Des toiles efficaces contre les gelées blanches
Interdites en 2003, les toiles hors gel interpellent à nouveau les vignerons touchés ce printemps. Tant et si bien qu’à Chablis, l’expérimentation pourrait reprendre. Tour d’horizon de cette solution qui revient sur le devant de la scène.
Interdites en 2003, les toiles hors gel interpellent à nouveau les vignerons touchés ce printemps. Tant et si bien qu’à Chablis, l’expérimentation pourrait reprendre. Tour d’horizon de cette solution qui revient sur le devant de la scène.
Pourquoi les toiles hors gel ont-elles été interdites ?
Apparues au milieu des années 90, les toiles hors gel ont été interdites par l’Inao en 2003. L’Institut avait considéré « qu’elles modifiaient les caractéristiques du milieu et avaient donc un impact sur le terroir en interférant même temporairement sur les relations vigne/sol », explique Christèle Mercier, déléguée territoriale Centre-Est. Un impact confirmé par Guillaume Morvan, de la chambre d’agriculture de l’Yonne, qui avait à l’époque accompagné les vignerons ayant mis en place ce système. « Nous avions pu observer un léger effet de serre qui activait la pousse de la vigne et lui faisait prendre une avance d’environ huit jours en départ de végétation, relate-t-il. Mais cette avance se réduisait dès la dépose des toiles et au final les vignes protégées étaient vendangées en même temps. » Un autre reproche émis à l’encontre des toiles hors gel concernait leur impact paysager, qui inquiétait certains vignerons.
Quelle est leur efficacité ?
Elle serait mitigée : bonne sur les gelées blanches, et faible sur les noires. « Nous avions suivi ce dispositif de toiles hors gel de 1997 à 2001 chez quinze vignerons sur le vignoble de Chablis et nous avions pu constater une bonne efficacité sur les gelées blanches jusqu’à - 6 °C », observe Guillaume Morvan. De même, en Champagne, le CIVC (Comité interprofessionnel du vin de champagne) avait mis en exergue une efficacité intéressante sur les gelées blanches, d’autant plus forte que celles-ci n’étaient pas trop marquées. En revanche, le comité avait obtenu des résultats quasi nuls, voire négatifs, sur les gelées noires qui descendent souvent très fortement et très vite en température, avec une hygrométrie très basse et du vent. « Sur ce type de gelées, les dégâts pouvaient même être aggravés jusqu’à 40 % par rapport à un témoin non bâché », constate Basile Pauthier, chef de projet terroir au CIVC.
Quelles sont les modalités d’installation de ces bâches ?
Les toiles hors gel sont des équipements amovibles. Elles doivent être installées au printemps (avril-mai) pour une période d’un mois et demi environ. « Elles présentent l’avantage d’être en place avant la période de risque, indique Guillaume Morvan. Cela qui permet aux vignerons d’être sereins et d’éviter ainsi l’allumage de façon précipitée de chaufferettes par exemple, et les salaires de nuit qui vont avec. »
En revanche, la mise en place de la toile nécessite des soins. Il faut étaler la bâche sur les piquets de vigne protégés avec du caoutchouc et la fixer sur les côtés, un peu à l’instar d’une toile de tente. « La toile Orgel que nous proposions à l’époque était commercialisée en 5,70 m de large, explique Arnaud Bouillon de l’entreprise éponyme, spécialiste des toiles techniques. Elle permettait de protéger environ quatre rangées, et nécessitait deux à trois personnes pour la déployer et la ranger. » Il s’agissait d’une toile tricotée en bandelettes de polyéthylène, avec un pigment d’aluminium, qui avait la caractéristique d’être poreuse à la pluie et au vent.
Quel est le coût des toiles hors gel ?
La toile Orgel, livrée en bandes de 5,70 m, coûte 1,25 euro/m2 soit environ 11 000 à 12 000 euros par hectare. Un prix auquel il faut ajouter le temps d’installation, soit environ 15 000 euros/ha. Néanmoins, cet investissement peut s’amortir assez vite en cas de gel, et la toile peut être réutilisée pendant au moins sept ans. « Ce système est par ailleurs à comparer à d’autres solutions comme les chaufferettes, plus polluantes et qui consomment du fuel, commente Guillaume Morvan. Mais si ces toiles revenaient à l’ordre du jour, il faudrait sans doute optimiser leur temps de présence dans la parcelle et faciliter leur pose/dépose. »
Vont-elles à nouveau être autorisées ?
Les toiles hors gel sont à ce jour interdites pour les vignobles en appellation, mais précise Philippe Doumenc, animateur de la Commission nationale scientifique et technique de l’Inao, « à l’instar de l’expérimentation en cours sur les filets anti-grêle en Bourgogne, une demande d’expérimentation sur les toiles hors gel peut être formulée auprès de l’Inao ». Elle doit être à l’initiative d’un ODG, avec un partenaire technique. Et elle doit comporter un projet de protocole d’expérimentation, avec mesure de paramètres aussi variés que les éventuels impacts sur la conduite et la taille de la vigne, l’incidence sur l’état sanitaire de la vigne et sur la qualité des traitements phytosanitaires, l’impact sur le bilan hydrique, la physiologie de la vigne, l’évaluation sensorielle des vins ou encore l’aspect paysager. Le volet économique (coûts générés) doit également être pris en compte, en sachant que par ailleurs, pour faire face notamment à des aléas climatiques, la mise en place de volumes individuels complémentaires est déjà un outil de gestion opérationnel dans de nombreux vignobles. À Chablis, plusieurs vignerons seraient intéressés pour déposer un dossier selon Frédéric Gueguen, du syndicat de l’appellation Chablis. À suivre donc dans les mois à venir.
TEMOIGNAGE
Lynn Marchive, du domaine des Malandes, dans l'Yonne
« Efficace et écologique »
« Je fais partie des vignerons qui avaient installé des toiles hors gel avec l’accord de l’Inao et le suivi de la chambre d’agriculture de l’Yonne, à la fin des années 1990, alors que nous venions de subir de fortes gelées. J’étais très satisfaite de ce système, même si l’installation demande un peu de temps et de précautions. Il faut en effet étaler les toiles au-dessus des ceps en protégeant les piquets, et accrocher la toile au sol comme pour une tente. À Chablis, les bâches ont permis de protéger les vignes jusqu’à - 7 °C. Je trouve que c’est un système efficace, écologique (par rapport aux chaufferettes notamment) et comme il est mis en place dès le 15 avril pour un mois environ, on peut être serein pendant cette période délicate. Mon domaine a gelé à 80 % en 2017 et j’espère que nous aurons l’accord de l’Inao pour établir de nouvelles expérimentations en 2018. Je suis prête à l’installer sur cinq parcelles (1,60 ha) malgré le coût (environ 15 000 euros/ha). Car c’est un investissement à mettre en rapport avec le risque de perdre jusqu’à 50 000 euros/ha en cas de gel ! »