Réduire les émissions de méthane entérique par l’alimentation
Des rations riches en amidon, des prairies riches en tanin… sont des solutions déjà existantes. Les algues ou le 3-NOP sont des pistes prometteuses à confirmer.
Des rations riches en amidon, des prairies riches en tanin… sont des solutions déjà existantes. Les algues ou le 3-NOP sont des pistes prometteuses à confirmer.
Les ajustements de ration et de conduite des prairies peuvent permettre de réduire de 10 à 15 % les émissions de méthane entérique par les bovins. Les additifs, encore à l’étude ou en développement, permettraient de réduire les émissions de 20 à 40 %. L’Institut de l’élevage a fait le point sur ces différents leviers lors d’une visio Grand angle en avril dernier.
Les additifs présentent le potentiel d’atténuation des émissions le plus élevé. Mais ils ne sont pas encore produits à grande échelle et commercialisés ; « on ne connaît pas leur coût, ni les émissions de gaz à effet de serre dues à leur fabrication, et on ne connaît pas non plus leur degré d’acceptabilité par les éleveurs et les consommateurs », temporise Raphaël Boré, de l’Institut de l’élevage. Autre point de vigilance : la réduction de l’activité méthanogène dans le rumen entraîne une production plus élevée d’hydrogène, que l’animal doit évacuer.
Algues rouges et marron à l’étude
Les algues rouges et marron auraient un potentiel de réduction des émissions du méthane entérique très élevé : plus de 40 %. Avec une persistance d’action. Ces additifs, contenant du bromoforme et des composés halogénés, sont utilisés dans des rations distribuées à l’auge : 1 à 3 % de la MSI. L’état actuel des recherches montre que ces algues n’ont pas d’effet négatif sur la santé des vaches et leur reproduction. Il n’y a pas de résidu dans le lait et la viande. Par contre, un point de vigilance est le fait que les animaux pourraient émettre du bromoforme, toxique pour la couche d’ozone ; un point à vérifier lors de l’expertise des différentes algues. L’Institut de l’élevage participe à un programme de recherche Meth’Algues (2021 - 2023) qui vise à évaluer différentes algues marines (littoral breton et ligérien) sur les animaux et la réduction de méthane entérique.
Le 3-NOP bientôt commercialisé
Autre additif prometteur : le Bovaer 3-NOP. L’entreprise de nutrition animale DSM espère pouvoir démarrer la commercialisation cette année. Différents essais montrent qu’il aurait un potentiel d’atténuation compris entre 20 et 40 %, selon les rations et les niveaux d’incorporation. Cet additif serait sans effet sur la santé des animaux et il n’y aurait pas de résidu dans les produits animaux. Il peut se distribuer à l’auge et a été testé en système pâturant.
« Les résultats des essais menés avec des additifs bousculent les dogmes. On croyait que s’il n’y avait plus d’activité microbienne utilisant l’hydrogène et relâchant du méthane, le rumen ne pouvait plus fonctionner normalement. Or, les résultats ne montrent pas d’effet sur la santé des vaches. Le rumen pourrait donc fonctionner malgré une forte réduction de l’activité microbienne émettrice de méthane », pointe Cécile Martin, de l’Inrae.
La ration riche en amidon pose question
Plusieurs leviers d’atténuation concernent la composition des rations. Rappelons que les rations pauvres en fibres et riches en concentrés sont moins méthanogènes. La richesse en amidon est un levier bien connu, confirmé par un essai récent à la ferme expérimentale des Trinottières. Une ration à 25,2 % d’amidon (67 % d’ensilage de maïs, 25 % de tourteau de colza, 2 % de paille de blé, 5 % de concentré de production) est comparée à une ration à 1,1 % d’amidon (63 % d’ensilage de RGI, 19 % de pulpes de betterave déshydratées, 13 % de tourteau de colza, 5 % de concentré de production). Les émissions de CH4 en g/kg de lait du lot « riche en amidon » sont 13 % moins élevées que les émissions du lot « pauvre en amidon ». Grâce en partie à une hausse de la productivité laitière. « Mais attention, il ne faut pas en abuser. Au-delà de 25 % de matière sèche, des maladies métaboliques apparaissent. Ce levier fait entrer en compétition les cultures dédiées aux concentrés avec les cultures dédiées à l’alimentation humaine. Ces cultures, via les intrants (carburant, fertilisation, traitements) émettent indirectement des GES, et peuvent avoir d’autres impacts environnementaux négatifs », alerte Raphaël Boré.
Des prairies riches en tanins
Ce levier a une efficacité faible à moyenne (0 à 20 %) pour réduire les émissions de méthane, car il demande une maîtrise de la composition des prairies et de la pérennité du mélange prairial. Il s’agit d’introduire des espèces riches en tanins : chicorée, sainfoin, plantain, lotier… Les tanins sont des inhibiteurs des microorganismes méthanogènes. « L’intérêt est que l’on répond à d’autres enjeux : qualité et résilience des prairies, biodiversité, santé animale ; à un coût raisonnable », pointe Raphaël Boré. Pour améliorer l’effet sur les émissions de CH4, il faut encore améliorer la maîtrise technique.
Optimiser la complémentarité pâturage-maïs
Un programme de recherche, Grastech (Idele, Inrae, recherches écossaise et belge), vise à trouver les meilleures pratiques de gestion du pâturage, avec une complémentation d’ensilage de maïs. Deux essais auront lieu en 2021 et 2022.
Lipides et nitrates : un effet cumulé
C’est bien connu : les rations plus riches en lipides sont moins méthanogènes (10 à 20 % de réduction). Et avec des sources de lipides riches en oméga-3, on améliore le profil nutritionnel de la matière grasse animale. « Mais c’est coûteux. Leur culture entre en compétition avec l’alimentation humaine. Et leur fabrication émet des GES. »
Les nitrates incorporés à une ration pauvre en protéines peuvent permettre de réduire les émissions de 5 à 20 %. « Mais il y a des problèmes de toxicité pour les animaux, l’environnement. Et un problème d’acceptabilité par la société. »
Une étude de l’Inrae (2015-2016) souligne néanmoins un effet cumulé d’une ration enrichie en lin et en nitrates. Avec une persistance de quatre mois.
À retenir
10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France viennent de l’élevage bovin.
Sur ces 10 %, la moitié est du méthane (CH4) entérique produit par l’activité des microorganismes du rumen.
Autres leviers : 10 à 20 % de réduction d’émissions
En optimisant la conduite du troupeau, on peut réduire les émissions de GES de 5 à 10 %, via l’amélioration du rendement laitier des vaches. Mais attention, ce levier peut dégrader les émissions indirectes, via la réduction de la période improductive : en baissant l’âge au premier vêlage (objectif 24 mois en Holstein) en cohérence avec le système fourrager ; en diminuant le taux de renouvellement ; en améliorant la santé du troupeau et la réussite à la reproduction.
Par le levier génétique, on peut espérer 5 à 10 % de réduction des émissions. Ce levier d’atténuation demande du temps (10 ans de sélection), mais est durable et peu coûteux.