retrace Dominique Mansion, spécialiste des trognes. La pratique est ainsi tombée en désuétude.
Mais depuis quelques années, ces arbres regagnent petit à petit des lettres de noblesse. Il faut dire qu’au-delà de l’aspect purement patrimonial, il peut y avoir un véritable enjeu pour les viticulteurs, qui ont de quoi en tirer divers bénéfices. « Avoir des trognes à proximité des parcelles de vigne est par exemple un moyen de produire de la biomasse que l’on pourra utiliser pour restituer de la matière organique aux sols viticoles », illustre Dominique Mansion. Le bois produit par ces arbres peut être broyé pour faire du BRF (bois raméal fragmenté) utilisé en couvre-sol pour le paillage puis l’enrichissement de la vie du sol.
Mais les trognes sont aussi un incroyable réservoir de biodiversité. En début de vie, elles servent de perchoirs pour les rapaces. Puis, au fur et à mesure qu’elles vieillissent et forment des cavités, elles accueillent petit à petit des chauves-souris et une foule d’insectes. « À chaque fois que l’on réalise une coupe, il n’y a pas cicatrisation mais recouvrement, explique le spécialiste. L’arbre compartimente la plaie. Ainsi, il y a une production de cavités nombreuses et cela rapidement. » Cette biodiversité aide à la régulation naturelle des équilibres au vignoble. Les chauves-souris sont d’ailleurs friandes de vers de grappes, et peuvent manger jusqu’à 3 000 insectes dans une nuit, soit un tiers de leur poids !
Une implantation intraparcellaire pour former des parasols à vigne
Certains viticulteurs n’hésitent pas à introduire les trognes directement dans les parcelles. « Cela ajoute alors le troisième bénéfice d’offrir un ombrage contrôlé à la vigne, dans le but d’anticiper l’impact du climat », ajoute Dominique Mansion. C’est le cas de Frédéric Berne, vigneron au Château des vergers, à Lantignié dans le Rhône. Il a lancé en 2019 une expérimentation sur trois hectares de plantations nouvelles de gamay, et implanté 300 arbres par hectare d’essences diverses (peuplier noir, cerisier, mûrier blanc, charme commun, érable champêtre, orme commun…). Les premiers arbres ont déjà été étêtés à 1,5 m du sol et taillés en boule. « Je vois cela un peu comme des futurs parasols, qui permettront de climatiser la vigne », commente-t-il.
L’avantage d’avoir des trognes en agroforesterie, plutôt que des arbres en forme libre, c’est que l’on peut maîtriser l’ombrage, et qu’on peut les contraindre si besoin pour le passage du tracteur. De plus, les trognes classiques (en têtard) sont d’une simplicité enfantine à tailler. Comme de nombreux défenseurs de l’agroforesterie, Dominique Mansion et Frédéric Berne voient l’arbre au sein des parcelles comme un vecteur de vitalité pour la vigne. « On commence à étudier ce qu’il se passe sous terre, mais il y a encore beaucoup de mystère, relate Dominique Mansion. Il semblerait que le fait de tailler régulièrement les trognes crée une stimulation mycorhizienne. C’est peut-être une explication au fait que les trognes vivent généralement plus longtemps. » Pour lui, la concurrence serait également moindre qu’avec un arbre en forme libre, car en réduisant la canopée, on réduit le besoin aérien et le donc le potentiel sous-terrain.
En ce qui concerne les associations, le spécialiste donne une liste des possibles assez large. L’orme, l’érable ou encore le mûrier s’associent naturellement à la vigne, mais tous les arbres sont potentiellement candidats. Bien qu’il faille éviter les essences qui drageonnent, comme le robinier faux-acacia. « Le domaine Émile Grelier à Bordeaux s’est également rendu compte que le chêne est peu compatible, complète Dominique Mansion. Mais il y a sûrement des choses à expérimenter, c’est d’ailleurs ainsi que l’on fera avancer les connaissances. » Et de citer le paulownia, essence venant d’Asie devant faire ses preuves, qui suscite l’intérêt des quelques agriculteurs du fait de sa croissance extrêmement rapide.
Tailler les arbres têtards tous les cinq à six ans pour faire du BRF
Une fois les trognes créées, il ne reste plus qu’à définir le cycle de taille, variable selon les usages. Faire des bûches pour la cheminée demande du temps et nécessite des têtards de grande ampleur, qui seront plutôt à réserver aux bords de parcelles. Il faut compter une dizaine d’années pour avoir un bois assez épais pour l’utiliser dans la cheminée. Si l’on s’oriente vers une stratégie de bois déchiqueté, que ce soit pour le paillage ou autre, les cycles de coupe peuvent être réduits à cinq ou six ans. Les cycles annuels donnent des rameaux de faible diamètre, et sont à réserver aux usages sous forme de fagots, de fourrages ou bien d’osier, pour peu que l’on cultive du saule blanc. Un osier qui peut être utilisé pour lier la vigne. « Certains grands domaines viticoles prestigieux à Bordeaux se sont remis à utiliser des liens en osier pour attacher », glisse Dominique Mansion.
Frédéric Berne, de son côté, n’a pas encore défini son cycle de taille. Les premières branches qu’il a coupées sur les arbres les plus avancés, il les a restituées au sol sans les broyer. « Je verrai suivant les espèces et les terrains, car certains sols sont pauvres, prévoit-il. Je pense utiliser des petites branches pour apporter de la matière organique, et si la pousse est bonne peut-être que je laisserai des grosses branches pour la cheminée. Qui sait, à l’heure de la retraite ça pourrait aussi me donner quelques belles billes de bois pour faire des meubles ! » En attendant, le vigneron se dit satisfait de sa démarche. Il y voit une notion d’agronomie mais aussi de plaisir et de durabilité. « Souvent, quand les gens s’y remettent, ils sont très enthousiastes. C’est un pas vers plus d’autonomie et une moindre dépendance aux énergies fossiles », commente Dominique Mansion. Le spécialiste est convaincu que les trognes ont un avenir tout tracé. « Les choses changent. Auparavant les entreprises du secteur des espaces verts ne savaient que faire du bois déchiqueté, c’était un déchet encombrant. Aujourd’hui, ils le vendent », fait-il remarquer. De là à imaginer des sociétés spécialisées dans l’entretien de trognes chez les agriculteurs, il n’y a qu’un pas !
comprendre
Une trogne est un arbre, qui peut être d’essence variée, que l’on taille toujours à la même hauteur de façon plus ou moins régulière, et dont on tire un bénéfice du fruit de la coupe. Grâce aux bourgeons dormants situés sous l’écorce, l’arbre émet de nombreuses réitérations qui forment de nouvelles branches rapidement, grâce à un système racinaire bien implanté. L’avantage de couper en hauteur et non à la base réside dans la mise hors de portée des herbivores, et dans les bénéfices apportés par les réserves contenues dans le tronc et la tête du têtard.
Comment former une trogne ?
Pour établir une trogne, Dominique Mansion conseille de planter un arbre champêtre, jeune de préférence pour assurer une meilleure reprise. Quand le diamètre du tronc atteint trois à quatre centimètres, il faut alors étêter l’individu à la hauteur où l’on souhaite établir la trogne et couper toutes les branches latérales. La période allant de novembre à février est idéale pour cela. Créer une trogne à partir d’un arbre adulte est possible mais plus compliqué, car le nombre de bourgeons dormants sous l’écorce diminue avec le temps. Toutes les essences ne réagissent pas de la même manière. « Plus l’arbre est vieux, plus c’est traumatisant pour lui », informe le spécialiste. Pour les individus adultes, il faut alors intervenir non pas sur le tronc mais sur les branches charpentières.