Transmission : « Nous investissons un million d’euros pour installer nos filles sur notre exploitation laitière »
En Eure-et-Loir, dans la famille Guéret, la transmission de l’élevage laitier familial passe par des choix d’investissement tournés vers la qualité de vie au travail, conformément aux envies de leurs filles.
En Eure-et-Loir, dans la famille Guéret, la transmission de l’élevage laitier familial passe par des choix d’investissement tournés vers la qualité de vie au travail, conformément aux envies de leurs filles.
« J’ai toujours eu en tête cette question de la transmission », reconnaît François Guéret, éleveur laitier depuis 1993 et père de deux filles âgées de 22 et 24 ans, toutes deux motivées pour reprendre le flambeau depuis l’enfance.
Pour le producteur, transmission rime avec compétitivité de son élevage, qui doit relever le défi d’être vivable et en adéquation avec les envies de ses filles. « Victoire et Manon ont toujours été baignées dans l’élevage et ont manifesté très tôt leur intérêt pour en faire leur métier », relate Delphine Guéret, installée avec son mari depuis 2005. La fibre de l’élevage serait-elle transgénérationnelle chez les Guéret ?
Depuis cinq générations, cet élevage laitier situé à La Bazoche-Gouet, en Eure-et-Loir, département à dominante céréalière, a considérablement évolué. En trente ans, la structure de 22 vaches normandes et de 75 hectares en location a multiplié par cinq son cheptel de laitières. Le leitmotiv : « être autonomes, en pensant à la génération suivante ».
Pionnier de la méthanisation
Le premier chantier a été la création d’une unité de méthanisation de 250 kWh en 2011. Figurant parmi les premiers éleveurs à se lancer dans son secteur, François Guéret l’a pensé comme un moyen de diversifier ses sources de revenu en dehors de la production laitière, tout en bénéficiant de certains avantages : pouvoir chauffer ses bâtiments, la maison, et l’eau de la salle de traite, et utiliser le digestat pour fertiliser ses terres.
Pour alimenter le méthaniseur, des choix ont été faits en faveur d’une augmentation des surfaces. « Nous avons saisi les opportunités qui se présentaient autour de nous. Nous avons repris 250 hectares de terre à façon et créé une ETA en 2019 », détaillent François et son épouse Delphine.
Le couple aurait pu s’arrêter à cette diversification en production d’énergie. Mais en étant à l’écoute de leurs deux filles, il a fallu faire preuve d’adaptation et d’ouverture. « Victoire, l’aînée, a toujours montré un intérêt pour la transformation du lait, se souvient François. De notre côté, c’était un peu l’inconnu. Mais nous nous sommes vite rendu compte que l’aider à construire son propre atelier était un moyen pour que tout le monde puisse trouver sa place. »
Le projet de Victoire lui a permis de se démarquer de celui de sa sœur Manon, animée par une véritable passion pour les vaches et l’élevage. Il correspondait aussi aux orientations données par ses parents à la ferme, en termes d’autonomie. « Avec le projet de Victoire, on va vraiment jusqu’au bout de la chaîne : on produit du lait, on est quasiment autonomes au niveau de l’alimentation de nos vaches et de la fertilisation des terres, on produit notre électricité et notre chauffage, et on va jusqu’à l’assiette des consommateurs avec les fromages, les yaourts, le beurre et la crème », se réjouit François Guéret.
Pour aboutir à la concrétisation de son rêve d’enfance, la jeune femme n’a pas négligé la formation et l’acquisition de compétences au sein d’autres élevages laitiers diversifiés dans la transformation et la vente directe. En 2019, son certificat de spécialisation en poche, elle est revenue sur la ferme familiale en tant que salariée pour prêter main-forte à ses parents, notamment pour la traite des vaches, tout en poursuivant la capitalisation d’expérience au sein d’une fromagerie du Perche.
250 000 euros pour une fromagerie à taille humaine
Parallèlement, elle mûrissait son propre projet, tout en prenant en compte la dimension humaine qui l’entourait. « J’ai consacré près de trois ans à l’étude de projet, relate Victoire. Où positionner le laboratoire, quelle surface dédier à l’atelier, concevoir les plans, c’est très long et pourtant c’est déterminant. Au départ, mon père voyait les choses en grand, donc le projet aurait nécessité d’embaucher des salariés. Finalement, j’ai préféré opter pour une activité à taille humaine où je peux être seule pour assurer la transformation du lait et la vente des produits. »
En 2023, la crémerie est sortie de terre, nécessitant un investissement d’environ 250 000 euros. Elle s’est en outre installée, soutenue par différentes aides dont la DJA, en intégrant l’EARL familiale avec 10 % de parts sociales et en reprenant 40 hectares de terres en location à proximité. L’installation de Victoire a donc apporté une nouvelle source de diversification à l’EARL, à laquelle elle doit y consacrer un temps plein.
Le projet de Victoire est désormais une affaire qui tourne. Pour ses parents, il est temps de s’atteler à un nouveau challenge : l’installation de leur deuxième fille, Manon. Alors que leur cadette a intégré l’EARL en 2020 comme salariée, elle projette de s’installer en 2024. De quoi mettre une nouvelle fois le cerveau de son père en ébullition, à onze ans de la retraite. « Nous allons vraiment entamer une phase compliquée où il va falloir envisager d’adapter l’outil de travail pour que nos filles puissent le faire fonctionner sans nous », explicite François Guéret. L’installation de Manon rimera donc avec robotisation.
Robot de traite et d’alimentation
La famille envisage d’acquérir un robot de traite et d’alimentation et d’investir dans un nouveau bâtiment, l’actuel étant de toute façon trop petit pour le cheptel de vaches laitières, pour un montant total de 850 000 euros.
« Nous souhaitons pouvoir céder sereinement et le robot permettra de réduire la pénibilité du travail. C’est une solution face aux difficultés actuelles pour trouver de la main-d’œuvre », poursuit l’éleveur. Si l’EARL embauche actuellement deux salariés dont l’un à mi-temps, l’anticipation du départ en retraite des deux associés majoritaires aura de facto des conséquences sur l’organisation du travail.
Outre ces considérations d’ordre organisationnel, la transmission amène d’autres réflexions. François ayant toujours été avant-gardiste concernant les orientations à donner à l’élevage cédé par ses parents, il espère pouvoir léguer sa capacité à être proactif à ses deux filles. « J’espère pouvoir leur transmettre ce feeling pour les choix stratégiques, anticiper les problématiques et appréhender les enjeux futurs. Par exemple, nous sommes arrivés à un tournant concernant les évolutions du marché de la méthanisation. Il faut être réactif pour trouver des solutions pour maintenir une rentabilité, par exemple une contractualisation pour continuer à vendre en direct l’électricité à une entreprise voisine », se projette l’éleveur.
Fiche élevage
EARL Guéret
• 3 associés
• 3 salariés : Manon, la fille cadette qui s’installera en 2024, un salarié à temps plein et un salarié à temps partagé avec un voisin
• 100 normandes
• 700 000 l de lait
• 100 ha et 250 ha
La transformation, une affaire qui tourne
Depuis sa création en 2023, la crémerie nécessite d’y consacrer le temps plein de Victoire Guéret. Après quelques mois d’ouverture, les efforts payent. « Nous avons transformé 50 000 litres de lait en huit mois, alors qu’on avait prévu de le faire en trois ans, précise Victoire. Le chiffre d’affaires avoisine 7 000 à 8 000 € par mois. »
Victoire Guéret a fait le choix de transformer une large gamme de produits afin de satisfaire les envies de sa clientèle : fromages et yaourts sont déclinés en plusieurs saveurs et elle produit également du beurre et de la crème, qui a été médaillée d’or cette année au Concours international de Lyon.
Pour des questions pratiques, plutôt qu’un tank mobile les Guéret ont installé un lactoduc pour transporter le lait de la salle de traite directement vers le laboratoire de fabrication de Victoire.