Retracer l’élevage ovin auvergnat à travers l’histoire de la Rava
Dans son mémoire de Master 2, David Drevon s’intéresse à l’histoire de la brebis Rava, race rustique du Massif central, pour expliquer l’évolution de l’élevage ovin en Auvergne.
Etudiant à l’université de Lyon en Développement Rural, David Drevon a choisi, pour son mémoire de Master 2 pluridisciplinaire, de s’intéresser à l’histoire de la race ovine Rava, originaire du Puy-de-Dôme. À travers l’évolution de cette race, l’historien dessine une frise chronologique de la sélection génétique au sein de l’élevage ovin auvergnat. Il s’appuie sur de nombreuses archives nationales et locales et a procédé à des entretiens avec d’anciens éleveurs et des experts de la production ovine.
En 200 pages, il dresse un panorama de la sélection ovine auvergnate à travers le siècle dernier, relatant les premiers soubresauts de modernisation, les avancées technologiques et scientifiques, les écueils rencontrés…
Jusque dans les années quarante, la Rava n’est pas considérée unanimement comme une race. On parle encore de « type », de « population » ou de « variété ». Avec la création en 1964 de la Société pour la mise en valeur des régions Auvergne-Limousin (Somival), les races ovines rustiques tendent à être améliorées et donc standardisées pour être enfin reconnues comme telle.
À partir des années soixante, un programme d’amélioration génétique se met en place dans le nord du Massif central. La Rava est intégrée dans les premières expérimentations de prolificité qui ont lieu dès 1966. Huit ans plus tard, l’UPRA Nord Massif central, qui regroupe les cinq races locales (Bizet, Limousine, Noire du Velay, Rava) est créée, toujours dans un souci de standardisation de ces races rustiques. Les éleveurs de Rava s’engagent donc dans les contrôles de performance et se dotent en 1976 d’un centre d’élevage pour les béliers, hébergé par la coopérative Copa Dômes. Au tout début des années quatre-vingt, contrairement à la Noire du Velay par exemple, l’insémination artificielle est intégrée au schéma de sélection de la Rava. Dans ce programme d’amélioration génétique, les races sont actives sur les deux aspects de l’amélioration génétique du cheptel, à savoir la sélection et le croisement. Cela est tout particulièrement vrai pour la race pigmentée du Puy-de-Dôme, la Rava, qui a bénéficié de la généralisation d’une organisation en croisement en double étage. Cette race rustique est un témoin privilégié des évolutions de l’élevage ovin auvergnat de la seconde partie du XXe siècle.
Les documents techniques remis au jour par David Drevon font état, en parlant de la brebis Rava d’une « une machine à produire des agneaux ». Comme les autres races rustiques, la Rava est appréciée pour ses qualités maternelles, en particulier la précocité et la fécondité des brebis.
On dit des brebis de cette race dès 1965 qu’elles « mettent bas fréquemment des agneaux doubles ; les triplés ne sont pas rares » et « la pratique qui consiste à laisser en permanence le bélier dans le troupeau conduit à obtenir souvent deux agnelages par an et en moyenne trois agnelages en deux ans ». Les qualités et les aptitudes des races rustiques commencent à être reconnues. Cependant, le phénomène qui se met alors à l’œuvre a bien failli coûter la pérennité de la race. La mortalité des agneaux est forte, autour de 17,8 %. Elle s’explique par le climat, les bâtiments vétustes mais aussi, et c’est plus grave, à cause des croisements opérés avec des races bouchères. Si le gain en conformation est réel, la perte des aptitudes de résistance aux aléas climatiques est aussi vraie.
Dans un entretien, un éleveur de Bizet et fils d’agriculteur, résume la situation des éleveurs de Rava à cette époque : « La première vague dans les années soixante, où là c’était du croisement, du croisement, du croisement, j’ai souvenir à Brioude, au marché, où les maquignons arrivaient avec des béliers (de races bouchères, ndlr) dans leur camion, achetaient des agneaux et revendaient des béliers pour faire du croisement, voilà… C’était du ‘je t’achèterai des agneaux si tu croises avec ça’.»
À cette époque, les croisements n’étaient pas bien suivis et il arrivait fréquemment que des F1 soient à nouveau croisées avec un bélier de race bouchère. Ainsi, les reproducteurs de race pure rustique se sont raréfiés, conduisant même à l’extinction de la race Blanche d’Ardes. Ces croisements intempestifs à visée productiviste sont l’ébauche de la remise en question de l’élevage traditionnel pour tendre vers un élevage ovin plus rationalisé, avec des objectifs de production. Mais ce qui a failli causer la perte de la Rava, c’est le croisement avec la brebis limousine. L’objectif à peine voilé était de l’absorber pour faire de la Rava une branche de la race limousine. En 1960, la FNO raye la Rava de la liste officielle des races à promouvoir.
La création de la Somival permet alors avec le projet de commercialiser les agnelles rava et les éleveurs se regroupent pour mettre en place une sélection suivie et contrôlée. Les recherches sur l’espèce ovine s’orientent alors vers le contrôle de la reproduction et le développement de l’insémination artificielle. En 1974, l’Upra nord Massif central propose un recours à l’insémination artificielle, posant ainsi les prémisses d'un schéma de sélection intégré. La sélection s’oriente vers la recherche d’une souche femelle prolifique et insiste pour cela sur les critères de prolificité et de valeur laitière.
Tout au long de l’amélioration génétique de la Rava, la race a bénéficié d’un maillage conséquent d’acteurs, reliant l’amont de la génétique avec l’UPRA à l’aval avec la vente de reproducteurs et la banalisation d’un schéma d’utilisation en croisement à double étage. L’histoire de la sélection de la Rava illustre la prépondérance de la sphère économique dans la gestion des races, rejoignant le constat que la sélection génétique vise à établir un animal sélectionnable en fonction de ce qui est attendu à l’intersection du marché, des savoirs et des actions collectives (d'après Selmi, Joly et Rémondet). Plus généralement, la Rava a une relation ambiguë avec la modernité, l’amélioration génétique et les outils de cette dernière. Menacée par la première modernisation agricole, c’est la rationalisation de l’élevage qui permet à la race de trouver son « créneau » économique, notamment grâce à son désaisonnement facile et sa prolificité. La Rava a ainsi vu sa prolificité passer de 136 % en 1982 à 158 % en 2020.
Vers 1990-2000, la multiplication des élevages de Rava dans la Loire crée un noyau de sélectionneurs performants sur ce département. David Drevon émet alors l’hypothèse que pour sa survie, une race doit parvenir à s’ouvrir socialement via le renouvellement des éleveurs et des acteurs de la production. Si cela est vrai pour la Rava, l’historien a observé le même phénomène avec la brebis Raïole dans les Cévennes.