Les macérations longues gagnent les blancs
Les macérations longues ne sont plus l’apanage des vins rouges. Quelques vignerons les ont adoptées sur vendange blanche, non seulement pour élaborer des cuvées de vins orange mais également dans le but d’enrichir leurs vins blancs. Témoignages.
Les macérations longues ne sont plus l’apanage des vins rouges. Quelques vignerons les ont adoptées sur vendange blanche, non seulement pour élaborer des cuvées de vins orange mais également dans le but d’enrichir leurs vins blancs. Témoignages.
Les cuvées de vins orange se sont multipliées ces dernières années. « La quatrième couleur du vin », comme certains l’appellent, s’obtient par macération de plusieurs semaines des pellicules de raisins blancs dans le jus. Outre la couleur orangée, la macération apporte souvent davantage de complexité aromatique, de volume et de structure mais aussi plus ou moins d’amertume et d’astringence en finale. Un profil apprécié par certains consommateurs. La technique présente un autre intérêt : elle commence à faire des émules pour améliorer la qualité des vins blancs, sans trop les colorer.
C’est le cas au domaine Turner-Pageot dans le Languedoc qui a testé les macérations longues dès 2008 sur marsanne, un cépage rustique. « Depuis j’ai pris confiance et je macère une partie de mes chardonnays, sauvignons et picpouls blancs, témoigne Emmanuel Pageot. Maintenant j’en mets dans tous mes vins blancs, à raison de 20 à 30 %. C’est un peu une signature maison : on obtient surtout davantage de salinité, de fraîcheur mais aussi davantage de texture et des amers intéressants. Mes sauvignons et mes picpouls ont gagné un nez de citron confit et en bouche l’amer du zeste. »
Une variété de méthodes selon l’objectif choisi
Comme pour les rouges, plusieurs techniques de macération des vendanges blanches peuvent se décliner. Le vigneron languedocien a lui opté pour des macérations de quatre à huit semaines sur une partie de sa récolte, non éraflée et foulée aux pieds. « Les rafles apportent les tanins et sont antioxydantes. La durée de macération dépend de leur maturité. » Quelques légers pigeages suffisent, complétés par une macération postfermentaire d’une dizaine de jours à plus de 35 °C, « pour libérer des polysaccharides qui vont enrober les tanins ». Après décuvage, vin de presse et vin de goutte sont assemblés. La masse tannique, alors importante, nécessite un élevage long de deux ans en fût et encore un an en bouteille après assemblage. Le vin est toujours considéré comme blanc et non orange. « L’impact sur la couleur dépend de l’acidité : sur un sauvignon acide la couleur augmente peu, sur un cépage à faible acidité, elle sera plus dorée. »
Autre région, autre méthode. En Alsace, Jean Pierre Rietsch, adepte de la macération depuis 2012, assemble dès la vendange des grains entiers à des jus pressés classiquement. « À la récolte, les raisins les plus mûrs sont sélectionnés, les autres sont pressés et débourbés. On garde au plus 50 % de vendange entière, non foulée, parfois éraflée, dans au moins 50 % de jus. » Là encore, les remontages sont limités. La macération dure huit à vingt jours avec quelques pigeages tardifs pour libérer les sucres, ce qui prolonge la fermentation et donc la protection de la cuvée par le CO2 dégagé. « Sur les cépages peu acides comme le gewurztraminer et le muscat, on apporte surtout de la fraîcheur et de la tenue en bouche, avec de jolies amertumes. Sur les rieslings et sylvaners, plus acides, on va limiter la macération à huit jours et érafler, pour avoir une tanicité soyeuse mais sans le côté végétal. Nous avons également fait un essai intéressant sur savagnin rose en 2018 en ajoutant juste 3 ou 4 bacs de vendange entière à 15hl de jus. »
La macération carbonique pour plus d’arômes
Toujours en Alsace, au Vignoble du Rêveur, Mathieu Deiss et Emmanuelle Milan élaborent depuis 2013 deux cuvées de riesling et gewurztraminer, avec une macération semi-carbonique de dix jours sur 20 % de la récolte. Les raisins les plus mûrs (20 %) sont encuvés entiers, les autres (80 %) sont pressés et fermentés classiquement à part. L’assemblage des deux intervient souvent en fin de fermentation alcoolique, après décuvage et pressurage de la cuvée macérée. L’intérêt est en partie pratique : « la macération apporte de l’azote et d’autres nutriments, ce qui aide à terminer les fermentations des cuvées classiques ». Les tanins extraits et le CO2 protègent de l’oxydation les cuvées sans sulfites. En dégustation, « les vins ressortent plus gras, avec des arômes floraux de pivoine. On apporte en plus un squelette au gewurztraminer, une structure basée non plus sur l’acidité mais sur la structure tannique et on augmente sa durée de vieillissement ».
Ailleurs aussi, plusieurs vignerons s’essaient à la « carbo » sur blancs pour le côté aromatique. Dans le Valais suisse, Julien Guillon l’a testée sur tous ses cépages blancs en 2018. « Globalement tout est intéressant, on amplifie les arômes, avec un côté un peu citronné et beaucoup de pamplemousse sur le pinot gris ou de pêche sur la petite arvine. En bouche, on redonne de la tension au chasselas qui est souvent plat. Après quinze jours de carbo, les couleurs se teintent légèrement sans être orange. »
À Gaillac dans le Tarn, au Domaine de Brousse, Amandine Boissel s’est amusée à une macération carbonique sur 10 hl de loin de l’œil. « Après dix jours de carbo, je m’attendais à un vin orange mais j’ai obtenu une belle couleur dorée, avec beaucoup de floral et de fraîcheur. En bouche, c’est particulier : le goût de rafle était très présent au départ mais s’est estompé depuis, l’amertume commence à se patiner avec le temps. Il faudra voir après plusieurs mois d’élevage. »
Pour l’instant la macération des blancs reste une niche qui séduit surtout les vignerons en biodynamie ou adeptes de vins « naturels ». La technique est à suivre.
Voir plus loin
Une macération qui n’est pas sans risque
Pour réussir une macération, l’idéal est de sélectionner une récolte très qualitative, saine et mûre. Comme pour les rouges, la maturité phénolique est nécessaire, avec des pépins bruns et peu de rafles vertes, pour éviter d’apporter trop de végétal.
En vinification, le haut du chapeau peut facilement évoluer, avec formation de volatile. Lorsque c’est le cas, certains vignerons conseillent d’éliminer la couche de vendange altérée, avant de procéder à un remontage, ou bien d’abréger la macération en décuvant. En macération carbonique, il est impératif de bien fermer la cuve et de saturer en CO2.
Les tanins extraits, souvent trop marquants sur vin jeune, nécessitent un élevage long pour les assouplir, si possible sur lies avec oxydation ménagée. À noter que la quantité de lies est plus importante pour les vins macérés que pour des vins blancs issus de jus préalablement débourbés.
Témoignage
« La carbo pour masquer les aromes exubérants du muscat"
« J’élabore une cuvée 100 % muscat petits grains en macération carbonique de huit jours. Le muscat se prête bien à la carbo car elle masque ses arômes trop exubérants. Pour moi, un muscat trop aromatique peut vite devenir écoeurant, « putassier ». La vendange entière est encuvée en cuve saturée en CO2, le fond légèrement foulé. Ensuite, je ferme presque hermétiquement et tire les jus tous les jours pour ne garder que les grappes qui macèrent à moins de 24°C. Après pressurage, presses et jus de coule sont séparés. Leur fermentation se termine en barriques de quatre ans, suivent un élevage de six mois sur lies et l’assemblage. En général, je préfère le jus de coule mais j’aime l’amertume des presses, comparable à celle des bières houblonnées.
Depuis 2014, je vinifie également une cuvée plus orange, assemblage muscat d’Alexandrie, macabeu. Je procède à un « millefeuille », de vendange égrappée et non égrappée qui macère six mois, avec juste quelques pigeages. Les rafles diminuent le degré d’alcool et redonnent de la fraîcheur. Elles ne marquent pas trop les vins, en fait on a une impression moins tannique après une macération de six mois qu’après une carbo, le vin « digère » ses tanins sous marc. »