"Le compagnonnage garantit un apprenti motivé"
Le domaine Thénard, à Givry, embauche des aspirants Compagnons du Devoir. Pour les vignerons, c’est l’assurance d’avoir un jeune motivé, avec un bon état d’esprit.
Le domaine Thénard, à Givry, embauche des aspirants Compagnons du Devoir. Pour les vignerons, c’est l’assurance d’avoir un jeune motivé, avec un bon état d’esprit.
Rigueur, passion, ouverture d’esprit… En rencontrant Dorian Baillet, on se rend vite compte des qualités qui caractérisent les Compagnons du Devoir et du Tour de France. C’est d’ailleurs ce qu’apprécient Jean-Baptiste et Dominique Bordeaux-Montrieux, propriétaires du domaine familial Thénard à Givry, en Saône et Loire, chez qui le jeune homme travaille depuis septembre dernier. Depuis peu, la célèbre association ouvrière a ouvert une formation pour devenir Compagnon vigneron. « Nous avons souvent eu des stagiaires, notamment des élèves de BTSA viticulture-œnologie, avec lesquels tout s’est bien passé, explique Dominique Bordeaux-Montrieux. Mais Dorian fait preuve d’une plus grande maturité. » « Le compagnonnage, c’est un état d’esprit fabuleux, complète son mari, on a forcément des gens motivés. Le fonctionnement et l’éthique de ces maisons font que ceux qui ne le sont pas sont renvoyés ou bien partent d’eux-mêmes. » En effet, lorsque l’on voit l’exigence imposée par cette formation, on imagine aisément le degré de motivation des apprentis. Cinq années durant, les jeunes travaillent à temps complet en entreprise, et assistent aux cours du soir de 20 heures à 22 heures, ainsi que le samedi. La nécessité de réaliser un "Tour de France" leur impose par ailleurs de changer de région chaque année. « C’est un contrat de professionnalisation d’un an basé sur 35 heures par semaine, avec possibilité de faire des heures supplémentaires, décrit Dominique Bordeaux-Montrieux. Comme pour un employé normal. » Et c’est là une différence majeure avec les autres formules d’apprentissage.
Une faible charge de travail pour le tuteur en entreprise
Car habituellement, l’étudiant suit une alternance stricte (deux semaines en entreprise et deux semaines à l’école, par exemple), ce qui peut être difficile à gérer sur le plan pratique, et ne représente au final qu’un peu plus d’un mi-temps. Comme pour un apprenti classique, l’entreprise désigne un tuteur, chargé de l’encadrer. « Cela ne représente pas une grosse charge de travail, témoigne Patrick Perret, chef de culture et tuteur de Dorian Baillet. Il réalise les mêmes tâches que les autres, et le fait qu’il soit employé à temps complet évite tout problème organisationnel. Je trouve ce fonctionnement très bien. En plus il rapporte de l’école des connaissances nouvelles et nous amène à nous remettre en question. C’est ainsi que nous nous sommes mis à la taille Poussard par exemple. » De plus, les cours du soir étant en autogestion, cela permet une certaine flexibilité sur les horaires, notamment au moment des vendanges. La seule contrainte à prendre en compte, ce sont les sept semaines de formation supplémentaires réparties dans l’année. « Il faut prévoir également deux journées où le prévôt, qui gère la maison locale des Compagnons, vient nous rendre visite pour faire le point sur le bon déroulement de la formation », indique Dominique Bordeaux-Montrieux. Toutefois, les avantages d’une telle formule ont un coût « qui est plus important qu’un simple stagiaire » relève la vigneronne. Contrairement aux contrats de stage ou d’alternance classiques, le salaire n’est pas un pourcentage du SMIC qui évolue en fonction des années, mais un SMIC complet durant tout le cursus.
La formation est remboursée par les organismes financeurs
« Nous ne disposons malheureusement pas d’aide spéciale à l’embauche, cela coûte la même chose qu’un autre salarié », regrette la propriétaire. Par contre, le coût de la formation, qui doit être pris en charge par l’entreprise, a été intégralement remboursé par le Fonds national d’assurance formation des salariés des exploitations et entreprises agricoles (Fafsea). « En terme administratif, c’est finalement assez simple. Les Compagnons sont très organisés et très rigoureux, et ils s’occupent de tous les papiers, rassure Dominique Bordeaux-Montrieux. Il ne me reste plus qu’à gérer la MSA. » Si l’aspirant Compagnon coûte plus cher que le stagiaire, il a en revanche bien des atouts. « Un stagiaire ne reste pas longtemps, constate Jean-Baptiste Bordeaux-Montrieux, il n’a pas le temps d’être pleinement efficace. Dans le cas de Dorian nous avons appris à nous connaître et je sais que je peux lui faire confiance. » Il faut dire que l’aspirant avait déjà son diplôme en arrivant au domaine, ce qui l’a aidé à être rapidement efficace.
Un autre avantage de ces jeunes découle de la philosophie de vie en communauté. Car au sein des maisons, où logent les aspirants Compagnons, tous les corps de métier sont mélangés. « Nous avons beaucoup d’interactions avec les autres, confirme Dorian Baillet. On communique, on échange, on s’entraide, même si cela dépasse notre propre secteur d’activité. Au final je n’apprends pas qu’un seul métier, c’est très enrichissant. » Le jeune homme profite par exemple des compétences de ses collègues chaudronniers pour apprendre à souder, ce qui n’est jamais superflu sur une exploitation viticole ! Il a même la possibilité, au long de ses cinq ans, de passer en parallèle un BEP dans un ou plusieurs domaines d’expertise des Compagnons.
Une qualification plus appréciée qu’un simple diplôme
À l’issue du Tour de France, l’idée est que le Compagnon soit complètement autonome. C’est donc une formule intéressante pour le jeune comme pour le futur employeur. L’un dispose d’une insertion dans le monde du travail (ou de l’entreprenariat) facilitée, l’autre d’une assurance que le candidat possède le diplôme et la technique. « Dans notre métier, la formation pratique est importante, confirme Jean-Baptiste Bordeaux-Montrieux, et nous avons besoin de professionnels ayant acquis ces compétences. » En aidant les aspirants Compagnons à se former, le domaine fait ainsi monter le niveau global de qualification, ce qui profite à toute la filière. Dès septembre, Dorian Baillet continuera son Tour de France à Sancerre, et le domaine Thénard, conquis par cette première expérience, accueillera un nouveau Compagnon.
L’apprentissage du savoir-faire et du savoir être
« Les Compagnons du Devoir et du Tour de France » est une association ouvrière, qui trouve ses racines dans une pratique ancestrale. Dès le Moyen-Âge, les artisans se sont organisés pour pérenniser l’excellence des métiers traditionnels tels que l’ébénisterie, la taille de pierre, etc. Il existe en France trois associations de ce type, reconnues au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Le principe repose sur plusieurs valeurs fondamentales comme la transmission, la communauté, le travail bien fait ou encore le voyage. Le jeune apprenti doit réaliser un Tour de France d’au moins cinq ans, et n’accède au statut de Compagnon qu’après avoir rendu un « chef-d’œuvre de réception » qui prouve ses capacités. Ensuite, il doit deux ans à la communauté, où il peut servir en tant que prévôt, formateur… Un réseau de maisons accueille les itinérants sous le même toit, qu’ils fassent partie du corps des bâtiments, des métiers de bouche ou bien des matériaux souples. Depuis 2016, l’association propose un BTS viticulture-œnologie en itinérance, en trois ans (via le réseau Préférence Formation), et une licence devrait voir le jour prochainement. À l’heure actuelle, on ne compte qu’un seul Compagnon et douze aspirants en France.
Domaine Thénard
Surface 22 hectares
Production AOP givry, givry premier cru, corton, grand échezeaux, chassagne-montrachet, montrachet, pernand-vergelesses premier cru
Volume annuel moyen 1 000 hectolitres
Salariés 10 ETP, dont les deux propriétaires
Prix caveau de 9 à 40 euros