Jean-Marc Jancovici : quel scénario pour l’agriculture à 2050 préconise le Shift project ?
Le Think tank fondé par Jean-Marc Jancovici présente un premier rapport sur l’agriculture avec des scénarios pour décarboner le secteur d’ici à 2050. Un scénario, « plus réaliste », est mis en avant.
Le Think tank fondé par Jean-Marc Jancovici présente un premier rapport sur l’agriculture avec des scénarios pour décarboner le secteur d’ici à 2050. Un scénario, « plus réaliste », est mis en avant.
Think tank de la décarbonation fondé par Jean-Marc Jancovici, le Shift project produit ce 28 novembre son premier rapport sur la transition climatique de l'agriculture à 2050. Un rapport sur l’alimentation sortira l’an prochain. 18 mois ont été nécessaires ainsi que la contribution de 300 personnes, enrichie par 6 mois de grande consultation des agriculteurs (qui a réuni plus de 7700 réponses).
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Quatre scénarios proposés pour l’agriculture, dont un « plus réaliste » dit de « conciliation »
A l’issue de ce travail, 4 scénarios sont proposés avec pour contrainte le respect des objectifs de décarbonation du secteur agricole tels que définis par la SNBC 2 à savoir atteindre 48 MtCO2 éq d’émissions directes pour le secteur à horizon 2050 (contre 74,2 en 2021-2022 dont 44 provenant de l’élevage).
Un chemin potentiel de décarbonation et de résilience pour le secteur agricole
Parmi ces 4 scénarios, le Shift project propose un « scénario de conciliation », « réaliste », présenté comme « un chemin potentiel de décarbonation et de résilience pour le secteur agricole », les 3 autres scénarios (pour « une meilleure autonome agricole et alimentaire nationale », « une meilleure indépendance énergétique nationale » et « contribution à la sécurité alimentaire mondiale ») ne parvenant pas à atteindre l’objectif de décarbonation et générant trop de vulnérabilités pour l’agriculture.
Quelles hypothèses structurantes pour décarboner l’agriculture française ?
Pour ce scénario de conciliation, le Shift project propose d’ici à 2050 :
- Une extensification des élevages, avec une préservation à 90% des prairies permanentes, un recul de 15% de la fermentation entérique pour les ruminants et une diminution des effectifs : de 20% pour la volaille et le porc (avec une décarbonation de l’alimentation animale), 30% pour les bovins laitiers, 25% pour les bovins viande (-1% du cheptel par an soit un recul moindre que la baisse effective) et 20% pour les ovins et caprins.
- Un triplement des surfaces en légumineuses, en particulier en soja, combinée à une généralisation des couverts végétaux (surface multipliée par 8) et une augmentation des volumes de digestats de méthanisation pour réduire de 70% l’usage aux engrais minéraux.
- Les semis directs sur 80% des surfaces, de l’agriculture bio sur 25% des surfaces
- Une multiplication par 10 de l’agroforesterie en intraparcellaire
- Une production des bioénergies multipliée par trois pour atteindre 65 TWh consommés par le secteur agricole et 160 TWh destinés aux autres secteurs d’activité.
- Une baisse de la consommation d’énergie par les agriculteurs de 21% avec une meilleure efficacité énergétique et des changements systémiques dans les pratiques et une décarbonation des bâtiments et engins agricoles (avec l’électrification d’un tiers des tracteurs, un autre tiers utilisant du biogaz et le dernier tiers des biocarburants).
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Des leviers à activer de façon coordonnée et anticipée
« Pour arriver à l’objectif fixé par la stratégie nationale bas carbone, il faut activer de façon coordonnée et ambitieuse tous les leviers », commente Laure Le Quéré, ingénieure experte agriculture du Shift Project, lors de la présentation du rapport ce matin à la presse.
Le scénario privilégié par le Think Tank permettrait de surcroît de réduire les émissions indirectes de l’agriculture (7 Mt COé eq seraient économisés rien qu’avec la baisse du recours aux engrais minéraux).
« Le besoin d’anticipation est crucial », poursuit l’ingénieure qui souligne que la décarbonation du parc matériel prendra nécessairement du temps.
« Les agriculteurs sont prêts à agir », selon le Shift Project
« Les agriculteurs sont prêts à agir, il faut leur donner les moyens », commente l’équipe du Shift Project ayant travaillé sur le rapport. 80% des agriculteurs ayant répondu à la consultation se déclarent inquiets pour la viabilité de leur ferme, face notamment aux enjeux climatiques et seuls 7% répondent ne pas vouloir s’engager dans la transition.
En revanche « 87% posent une condition économique pour s’engager ou accélérer la transition » souligne Laure Le Quéré, ingénieure experte agriculture du Shift project.
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Appui nécessaire des territoires et politiques agricoles et économiques
Pour que son scénario se réalise, « il faut l’appui des échelons territoriaux et des politiques agricoles et économiques à l’échelle nationale et européenne », souligne Corentin Biardeau-Noyers, ingénieur projet Agriculture à The Shift project.
« Il va falloir sécuriser la rentabilité de la transition, assumer une hausse des coûts de production agricole, agir simultanément sur la demande et l’offre et privilégier les mesures incitatives », poursuit Céline Corpel, cheffe de projet agriculture au Shift project à mi-temps et agricultrice (dans l’Aisne sur une exploitation de grandes cultures, à un tiers bio avec de l’agroforesterie).
On ne pourra pas demander aux agriculteurs de produire moins, plus propre et pour moins cher. Peu de gens acceptent de se faire harakiri
« On ne pourra pas demander aux agriculteurs de produire moins, plus propre et pour moins cher. Peu de gens acceptent de se faire harakiri. La collectivité, si elle veut que les agriculteurs produisent de la viande en moins grande quantité, et fassent des efforts pour produire plus propre - ce qui impactera les rendements économiques -, elle devrait payer pour cela. Il y a deux manières : des services écosystémiques payés par les pouvoirs publics ; ou bien un cahier des charges qui passera par le prix au consommateur », explique quant à lui Jean-Marc Jancovici, interrogé par nos confrères d’Agra Presse.
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Les conclusions du rapport débattues par les syndicats agricoles
Le Shift project souligne avoir travaillé avec le secrétariat à la planification pour réaliser ce rapport dont les conclusions seront détaillées ce jeudi 28 novembre au soir suivies d’un débat modéré par Jean-Marc Jancovici en présence de Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération paysanne, Véronique Le Floc’h, présidente de la Coordination rurale, et Olivier Dauger, administrateur à la FNSEA.
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