« Un concept innovant pour écouler mes produits »
Le producteur alsacien Jean-Michel Obrecht a choisi de lier sa passion avec son métier en créant une boutique de produits locaux et chinés en brocante. Zoom sur ce projet au cœur de Strasbourg. [Texte d'Eléonore Chombart]
Le producteur alsacien Jean-Michel Obrecht a choisi de lier sa passion avec son métier en créant une boutique de produits locaux et chinés en brocante. Zoom sur ce projet au cœur de Strasbourg. [Texte d'Eléonore Chombart]
Depuis un peu plus d’un an, un commerce original a ouvert ses portes à Strasbourg. Dans les rayons de « Ma ferme en ville » se mêlent des fruits et légumes, des produits du terroir, mais aussi d’élégants objets de décoration vintage, affiches anciennes, assiettes et autres objets des années 1980. Derrière cette idée originale se trouve Jean-Michel Obrecht, agriculteur à Handschuheim (Bas-Rhin). Sur l’exploitation familiale de 46 hectares qu’il a reprise en 2007, il produit du blé et du maïs, mais aussi carottes, framboises, cassis, poireaux, navets et céleris côtoient des espèces plus originales comme des poires de terre, des choux pakchoi, des paw paw ou encore des radis japonais multicolores, sur 4 hectares. Ce sont les évolutions dans les habitudes de consommation et des rendements inconstants qui l’ont conduit à ouvrir sa ferme en ville.
Un remède à la chute post-Covid
Pourtant en 2018, il avait fait le choix des réseaux de vente directe, en rejoignant La ruche qui dit oui !. L’objectif ? Élargir les canaux de distribution afin d’être rentable. En effet, face à la hausse de fréquence et d’amplitude des incidents climatiques et les charges liées aux intrants, il constate des rendements et des résultats économiques plus suffisamment au rendez-vous. « Grâce à ce revendeur, j’ai atteint les 90 000 euros de chiffre d’affaires, le système de drive a explosé », se souvient Jean-Michel Obrecht. Mais après le Covid, tout change à nouveau. « Avec la hausse des prix, la vague est redescendue jusqu’à 20 000 euros par an. Ce n’était plus rentable. »
Puis c’est au tour de la vente à la ferme et de celles sur les marchés d’être aussi emportées. Les gens ne sont plus au rendez-vous pour acheter les produits locaux. « J’étais arrivé au bout de quelque chose. Il me fallait un nouveau concept innovant pour écouler mes produits ! » C’est là, fin 2022, que Jean-Michel Obrecht décide de concrétiser une idée qui trotte dans sa tête depuis dix ans : associer son métier et une de ses passions. « J’ai toujours fait les brocantes, chiner des vieux objets du quotidien qui décorent la ferme, j’adore ça ! », déclare-t-il en souriant.
Une organisation de A à Z
De l’idée jusqu’à la concrétisation du projet, les étapes ont été nombreuses. « Tout était nouveau pour moi. ». Le producteur a d’abord cherché un local en centre-ville afin de trouver de nouveaux clients, mais aussi de se rapprocher de quelques restaurateurs qu’il fournit. « Le quartier de Krutenau est vivant avec d’autres petits commerces, ici il y avait de multiples possibilités, le projet m’a alors sauté aux yeux. »
Le bail a débuté en février 2023. Pour ouvrir la boutique de ses rêves, Jean-Michel Obrecht devait investir près de 130 000 euros. Pour cela, le producteur a bénéficié d’un prêt à taux zéro de 10 000 euros auprès d’Initiative Strasbourg, qui vient compléter un prêt bancaire de 120 000 euros. « Le projet plaisait. C’est dans l’air du temps et mon comptable m’a beaucoup aidé. » En ce qui concerne la décoration, il aura fallu près d’un an de travail. « Je voulais que la boutique nous replonge dans la ferme d’Handschuheim qui est un lieu convivial, plein de souvenirs. »
En mars 2023, « Ma ferme en ville » ouvre. Juridiquement, Jean-Michel Obrecht a pris des précautions. « J’ai dû créer une nouvelle entreprise, car je ne voulais pas lier l’activité de la ferme à celle-ci si jamais cela ne fonctionnait pas », explique-t-il. Ainsi l’articulation entre les deux entités est simple. « La société rachète les légumes de la ferme et pour les objets j’ai un système de TVA sur marge ou de dépôt-vente. La boutique m’apporte principalement une liberté d’action, ne plus dépendre d’un système ou les prix sont imposés », précise l’entrepreneur. La brocante représente actuellement 10 % des ventes, les produits d’épicerie 30 % et les fruits et légumes 60 % dont la moitié provient de la ferme Obrecht. « Je veux représenter 50 % des ventes au magasin », projette-t-il.
Atteindre la rentabilité avec mes productions
Après quinze mois d’activité, la ferme en ville commence à se créer un nom. « Ça prend doucement, j’ai déjà un nom plutôt connu, mais je continue d’ajouter des fonds privés parce que je pense que cette activité peut vraiment fonctionner. » Il faut dire que l’agriculteur mise sur la qualité. Tous les produits livrés le matin sont immédiatement mis en vente, rien n’est stocké dans des chambres froides. Et, pour limiter les pertes, « nous vendons des paniers malins avec les produits qui sont restés trop longtemps en magasin ».
La boutique atteint presque son seuil de rentabilité. Mais pour Jean-Michel Obrecht, il s’agit d’être multicasquette. « C’est beaucoup de paperasse, je dois gérer la comptabilité, les marges… en plus de m’occuper de ma production, de la boutique et des livraisons que j’effectue pour les restaurateurs strasbourgeois avec lesquels je travaille », liste-t-il. Même si les déplacements sont rationalisés, l’agriculteur a dû embaucher il y a quelques mois Olivia qui se charge de la vente. « Ainsi on touche à l’équilibre, avec potentiellement de nouveaux clients, l’objectif est de pouvoir me verser le salaire à la troisième année », conclut l’agriculteur désormais chef d’entreprise.
Parcours
Années 1950 acquisition de l’exploitation à Handschuheim par la famille Obrecht.
2007 Le producteur reprend l’exploitation familiale.
2018 collaboration avec La ruche qui dit oui !
Février 2023 signature du bail de la boutique « Ma ferme en ville ».
20 mars 2023 ouverture de la boutique.
Des produits originaux
Dans « Ma ferme en ville », outre les oignons, tomates et autres courges, se cachent des variétés de fruits légumes plus originales. Poire de terre, paw paw ou encore pommes de terre à chair rouge ou violette sont ainsi cultivés dans les jardins Obrecht. Des noms surprenants et peu répandus en France, mais qui plaisent. « Les gens viennent spécialement pour ces produits innovants, ça fait le buzz », s’amuse Jean-Michel Obrecht. Herbes aromatiques, capucine tubéreuse, le producteur a toujours aimé varier les cultures.
« Cela me plaît et c’est un atout face aux autres producteurs, analyse-t-il. J’adore expliquer aux clients d’où ça vient et les recettes que l’on peut faire avec ces produits. » Cultivés à l’abri dans des serres de 10 ares ou dans le jardin, certains produits comme l’oca ne poussent plus à cause de la sécheresse. La boutique ouvre également ses rayons à des producteurs locaux qui viennent compléter l’offre : produits à base d’escargots, d’amandes aromatisées, des boissons aux goûts sophistiqués comme à la lavande. Des produits étonnants qui sont tous goûtés et validés par le producteur.
Des projets à semer
Jean-Michel Obrecht jouit d’une petite notoriété dans le secteur strasbourgeois grâce à des passages récurrents sur France Bleu Alsace et à ses 5 000 followers sur Facebook. « Cela amène forcément de la crédibilité et de la visibilité », confirme-t-il. Sa clientèle commence même à venir pour trouver des idées cadeaux. Un succès qui motive le producteur à explorer d’autres idées. « J’ai un autre local accolé à la boutique pour lequel j’ai plein de projets en tête », explique Jean-Michel Obrecht. Un lieu idéal pour lancer des ateliers, avec des producteurs locaux autour de la bière, du chocolat ou encore du miel. Un premier événement « Plantation du basilic » a déjà été organisé. « J’ai fixé un tarif de 10 euros, ce sera le prix pour les autres ateliers, je veux que ce soit accessible pour tous », souhaite Jean-Michel Obrecht.