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Six ans d’études sur la méthode Herby de pâturage tournant dynamique

La méthode Herby — marque déposée — repose sur la physiologie des graminées. De 2014 à 2020, 22 conseillers ont été formés dans six départements et un réseau de 131 éleveurs pratiquant cette méthode a été installé.

Le projet Herby a été porté de 2014 à 2020 par la Caveb et financé par les fonds européens Life +, la région Poitou-Charentes/Nouvelle-Aquitaine et l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Il a permis de recueillir de très nombreuses données sur la méthode Herby de pâturage tournant dynamique. De nombreux partenaires financiers, techniques et scientifiques, prestataires et éleveurs ont été parties prenantes. Vingt-deux conseillers ont été formés dans six départements, un réseau de 131 éleveurs pratiquant le pâturage Herby a été installé et ils représentent 2 670 hectares de prairies engagés.

Herby est une marque déposée. La méthode se base sur les principes exposés par André Voisin dans son célèbre livre de 1957 La productivité de l’herbe pour maximiser la production de la biomasse et assurer sa haute valeur nutritive. Elle est basée sur des repères anatomiques des plantes du couvert prairial : « les animaux pâturent seulement si le couvert est physiologiquement prêt à être consommé et ils sont retirés au moment le plus opportun pour une repousse optimale". Le découpage des parcelles de prairies est coconstruit entre l’éleveur et le conseiller. Un plan du parcellaire figure les clôtures, le système d’abreuvement, et le sens de circulation des animaux. Avec la méthode Herby, l’éleveur choisit s’il travaille en paddocks ou en fil avant-fil arrière. « Les clôtures ne sont qu’un outil de gestion. La méthode Herby est basée sur la physiologie des graminées. »

Entrée dans les paddocks au stade trois feuilles

Le repère d’entrée de la méthode Herby dans un paddock est le stade trois feuilles. La croissance végétative est maximale à ce stade. Le RGA n’a jamais plus de trois feuilles vertes par talle. Puis s’établit un équilibre entre sénescence et croissance de nouvelles feuilles. Le nombre de feuilles varie légèrement d’une espèce à l’autre. Et une défoliation au stade trois feuilles favorise le tallage (réduction de la production par les talles mères d’hormones inhibitrices du tallage) et la densité du couvert. D’autre part, les réserves glucidiques atteignent une concentration maximale au stade trois feuilles : la photosynthèse fournit assez d’énergie pour couvrir les besoins de croissance et les glucides solubles excédentaires sont stockés. Enfin, la pérennité des plantes en situation de stress est favorisée quand elles ont été systématiquement prélevées au stade trois feuilles au printemps : la concentration en glucides solubles de ray-grass récoltés est élevée au début de l’été, et une fois les conditions optimales revenues, les plantes ont les réserves nécessaires pour initier la repousse. « Enfin, le système racinaire se développe une fois que les feuilles sont présentes et que la photosynthèse démarre. Si le pâturage intervient trop tôt, le système racinaire est moins efficace pour puiser l’eau. » Une autre raison de se focaliser sur le stade trois feuilles est qu’à ce stade, le ratio entre protéines et glucides est optimal pour le fonctionnement du rumen.

Un temps de présence court pour ne pas pâturer les repousses

Avec la méthode Herby, le temps de présence des animaux sur un paddock est court, mais il peut aller d’une demi-journée à trois jours maximum. Et ceci tout au long de la saison de pâturage. La durée est liée au niveau d’exigence de l’éleveur et à sa technicité. Après pâturage, la plante initie une nouvelle première feuille à partir de ses réserves glucidiques stockées dans la gaine. La concentration en réserves dans la gaine diminue alors, et ne se restaure qu’au cours du développement de la troisième feuille. D’autre part, proposer un couvert frais et non souillé stimule l’ingestion et réduit le comportement de tri. Plus l’animal aura sa panse pleine rapidement, plus vite il arrêtera de marcher et donc moins il souillera et abimera la prairie.

Sortie des paddocks avant que la gaine ne soit consommée

Le repère de sortie des paddocks avec la méthode Herby est de préserver l’intégrité de la gaine des graminées, organe de stockage des glucides nécessaires au redémarrage comme rappelé plus haut. Mais il y a aussi d’autres raisons de respecter l’intégrité de la gaine. Si la base des limbes est conservée, une petite activité de photosynthèse pourra s’y produire dès le début et la repousse sera plus rapide. D’autre part, la longueur totale de la graminée est proportionnelle à la longueur de la gaine. Si on maintient une longue gaine, on favorise le rendement. Et la zone de croissance des nouvelles talles se trouvant dans la base de la gaine, si un pâturage trop sévère a été appliqué et cette partie a été supprimée, le couvert, à terme s’éclaircit.

Un temps de repos qui varie

Pour respecter le principe du retour au stade trois feuilles, le temps de repos d’un paddock varie de, en général, 18-20 jours au printemps à 90 voire 120 jours en été et en hiver. La vitesse de repousse après pâturage est définie par la météo, le type de couvert, et la disponibilité en nutriments.

(1) Coopérative rassemblant des producteurs de viande en élevages bovins, ovins et caprins, dont environ 400 éleveurs bovins viande localisés principalement en Deux-Sèvres et en Vienne.
(2) Fédération régionale agriculture biologique Nouvelle-Aquitaine, FRCivam, université de Rennes1, Inra de Lusignan et Cirad.

Des croissances des veaux satisfaisantes et à faible coût

Globalement, les résultats de pesée montrent que la croissance des veaux conduits en méthode Herby est similaire à celle des veaux conduits autrement. Ces résultats sont cependant obtenus sans jamais de complémentation au pré.

Philippe Bremaud de Bovins Croissance Sèvres Vendée conseil a co-analysé avec Marie Wullchleger de la Caveb les résultats de pesée sur 28 exploitations, représentant 12 000 veaux. Les trois races de l’échantillon (Charolaise, Limousine et Parthenaise), ont été étudiées séparément et trois périodes de vêlage ont été distinguées (1er novembre au 1er février, 1er juillet au 1er novembre, et 1er février au 1er mai). Il est à noter qu’en système Herby, les veaux ne sont jamais complémentés au pré. Ils ont été comparés à des élevages ne pratiquant pas la méthode Herby, mais employant des techniques de pâturage très diverses, où les veaux ont reçu dans une bonne partie des cas un apport de fourrages et/ou de concentrés au pré.

« Pour les veaux d’automne, les poids-âge type de ceux conduits en pâturage Herby sont inférieurs ou égaux à 120 jours et à 210, mais ce retard est compensé à l’âge d’un an », résume Philippe Bremaud. En pâturage Herby, ces veaux sont encore au pâturage avec leurs mères vers l’âge de 10 mois maximum. "Un animal qui sort en pâture, quelle que soit la méthode de pâturage, va développer sa capacité d’ingestion par rapport à un animal en bâtiment, et la croissance après sevrage en sera améliorée."

Pour les veaux d’hiver, aucune différence significative de poids-âge type n’a été statistiquement validée entre ceux conduits en pâturage Herby et les autres. « Globalement, le pâturage Herby permet de produire des animaux ayant des croissances similaires aux autres méthodes de pâturage, mais ceci toujours sans complémentation. »

Pour les veaux de printemps, qu’ils soient conduits en pâturage Herby ou non, il n’y a pas de complémentation. En race Limousine, un avantage de 15 à 20 kg à l’âge de 120 jours a été révélé pour ceux conduits en pâturage Herby, mais celui-ci est gommé à l’âge de 210 jours. Pour les veaux Charolais, l’effet du pâturage Herby varie d’une année à l’autre. « En conclusion, sur cette catégorie d’animaux, les croissances sont identiques voire favorisées par le pâturage Herby. »

La conduite du troupeau s’adapte à la pousse de l’herbe

Sur les 39 élevages de ce programme, les quatre techniciens qui ont assuré le suivi ont constaté que c’est la performance technico-économique qui était recherchée dans la mise en place du pâturage Herby, et non la pure performance technique. "Ces éleveurs obtiennent parfois moins de croissance que dans leur conduite antérieure, mais cela sans distribuer de concentré ", explique Philippe Bremaud. Autre constat fondamental : les pratiques doivent s’adapter à la pousse de l’herbe, et non l’inverse. "Cela revient à proscrire les vêlages d’avril à juillet, à sevrer en cohérence avec le début et l’arrêt de la pousse de l’herbe, et avec le réchauffement climatique, à sortir au pré plus tôt et composer avec une pousse moins longue en début d’été."

Pour débuter avec cette méthode, les conseillers invitent les éleveurs à la mettre en place sur une petite partie des prairies et pour des animaux à forts besoins (vaches avec veaux, génisses en croissance, et vaches en pré-engraissement). Les éleveurs font leurs stocks fourragers comme les années précédentes. Par contre, ils utilisent ces stocks différemment : davantage en été et moins en hiver. "La portance des pâtures s’améliore au bout de trois à cinq ans et on constate à ce moment-là une diminution du temps de présence en bâtiment par la pratique du pâturage hivernal — toujours si on est bien au stade trois feuilles."

Un effet sur le coût de production pas évident sur les trois premières années

Des comparaisons ont été réalisées à l’échelle du système d’élevage avec l’outil CouProd, entre le résultat avant la mise en place du pâturage Herby et celui des années suivantes.

Les élevages ont plus ou moins donné d’importance dans leur système au pâturage Herby. Les surfaces concernées représentent de quelques hectares à une vingtaine d’hectares de prairies. Quels que soient les systèmes étudiés, cette approche n’a pas mis en évidence de différence significative pour les postes « alimentation achetée », approvisionnement des surfaces » et « coût alimentaire ». Mais logiquement, on retrouve quand même que l’approvisionnement des surfaces baisse avec l’importance de la part de prairies conduite en méthode Herby. Chez les naisseurs, système plus sensible que les naisseurs engraisseurs, l’étude a aussi mis en évidence une meilleure productivité (quantité de viande vive produite par UGB) et une baisse du coût des carburants et lubrifiants quand la part de surfaces conduites en méthode Herby augmente. Ces améliorations se répercutent sur le prix de revient qui diminue et la rémunération permise qui augmente quand la part de pâturage Herby augmente.

Ces résultats contrastent avec le ressenti global très positif des éleveurs, qui estiment très majoritairement avoir amélioré leurs résultats techniques et économiques avec cette technique. Ces éléments seraient probablement plus lisibles à l’échéance de quatre à cinq ans, quand les charges de mécanisation sont nettement impactées par le changement de pratiques.

Une valeur alimentaire de l’herbe stable et élevée

Des suivis de l’évolution de la composition floristique, réalisés par l’Inra de Lusignan ont aussi été accomplis dans le cadre du programme Herby.

Trente-huit paddocks ont été étudiés à intervalle de deux ou trois ans sur la durée du programme, et les prairies ont été classées en six groupes. « Les conclusions sur l’impact de la technique Herby sur l’évolution des prairies restent périlleuses, explique Cyril Lemoine de l’Inra. Les filtres qui déterminent la composition floristique et son évolution découlent davantage des conditions climatiques et du pâturage en général. Néanmoins, les légumineuses se sont relativement bien maintenues. » La valeur nutritive de l’herbe pâturée en méthode Herby a elle aussi été étudiée. « Elle reste dépendante de la quantité de biomasse présente à l’entrée des animaux dans le paddock, et par conséquent des saisons. Mais elle est stable d’une année à l’autre et élevée, présente Fabien Surault, de l’Inra. Dans la plupart des situations, l’herbe pâturée en méthode Herby permet une bonne couverture des besoins des animaux de race allaitante et un bon équilibre entre énergie et protéines. »

Une étude des communautés lombriciennes a d’autre part été assurée. Peu d’effets significatifs ont pu être mesurés sur les quatre ans de suivis. « Le pâturage Herby n’a pas modifié les communautés lombriciennes comparé à un pâturage non Herby, conclut Sarah Guillocheau, de l’université de Rennes1. On peut donc supposer qu’un fort chargement instantané sur un court terme n’est pas plus dommageable pour le sol qu’un plus faible chargement sur un long terme. »

Le suivi du maillage bocager n’a pas lui non plus montré beaucoup d’évolution sur les trois années de suivi. « La mise en place du pâturage Herby tend à inciter à la conservation des haies et à l’augmentation de la durée de vie des prairies. Ceci permet de maintenir, voire d’augmenter le stockage du carbone », estime Alice Poilane de la coopérative Caveb.

"De nombreux bénéfices sur le système d’élevage"

Le Gaec de la Coutancière développe depuis trois ans le pâturage tournant dynamique méthode Herby. Déjà pas mal de changements ont été réalisés dans la conduite des animaux, avec des bénéfices sur le système d’exploitation.

Christian Giraudeau est installé avec son frère à Martinet, en Vendée. Le troupeau de 125 Charolaises est conduit en système naisseur engraisseur avec achat (125 jeunes bovins) avec double période de vêlage (septembre-octobre et février-mars). Sur 125 hectares, dont 80 % sont drainés, le chargement de la surface fourragère est très élevé. « Nous faisions auparavant du pâturage tournant avec changement tous les huit jours au printemps. Mais nous avions des progrès à faire pour mieux gérer l’herbe, en particulier un certain nombre de parcelles étaient régulièrement surpâturées », raconte Christian Giraudeau qui a profité de l’opportunité du programme Herby pour bénéficier d’un suivi par Bovins Croissance Vendée Deux Sèvres depuis trois ans. Les éleveurs ont commencé le pâturage tournant dynamique méthode Herby sur un bloc de 19 hectares. L’année suivante, ils sont passés à 24 hectares, puis 30 hectares cette année, et 15 hectares supplémentaires seront intégrés cette année. Le changement de paddocks est fait en général tous les deux jours. Sur le site principal, ces parcelles sont toutes découpées en paddocks de 50 ares et c’est le nombre d’animaux par paddock qui est ajusté. Un second site, situé à dix kilomètres, est organisé avec des paddocks d’un hectare et des lots plus importants. « Nous n’allons pas forcément convertir toutes les parcelles de prairies en pâturage tournant dynamique Herby. Déjà, les 20 hectares de ray-grass semences qui sont récoltés en juillet resteront cloisonnés en paddocks de deux à quatre hectares qui tournent moins vite. Ils sont très bien pour des vaches gestantes, à faible besoin. » Mais, les nouveaux réflexes des éleveurs sont transposés sur l’ensemble des prairies, même celles qui ne sont pas en pâturage Herby. Et ils ont décidé d’arrêter les cultures de vente de printemps (15 hectares de haricots verts) pour mettre en place de nouvelles prairies. « Avant on semait 45 hectares au printemps, et maintenant avec seulement 25 hectares, le nombre d’heures de tracteur est nettement réduit, ainsi que les périodes de pointes de travail. »

 

Christian Giraudeau a rapidement constaté plusieurs points positifs du changement de conduite du pâturage sur les performances du troupeau : les poids à 120 jours et à 210 jours des veaux ont progressé. « Ceux nés au printemps avaient auparavant, en été, un poids inférieur à la moyenne de la race. Et maintenant nous sommes au-dessus. » En pâturage Herby, les veaux ne sont jamais complémentés au pré.

Coûts alimentaires et de mécanisation à la baisse

Les éleveurs, gagnant en confiance dans le système, décident de mettre le plus possible d’animaux dehors, y compris pour des catégories d’animaux à fort besoin. L’an dernier, neuf veaux mâles nés en septembre et octobre ont pâturé pendant trois mois au printemps avant de rejoindre les autres en cases d’engraissement. « Leur durée d’engraissement n’a pas été plus longue que celle de ceux qui ne sont pas sortis, et nous avons fait une bonne économie sur trois mois de ration en bâtiment. Maintenant, on les sortira tous, explique Christian Giraudeau. On augmente aussi le temps de pâturage des génisses d’un an nées en septembre-octobre. » Au lieu d’être rentrées en bâtiment en septembre à leur premier anniversaire, elles sont conduites en pâturage tournant dynamique jusqu’à mi-novembre. « Elles ont gagné 700 g/jour au pâturage sur cette phase, alors que la ration en bâtiment pour réaliser cette performance sur cette catégorie d’animaux coûte très cher. » Les éleveurs pratiquent aussi le pré-engraissement des vaches de réforme à l’herbe de février à mai-juin. Ceci leur permet de moduler les lots en fonction de la pousse de l’herbe car ces vaches peuvent être rentrées une à une ou par petits groupes. Et ensuite la phase d’engraissement en bâtiment dure seulement entre un mois et un mois et demi.

Tout n’a pas toujours été facile pour arriver à ces satisfactions. Sortir des lots en février et se prendre 50 mm de pluie fait partie du processus. « On voit les vaches piétiner les prairies, on se dit qu’elles seraient mieux en stabul. Mais on s’aperçoit ensuite que les paddocks se réhomogénéisent rapidement. » Du fait de tourner rapidement, les animaux n’enfoncent jamais plus que la hauteur du sabot. Il faut aussi savoir prendre parfois la décision de rentrer des animaux et les affourager, en été notamment, faute de disponibilités. Il s’agit de résister, en méthode Herby, à l’envie de les mettre dans un paddock au stade 1,5 ou 2 feuilles. Christian Giraudeau apprécie d’être suivi par un conseiller dans cette phase. « D’une année à l’autre, ce n’est jamais pareil avec cette météo, et nous ne sommes pas encore des caïds. » Il est important de prendre le temps d’aller aux réunions de groupe « bout de champ » pour se poser, et être toujours dans la perspective de réajuster ce qu’on fait chez soi. « Les animaux sont plus dociles, c’est agréable de travailler avec eux. Et ils sont mieux au pré, on a le ressenti que leur santé est meilleure. Le temps de travail est aussi un point très important pour nous. »

Chiffres clés

125 vêlages de Charolaises
125 jeunes bovins engraissés
125 ha dont 25 de maïs, 15 de haricots verts, 15 de blé, 15 de ray-grass semences et le reste en prairies
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