Anticiper des vendanges 2021 qui s'annoncent délicates
Que ce soit à cause du gel ou des conditions météo difficiles de la saison, le millésime 2021 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. La majorité des bassins viticoles devra faire face à des situations dans les vignes plus complexes à gérer que d’ordinaire. Voici les conseils de trois experts.
Que ce soit à cause du gel ou des conditions météo difficiles de la saison, le millésime 2021 ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices. La majorité des bassins viticoles devra faire face à des situations dans les vignes plus complexes à gérer que d’ordinaire. Voici les conseils de trois experts.
Marie Wolf, conseillère à la chambre d’agriculture régionale d’Alsace
La fenêtre de tir sera certainement courte, soyez prêts !
Ça fait longtemps que l’on n’a pas vu une campagne aussi difficile à la vigne, et nous avons commencé à observer des taches de botrytis dès le début de la véraison. Je crains que 2021 ne soit un millésime compliqué. Il faudra donc bien l’anticiper et mettre toutes les chances de son côté. Dans un premier temps, passer régulièrement dans les parcelles pour vérifier l’état sanitaire et identifier les éventuels endroits où ça se dégrade. Ce n’est probablement pas l’année à pousser les maturités. L’oïdium tardif qui a sévi risque de favoriser les pourritures, début août c’était déjà fragile. Le risque est d’ailleurs de devoir rentrer tout en même temps. Il faudra être opérationnel tôt et s’attendre à des vendanges intenses. On n’aura peut-être pas le temps d’aller chercher le matériel qui manque quand ça aura débuté ! On peut dès maintenant commencer à réfléchir aux éventuels arbitrages et gestion des priorités : est-ce que je préfère rentrer d’abord les belles parcelles pour être sûr de profiter de leur qualité ou bien celles qui se dégradent pour ne pas perdre de volume ? Sur les génériques, il sera sans doute pertinent de passer à la machine pour gagner du temps et ne garder la main que pour les parcelles qualitatives. Dans le cas des vendanges manuelles, le tri à la parcelle sera important. Mais c’est peut-être aussi le moment de profiter d’opportunités : les années humides, il y a davantage d’acidité à exploiter. 2016 par exemple a été difficile mais a donné de super rieslings. À la cave, le point clé sera le débourbage, et il ne faudra pas lésiner sur le sulfitage.
Jacques Rousseau, responsable des services viticoles à l’Institut coopératif du vin (ICV)
Il y aura des écarts plus importants entre les prélèvements d’échantillon et la réalité
Avec le gel du mois d’avril, le plus complexe sera de gérer l’hétérogénéité, qu’elle soit intra ou interparcellaire. La première chose à faire est de bien connaître l’état du vignoble et de classer ses parcelles en fonction de leur potentiel et de leur hétérogénéité. Puis de les regrouper afin de ne pas mélanger les qualités et les maturités : les parcelles hétérogènes ensembles, celles qui n’ont pas gelé et qui ont un bon potentiel également… Les contrôles de maturité seront plus difficiles sur les parcelles gelées car on n’a pas l’habitude. Certaines grappes ont deux à trois semaines de décalage, mais il faut surtout garder la même méthode qu’a l’accoutumée. C’est la main qui décide et pas l’œil, et il sera d’autant plus important de bien prélever 200 baies, et non pas quelques grappes sur la parcelle. Malgré cela, il y aura des écarts plus fréquents et plus importants que d’ordinaire entre les prélèvements d’échantillon et la réalité. Prévoyez d’être souple sur l’organisation, de faire un aller-retour à la machine pour vérifier si cela correspond aux attentes et d’interrompre si ce n’est pas le cas. Il va se poser aussi des questions de l’intérêt économique du ramassage. Faire passer la machine pour une tonne/hectare revient très cher au kilo. Mais il faut voir les marchés derrières. Ces aspects sont à prendre en compte pour arbitrer s’il vaut mieux arrêter les frais pour cette année ou perdre des marchés, ce qui a des conséquences à long terme. De même, rentrer moins de raisin fait augmenter les frais de vinification. Tout cela s’anticipe et se réfléchit, que ce soit pour un domaine ou pour une cave coopérative. Pour ceux qui ramassent à la main faire deux passages peut être envisagé, mais seulement pour le haut de gamme, si l’on est garanti de la qualité du vin et de sa valorisation. D’autre part, cette année sera plutôt propice au botrytis et à la pourriture acide, il faudra être vigilant. En cave, nous conseillons de faire analyser les moûts dès la réception, systématiquement. Pour les blancs et rosés, il faut s’attendre à des rendements de presse plus faibles. Pour les rouges, le risque est de voir les baies moins mûres relarguer de l’acidité et des arômes végétaux au fur et à mesure de la fermentation. Il faudra surveiller par des analyses sensorielles. L’utilisation de la thermo sera intéressante pour les vendanges hétérogènes, de même que la macération carbonique pour les vendanges manuelles.
Olivier Dauga, consultant indépendant à Bordeaux
Surveiller, trier et estimer le potentiel de ses parcelles selon ses marchés
Il me paraît clair que la vigilance sera de mise pour les vendanges 2021. Le botrytis a commencé à s’installer dès le courant de l’été, certains secteurs subissent une grosse pression oïdium, ce qui risque encore de faciliter l’éclatement des baies. Il faudra faire avec ce que la nature nous donne et ne pas être plus royaliste que le roi : ça ne sera peut-être pas mûr. Mais il ne faut pas oublier que le bon vin c’est celui que l’on vend, les choix du viticulteur seront prépondérants. Cette année plus qu’une autre, il va falloir mettre en adéquation ses maturités et ses marchés. Le risque étant de vouloir faire comme d’habitude mais « comme on peut », et donc de faire un vin par défaut. Prenons les devants : c’est peut-être le moment de faire de bons rosés et rouges fruités plutôt que des vins de garde moyen si l’on a les débouchés. Et ces décisions ont un impact sur la date de vendange. Quoi qu’il en soit, il faudra être au cœur de ses parcelles pour bien regarder l’évolution de la maturité et être méticuleux, plus de d’habitude. Il faudra certainement réfléchir également au tri, que ce soit à la parcelle par les coupeurs, en tri embarqué sur machine ou bien en table de tri au chai. Même si ça fait mal en année de gel, on doit accepter de faire une sélection pour ne pas se retrouver avec des produits moyens invendables. En vinification, mieux vaut privilégier l’infusion plutôt que l’extraction, pour avoir des vins gourmands.