Fongicides : toujours plus de vigilance face aux résistances
La note technique de gestion de la résistance aux fongicides vigne 2015 pointe quelques inquiétudes sur oïdium et un nouveau mode d'action sur mildiou. Peu de changements donc, mais toujours des recommandations de prophylaxie et d'alternance des familles chimiques pour limiter les résistances qui progressent dans les vignobles.
Mildiou : un nouveau mode d'action identifié
Concernant le mildiou, l'enseignement majeur de cette note est la mise en évidence du mode d'action de l'amétoctradine (Enervin, Privest), reconnu distinct de celui de la cyazofamide (Mildicut, Kenkio, Ysayo), du fait de sites d'action différents. « En conséquence, le groupe des Qii (auquel appartient la cyazofamide) et le groupe des Qoi-D (auquel appartient l'amétoctradine) sont désormais distincts. Mais par précaution, dans la mesure où il existe des populations résistantes aux deux molécules (phénomène lié à un autre mécanisme), il est recommandé de gérer ensemble ces deux familles et de ne pas dépasser trois applications par an (contre deux en 2014) avec des préparations contenant l'une ou l'autre de ces substances actives. Tout en ne dépassant pas deux applications pour chacune d'entre elles », précise Jacques Grosman, expert vigne à la DGAL (Direction générale de l'alimentation). « En situation de forte pression mildiou, cette évolution sera intéressante pour les viticulteurs », souligne Marie-Laure Panon du Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC). En Gironde, Bruno Samie, de la chambre d'agriculture, se veut plus prudent : « Les sites d'action sont peut-être différents mais sont proches, et sauf impasse, nous restons donc dans une démarche de précaution en recommandant de ne pas cumuler plus de deux matières actives de ces familles dans le programme. »
Par ailleurs, la note observe que, malgré les recommandations de limitation d'emploi des fongicides de la famille des CAA (diméthomorphe, iprovalicarbe, benthiavalicarbe, mandipropamid, valifénalate), la résistance n'a cessé de progresser. Les résultats 2014 montrent qu'elle est généralisée à l'ensemble des vignobles français. « Face à ce constat, des essais terrain seront nécessaires pour vérifier si ces matières actives participent encore à l'efficacité des préparations qui les contiennent. Dans ces conditions, il est toujours recommandé de se limiter à un seul traitement pour cette famille et dans un cadre strictement préventif », commente Jacques Grosman. « Cette interrogation sur la participation effective des matières actives à l'efficacité du produit formulé est valable également pour des substances actives comme le cymoxanil ou encore des matières actives de la famille des QoI ou des phosphanates, qui sont associées à des multisites. Mais dans un vignoble comme la Champagne souvent exposé au risque mildiou, nous avons besoin de conserver toutes les solutions », indique Marie-Laure Panon.
Oïdium : des inquiétudes sur certaines familles
La famille des SDHI (boscalid, fluopyram) a fait l'objet d'un suivi en 2014 et une perte de sensibilité a été notée sur deux échantillons (boscalid). « Des études de confirmation de la sélection d'une résistance spécifique sont en cours mais à ce stade, la recommandation ne change pas et le nombre d'applications pour cette famille reste limité à deux. Cette famille sera particulièrement surveillée en 2015 », analyse Jacques Grosman. Cette perte de sensibilité, qui vise une nouvelle famille dans la lutte contre l'oïdium, inquiète les experts « car il s'agit de solutions très efficaces dans les programmes anti-oïdium », observe Bernard Molot de l'IFV de Nîmes.
Par ailleurs, les tests réalisés sur le quinoxyfène (famille des azanaphtalènes à laquelle appartient également le proquinazid) confirment la présence de populations résistantes dans différentes régions. Elles ont ainsi été détectées dans 65 % des échantillons analysés et des essais terrain montrent une baisse d'efficacité du quinoxyfène. En conséquence, la limitation à deux applications maximum pour ces matières actives est toujours de rigueur.
Enfin, la famille des IDM (ou IBS du groupe 1 - cyproconazole, difénoconazole, fenbuconazole, myclobutanil, penconazole, tébuconazole, tétraconazole, triadiménol) est toujours sous surveillance avec une résistance bien présente et une baisse d'efficacité dans les essais terrains variable selon les régions et les substances de ce mode d'action. La préconisation ne change pas avec une limitation à deux applications non consécutives pour cette famille, et en utilisant des substances différentes. Néanmoins, fait nouveau, une application supplémentaire peut être envisagée dans le cas d'un risque de black-rot considéré comme une priorité. « Cet aménagement est très important pour lutter contre le black-rot en fin de saison en Paca et Languedoc-Roussillon, où les viticulteurs se sont retrouvés dans l'impasse face à des attaques tardives de black-rot alors qu'ils avaient déjà utilisé deux IDM contre l'oïdium et que l'utilisation des QoI était déconseillée », souligne Bernard Molot. « La note 2015 prévoit également une possibilité de recourir aux QoI pour une attaque tardive de black-rot, survenant entre les stades fermeture de la grappe et véraison », précise-t-il.
« Sur le terrain, ces préconisations d'alternance et de limitation d'emploi de certaines familles chimiques sont plutôt bien suivies, observe Antoine Verpy, du GDON du Libournais. Mais parfois, on retrouve par exemple deux à trois IDM dans les programmes anti-oïdiums et même jusqu'à deux consécutifs ; un constat qui ne peut qu'encourager le renouvellement des messages de précaution. »
Botrytis, une situation stable
Sur sept groupes chimiques utilisés dans la lutte contre la pourriture grise, cinq sont concernés par la résistance spécifique (résistance à un seul groupe chimique) et toutes les familles sont touchées par la résistance multiple, et ce dans toutes les régions. La situation reste stable à un niveau qui mérite une vigilance particulière : ainsi la résistance au fenhexamid est de plus en plus présente dans les vignobles avec 50 % des parcelles touchées dans le vignoble français en 2014 et on observe désormais des phénomènes de résistance aux SDHI dans l'ensemble des vignobles sur 25 % des parcelles suivies, soit deux fois plus qu'en 2014. « La situation reste malgré tout sous contrôle grâce à un respect depuis plusieurs années des recommandations d'emploi des fongicides anti-botrytis basées sur l'emploi d'un seul produit par famille chimique et par an avec une alternance pluriannuelle. Au final, les résistances sont bien gérées, limitées, et les efficacités sont maintenues », constate Marie-Laure Panon, qui ajoute « que la gestion des spécialités anti-botrytis associée à une prophylaxie généralisée est un exemple à suivre pour les autres fongicides. »