Programme phyto sans CMR : un pari complexe
Poussés par la réglementation et la demande des acheteurs, un nombre croissant de viticulteurs adoptent des programmes phyto sans CMR. Une protection qui devient de plus en plus compliquée.
Poussés par la réglementation et la demande des acheteurs, un nombre croissant de viticulteurs adoptent des programmes phyto sans CMR. Une protection qui devient de plus en plus compliquée.
S’il n’existe plus en France pour la vigne de produits cancérigènes mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) avérés, dits CMR1, des produits à effets CMR suspectés pour l’homme (dits CMR2) continuent d’être commercialisés. Mais la tendance est forte chez les viticulteurs de ne plus les utiliser, par prise de conscience de leur toxicité potentielle, et pour répondre à la demande d’acheteurs et de cahiers des charges (AB, Terra Vitis, chartes régionales…) qui les interdisent. En Gironde, la majorité des viticulteurs produit aujourd’hui sans CMR2.
« La pression médiatique et la volonté des professionnels de faire mieux font que de plus en plus de caves demandent une protection sans CMR2, constate Séverine Dupin, de la chambre d’agriculture. Il y a une vraie mouvance vers le bio et le biocontrôle, avec un besoin renforcé d’accompagnement. » En 2020, la chambre d’agriculture a diffusé un état des lieux de la pharmacopée sans CMR. La liste a été mise à jour en 2021, puis en 2022. « Il y a de moins en moins de produits, note Séverine Dupin. En 2021, il y a eu aussi une reclassification de produits comme Luna Sensation ou Flint dans la catégorie supplémentaire des produits ayant des effets sur ou via l’allaitement. »
Développement du biocontrôle
Le plus souvent, les producteurs encadrent la floraison avec deux à trois passages de produits pénétrants ou systémiques et utilisent du cuivre, du soufre et du biocontrôle (Redeli, LBG, Armicarb…) le reste du temps. « La différence est que ces produits peuvent être moins persistants que les CMR, ce qui implique davantage de réactivité », souligne Séverine Dupin. Proposer un programme sans CMR devient compliqué, notamment contre le mildiou.
« Des produits disparaissent, d’autres repassent en homologation et peuvent devenir CMR et d’autres pour lesquels la résistance augmente sont limités en nombre d’applications, comme Vivando, pour lequel il est préconisé de ne faire qu’un passage en 2022, constate Pierre Petitot, à la chambre d’agriculture de Côte-d’Or. Il y a aussi la HVE, qui insiste sur des ZNT de 5 m, les ZNT riverains, les délais de rentrée et les produits reclassifiés en catégorie supplémentaire que des viticulteurs ne veulent plus utiliser, même s’il n’est pas très clair s’ils sont ou non CMR. Au final, les programmes se concentrent en pratique sur le cuivre, le soufre et quelques produits de biocontrôle. Ils se rapprochent de plus en plus du bio. »
Matthieu Audubert, gérant des Vignobles Mallet-Audubert, en Gironde
« Il y a quatre ans, pour répondre aux attentes d’acheteurs, notamment à l’export, les Caves de Rauzan se sont engagées dans la protection sans CMR. L’ensemble du vignoble de 3800 hectares est aujourd’hui protégé sans CMR. Pour ma part, j’avais anticipé cette décision depuis un an. J’ai peu de voisins, mais en plus de 53 hectares en AOC bordeaux, je possède des ruches et je voulais aussi protéger la faune. Ce n’est pas toujours simple, car les produits que j’utilise sont moins rémanents que les CMR. Avant floraison et avant nouaison, j’emploie des phytos de synthèse. Mais en début et fin de campagne, je n’utilise que du soufre, du cuivre et un peu de phosphonates. Au lieu de passer tous les 15 jours, je passe tous les 12 jours, hors périodes de pluie. C’est une organisation différente, mais le coût n’est pas plus élevé, car les prix des produits CMR ont beaucoup augmenté ces dernières années. »
Liste des fongicides sans classement CMR
Les molécules suivantes sont utilisables dans le cadre d’un programme sans CMR contre l’oïdium et le mildiou : difénoconazole, fenbuconazole et tétraconazole (IDM) ; pyraclostrobine (Qoi) ; métrafénone (benzofénone), cyflufenamide (amidoxime), cymoxanil (cyanooxime), zoxamide (benzamide), diméthomorphe et mandipropamide (CAA) ; métirame (carbamate), amétoctradine (Qoi-D), cyazofamide (Qil), bénalaxyl-m (anilide), fosétyl-Al (phosphonate), fluopicolide (acylpicolide), oxathiapiproline (OSBPI).
Révision des AMM pour les CMR2
Deux réglementations publiées fin janvier 2022 viennent modifier la réglementation de 2019 sur la protection des personnes près des zones de traitement. Les CMR2 autorisés avant 2016, pour lesquels l’AMM ne précise pas de distance de sécurité, devront être réévalués par l’Anses avant le 1er octobre 2022 pour fixation d’une distance de sécurité, soit environ 100-150 dossiers selon Phyteis. À défaut d’un dossier recevable, la distance sera fixée à 10 m.