Des filets pare-grêle à l’essai
Outre les générateurs d’iodure d’argent, les filets pare-grêle s’avèrent une bonne protection contre la grêle. Néanmoins, si la technique a fait ses preuves en raisin de table et fait l’objet d’expérimentations en raisin de cuve, elle doit encore convaincre l’Inao et nécessite un investissement élevé.
Chaque année, les orages de grêle font de nombreuses victimes sur leur passage. Les viticulteurs sont donc à la recherche de solutions de lutte, autres que les générateurs d’iodure d’argent. Les filets pare-grêle pourraient s’avérer une arme efficace. Les fournisseurs (Texinov, Paligrêle, Filpack notamment) ont fait leurs armes depuis de nombreuses années en raisin de table. "Depuis plus de vingt ans, nous développons ce type de protection en raisin de table et les producteurs sont satisfaits commente", Francis Moinereau, de Texinov.
Forts de cette expérience, les fournisseurs proposent, pour la protection des raisins de cuve, des filets posés le plus souvent verticalement de chaque côté de la vigne. D’une hauteur de 0,5 à 1 mètre, ils sont "tricotés" avec une maille fine qui laisse passer le soleil mais aussi les produits de traitement. De couleur transparente (Texinov), verte (Paligrêle) ou grise (Filpack), ils s’intègrent dans le paysage. Ces fournisseurs ont la volonté d’accompagner les producteurs dans la mise en place mais aussi dans la gestion de ces dispositifs. Ainsi, chez Texinov, l’introduction d’un câble en haut et en bas du filet facilite l’installation. De son côté Paligrêle recommande plusieurs positions avec les écarteurs en fonction de l’état végétatif de la vigne (position serrée de la sortie des grappes à la sortie des feuilles, position écartée de la floraison à la nouaison, position relevée lors de l’effeuillage et de la récolte, position enroulée pour la taille et le sarmentage). Et chez Filpack, le système Whailex permet de soulever et baisser le filet en quelques secondes pour chaque rang, grâce à une manivelle. Un atout non négligeable pour les opérations en vert. "Un essai va d’ailleurs être réalisé avec une mise en place de filets uniquement en cas d’alerte grêle de la météo", explique Philippe Augénie, de Filpack.
Un matériel onéreux et long à installer
Le temps d’installation de ces dispositifs dépend évidemment de la densité de plantation, de 35 à 40 heures par hectare pour une densité d’environ 3000 pieds/ha, il peut atteindre 60 à 70 heures dans les parcelles plantées à plus de 10 000 pieds par hectare. Enfin, l’investissement financier est lui aussi important. Il dépend là encore de la densité (en liaison avec le nombre de mètres linéaires de filets nécessaires). « Ainsi, pour un vignoble planté à 1,5 mètre, il faut compter 14 750 euros par hectare avec notre filet TIP 026, un coût à amortir sur dix ans », observe Francis Moinerau. Jean-René Bielle, de la société Paligrêle, nous précise que « l’investissement varie du simple au double en fonction des situations et des densités en particulier (10 000 à 20 000 euros par hectare) mais que la durée de vie des filets peut atteindre vingt ans ». À noter que les vignes équipées d’un tel dispositif peuvent être dispensées de palissage…
Mais ces filets sont-ils efficaces sur vigne de cuve ? Pour le savoir, des chercheurs avaient mené des essais dans le vignoble de Buzet de 2006 à 2009. Les résultats s’étaient avérés intéressants pour une protection avec des filets de type pare-grêle « mono-rang » : efficacité vis-à-vis d’un épisode de grêle survenu en 2007 et surtout absence de la modification d e la typicité des vins, malgré un léger retard de maturité (quelques jours). « Cette expérimentation n’avait pas été poursuivie car les parcelles ainsi protégées ne pouvaient pas être récoltées mécaniquement », note Francis Moinereau, qui avait participé à cet essai.
Plus récemment, en Bourgogne, la succession d’épisodes de grêle au cours des dernières campagnes a fortement sensibilisé les vignerons et a conduit dès l’an passé certains d’entre eux à expérimenter les filets pare-grêle avec des premiers résultats encourageants (voir témoignage). Pour répondre à la demande des viticulteurs et encadrer ces pratiques, la Confédération des appellations de Bourgogne (CAVB) a d’ailleurs déposé en février dernier auprès de l’Inao* un dossier d’expérimentation de filets pare-grêle. Ces derniers seront mis en place dès cette année dans une trentaine de domaines, sur des petites surfaces couvrant au total trois hectares.
Trois systèmes vont être testés en Bourgogne
« Trois systèmes vont être expérimentés, décrit Marion Sauquère de la CAVB. Un filet horizontal au-dessus des vignes (système mis au point par le viticulteur) et deux systèmes verticaux latéraux, dont un avec remontage du filet à la manivelle. Cette expérimentation, qui sera conduite sur trois ans, devra répondre à de multiples interrogations et en particulier à l’impact sur la physiologie de la vigne, sur l’état sanitaire, sur la faisabilité des travaux de la vigne, sur la maturité, sur la qualité des vins, sur les conséquences paysagères et bien sûr sur les enjeux économiques. » Par ailleurs, si les bénéfices d’un tel dispositif étaient reconnus, il faudrait l’aval de l’Inao pour les implanter en zone AOC, car à ce jour, l’utilisation de filets pare-grêle n’est pas interdite mais n’est pas autorisée non plus. Un point donc à éclaircir (voir avis d’expert).
Pour les vins sans IG ou en IGP, « si rien n’interdit l’utilisation de filets pare-grêle, le coût des dispositifs est beaucoup trop élevé par rapport à la valorisation. Nous recommandons plutôt aux vignerons de s’assurer contre la grêle », commente Emmanuel Rouchaud, de la chambre d’agriculture de l’Aude, département également fortement touché par la grêle en 2014.
Face à l’évolution climatique et à la répétition d’accidents comme la grêle, la mise en place de filets pare-grêle dans les vignobles à risque se présente-t-elle comme une solution d’avenir ? L’expérimentation en cours en Bourgogne devrait apporter un début de réponse et surtout elle permettra de clarifier la position de l’Inao.
* Institut national de l'origine et de la qualité.
« Éclaircir le lien à l’origine »
« L’expérimentation mise en place par la CAVB devrait permettre de répondre à de nombreuses questions : impact des filets pare-grêle sur les modes de conduite, sur les méthodes culturales (gestion des effeuillages, impacts sur les traitements, bilan hydrique de la vigne…) et surtout sur le lien au terroir par rapport à la modification du microclimat sous le filet. L’objectif est d’identifier les impacts éventuels sur les dispositions fixées dans les cahiers des charges et de valider que la qualité et la typicité des vins ne sont pas modifiées. Il ne faut pas non plus négliger l’aspect paysager qui est dans de nombreuses régions un aspect majeur d’identité du vignoble. »