La cuve œuf béton sort du lot
Le centre de recherche viticole de Corse réalise
des essais sur l’impact de la forme et du matériau de la cuve sur le vin, depuis 2012. Les premiers résultats, obtenus sur les cépages locaux, placent l’œuf béton en pôle position.
dont celui d’apporter
du gras
au vin.
Le centre de recherche viticole de Corse (CRVI) expérimente, grâce à un financement de la direction de l’enseignement supérieur de la région corse, l’impact de la forme et du matériau des cuves, tant sur rouge que sur blanc, depuis 2012. Le but : déterminer quel contenant permettrait de « polir » rapidement les tannins quelquefois un peu rêches du niellucciu en rouge et en blanc (vermentinu), analyser ce que les différentes cuves apportent lorsque la fermentation et l’élevage s’y déroulent.
Ainsi, le centre de recherche a comparé, tant sur rouge (cépage niellucciu) que sur blanc (cépage vermentinu) le passage dans une cuve œuf en béton, une cuve carrée en béton et une cuve carrée en inox, toutes d’un volume d’environ sept hectolitres.
En 2013, des amphores ont également été intégrées à l’essai sur blancs, avec une vinification sans sulfite, et des Flextanks (un carré et un œuf) sur rouges. Les rouges ont été introduits dans les cuves à l’issue de la fermentation malo-lactique (FML), tandis que les blancs y ont effectué la fermentation alcoolique (FA).
Le CRVI a réalisé des prélèvements en fin de fermentation pour les blancs et après un mois et demi d’encuvage pour les rouges. Puis les chercheurs ont étudié les deux types de vin après quatre mois et demi d’élevage. Si l’essai n’est pas encore achevé, quelques tendances émergent.
Durée de fermentation alcoolique similaire
Premier enseignement : le type de contenant ne semble pas avoir d’impact sur la durée de la fermentation des blancs lorsque le mout ne présente pas de caractéristique limitante (pH de 3,4 ; acidité totale de 3,3 ; degré d’alcool probable de 12,7 et turbidité de 200 NTU). Depuis le début de l’expérimentation, les cuves ont mis entre quinze et vingt jours à fermenter. « En 2014, la fermentation alcoolique a été un peu plus longue dans l’œuf béton », nuance néanmoins Nathalie Uscidda, co-directrice du CRVI de Corse et responsable du secteur recherche œnologie-microbiologie.
Moins d’acidité dans l’œuf béton pour les blancs
Le vin élaboré en cuve œuf béton présente une acidité légèrement inférieure aux autres vins. À titre d’exemple, en 2013, sur les blancs en fin de fermentation alcoolique, le pH de l’œuf était de 3,40 contre 3,32 pour la cuve inox carrée. En 2014, il était de 3,50 contre 3,44. « Les différences ne sont pas toujours élevées mais systématiques, insiste Nathalie Uscidda. À la dégustation le vin dans l’œuf est moins tendu, plus gras. » Ces résultats confirment ceux obtenus lors d’une première expérimentation en 2009, comparant la vinification d’un vermentinu en œuf béton et en inox carré. Sur cet essai, en fin de fermentation malolactique, les vins « œuf béton » avaient une acidité totale inférieure à celle des vins « carrée inox » de 0,27 gramme par litre de H2SO4 et un pH supérieur de 0,17. Parallèlement à cela, la FML se déclenche plus facilement dans l’œuf en blanc.
Moins d’acidité volatile et d’alcool en amphore
Autre résultat surprenant, l’acidité volatile est moindre dans les vins, pourtant vinifiés sans sulfite, en amphore. En témoignent les taux enregistrés en 2013 : 0,14 gramme par litre pour l’amphore contre 0,25 gramme par litre pour l’œuf béton et 0,23 gramme par litre pour le carrée inox. De même, le degré alcoolique du vin en amphore est légèrement inférieur à celui des autres cuvées, même en tenant compte des incertitudes de mesures : 12,59 % alcool contre 12,87 % alcool.
En blancs : l’œuf sort du lot à la dégustation
À la dégustation, le vin passé en œuf béton obtient la meilleure note globale et est jugé plus équilibré ; celui issu de l’inox est plus tendu. Quant au vin en amphore, « il s’agit d’un produit très différent, singulier », souligne la chercheuse. Il est très expressif en fin de FA et se place en seconde position derrière l’œuf. C’est un produit dont la couleur est plus dorée et les arômes davantage orientés sur les « fruits murs », de type légère oxydation. On y retrouve également des notes de réglisse. « C’est un vin qui a suscité la réflexion, qui ne laisse pas indifférent et qui a été apprécié », décrit Nathalie Uscidda. L’élevage en amphore durant un mois et demi renforce l’aspect « fruits mûrs » type banane mûre. Le nez présente quant à lui des arômes inhabituels et puissants où l’on retrouve la réglisse mêlée à des arômes de gâteau sortant du four pour certains, ou de mie de pain mouillée pour d’autres. « Il n’y a pas de vrai défaut mais un profil sensoriel assez nouveau, analyse Nathalie Uscidda, qui s’interroge du coup sur son intérêt : je ne sais pas si l’élevage en amphore sans sulfitage est vraiment judicieux, même sur une courte durée ». Au niveau de la somme des arômes fermentaires, il y a peu de différence entre les cuves. En 2013, en fin de FA, le vin issu du contenant « carrée inox » présentait une quantité d’arômes fermentaires supérieure aux autres cuves. Mais après élevage, le vin issu de la cuve « carrée béton » était le mieux doté à ce niveau-là, tandis qu’en 2012, c’était l’œuf. Au final, quel que soit le contenant, après quatre mois et demi d’élevage, les vins perdent très légèrement en finesse.
En rouges : davantage de gras en œuf béton
Au niveau des rouges, les chercheurs ont mis en évidence une absence de variation de l’acidité volatile en fonction du contenant. En revanche, à la dégustation, les vins 2013 passés dans la cuve œuf béton ont obtenu la meilleure note globale. « Le jury a relevé davantage de notes de fruits secs et de fruits noirs, ainsi que davantage de gras, note Nathalie Uscidda. L’astringence était moins présente, surtout après quatre mois et demi d’élevage. » Les vins des autres contenants étaient plutôt proches. « Dans nos conditions d’expérimentation, nous ne notons pas de différence vraiment notable entre le vin carrée inox, le carrée béton et les Flextank, confirme la chercheuse. Mais cela peut être dû à la courte durée d’élevage ou à une matière première ne présentant pas suffisamment de tanins saillants pour être polis. » Le CRVI a également dosé de nombreux éléments minéraux (fer, cuivre, zinc, potassium, calcium, manganèse, chlorure…), ainsi que plusieurs molécules marqueurs : dérivés soufrés volatils, glutathion, thiols volatils. À ce jour, le centre ne souhaite pas communiquer sur ces données, qui restent à affiner sur le millésime 2014.
Le chai du Clos Canarelli à Figari en Corse, a été mis en partie à disposition du CRVI. C’est donc
là que le centre de recherche a mené toutes ses expérimentations de contenants sur blanc.