Préservez la valeur de vos fumiers de bovins
Avec le contexte économique et la flambée du prix des engrais minéraux, les effluents d’élevage font plus que jamais figure de véritable mine d’or. Pour les valoriser au mieux, il est utile de bien cerner leur richesse en éléments fertilisants. La façon de les gérer, du curage des bâtiments à l’épandage, donne des pistes pour réduire les pertes, notamment gazeuses.
Avec le contexte économique et la flambée du prix des engrais minéraux, les effluents d’élevage font plus que jamais figure de véritable mine d’or. Pour les valoriser au mieux, il est utile de bien cerner leur richesse en éléments fertilisants. La façon de les gérer, du curage des bâtiments à l’épandage, donne des pistes pour réduire les pertes, notamment gazeuses.
« Les engrais de ferme sont à bichonner pour en tirer le meilleur, et ainsi avoir le moins possible recours aux engrais minéraux », a entamé Carole Gigot, ingénieure fourrage pour Arvalis, lors d’une conférence au Sommet de l’élevage 2023.
Dans cette démarche, la première chose est de mieux caractériser les effluents de son élevage. « D’après un large panel d’échantillons collectés, on dispose de valeurs moyennes pour un fumier de bovins viande, mais sa composition dépend de nombreux facteurs. » Par exemple, le fumier de jeunes bovins issu d’un essai mené à la ferme expérimentale des Bordes était en moyenne nettement plus riche en azote et en potasse qu’un fumier de troupeau allaitant.
Mais même pour le troupeau d’élevage en bovins viande, selon la ration, le type de bâtiment (paillé, raclé ou logettes), la nature de la litière (paille, plaquettes de bois, dolomie), la fréquence et la quantité de paillage, le mode de stockage de l’effluent entre sa sortie du bâtiment et l’épandage (en fumière ou au champ, pendant combien de temps), la composition des fumiers peut énormément varier.
Une analyse au plus près de la date d’épandage
« Le mieux est de faire une analyse de son effluent, au moment le plus proche possible de l’épandage pour savoir ce qu’on apporte à la parcelle », reprend l’experte. Une fois sortis de dessous les animaux, les fumiers évoluent en effet continuellement. Le taux de matière sèche change. Les pertes d’azote se produisent « vers le bas », par lixiviation (lessivage), et « vers le haut », par volatilisation et/ou dénitrification.
Ces pertes d’azote ont été quantifiées dans très peu d’études scientifiques. « À la ferme expérimentale de Derval en Loire-Atlantique, de 2017 à 2019, une étude a montré que la lixiviation a représenté moins de 2 % de l’azote total initialement présent dans le fumier entre la mise en tas (après deux mois de stockage) et l’épandage. Selon la bibliographie, cela varie entre 1,5 % et 4,9 % de pertes par lixiviats selon le temps de stockage, la nature initiale du fumier… », explique Carole Gigot.
Pour les pertes « vers le haut » au stockage, des essais (à Derval toujours) ont montré jusqu’à 36 % de perte de l’azote initialement présent à la mise en place du fumier pour un tas non couvert. Le tas couvert avec une bâche en polypropylène a perdu moins d’azote total : 28 %. « Par contre, avec une bâche en polypropylène on a constaté en parallèle une diminution de l’activité biologique puisqu’il n’y a plus d’humidification du fumier par les eaux de pluie », rapporte l’ingénieure.
Pour le tas couvert et compacté préalablement, les pertes d’azote dans l’air ont été considérablement réduites - elles n’étaient que de 8 % - mais ce n’est pas forcément une pratique à encourager car les émissions de méthane du tas étaient multipliées par dix par rapport au tas témoin, et représentaient des quantités assez importantes, selon Carole Gigot.
Des pertes d’éléments minéraux au cours du premier mois de stockage
Ces essais ont montré aussi que c’est au cours du premier mois de stockage que se fait la quasi-totalité (97 à 100 %) des pertes d’azote sous forme d’ammoniac, et la moitié des pertes (41 à 56 %) sous forme de protoxyde d’azote N2O. « Et il y a encore d’autres pertes d’azote dans le champ, pendant l’épandage. »
Pendant le stockage des fumiers, d’autres éléments fertilisants sont perdus, et notamment la potasse potentiellement par lixiviation. « Selon un pool de 24 analyses de fumiers frais et 13 de fumiers évolués pendant neuf mois de stockage, on met en évidence une perte de potasse, potentiellement par lixiviation. Pour le phosphore, il n’y a eu de grosse évolution de la teneur si on tient compte de celle du taux de matière sèche, le phosphore étant lié à la matière organique », analyse Carole Gigot.
Des questions à creuser sur le fractionnement des apports
Se pose ensuite la question de l’organisation de l’épandage pour optimiser la valorisation des engrais organiques. « Nous pensons qu’il y a des marges de progrès à identifier sur cette étape », explique Carole Gigot. Vaut-il mieux faire des apports tous les ans, une année sur deux ou un apport important une année sur trois ? « Nous allons travailler sur ce point à partir de l’année prochaine pour identifier quelle stratégie d’épandage (dose et fréquence interannuelle) permettrait de maximiser le rendement tout en maintenant les légumineuses », annonce-t-elle.
De nombreux enjeux d’actualité autour d’une bonne gestion des effluents d’élevage
Même si les prix des engrais minéraux ont bien baissé au cours de l’année 2023 après la flambée de 2022, ils sont amenés à durablement être coûteux en lien avec les cours du pétrole.
Les effluents d’élevage sont une richesse tant pour les éléments minéraux qu’ils contiennent que pour la fertilité des sols qu’ils renforcent.
Leur bonne gestion est aussi un pan de la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre en élevage bovin, dont les objectifs viennent d’être définis par l’État dans le cadre de la planification écologique.
Un effet bénéfique du fumier sur la fertilité des sols
En bio, un essai sur l’effet de l’apport de fumier de bovins sur la vie du sol a été mené à la ferme expérimentale des Bordes de 1999 à 2016.
« Par rapport à des apports d’engrais minéraux pilotés à l’optimum, l’apport de fumier de bovins a permis d’augmenter la fertilité chimique du sol » a présenté Carole Gigot, ingénieur fourrage chez Arvalis, lors d’une conférence au Sommet de l’élevage 2023. Cet essai a montré avec le fumier une augmentation du stock de matière organique de la couche arable, une augmentation du stock de carbone et d’azote organique du sol (jusqu’à 34 % de plus sous prairie), une augmentation des caractéristiques chimiques du sol que sont le pH et la capacité d’échanges CEC Metson et une augmentation de la biodisponibilité en éléments nutritifs (P, K et Mg).
L’apport de fumier a aussi agi sur la fertilité biologique du sol avec un effet bénéfique sur la biomasse microbienne et lombricienne.
Le fumier a par ailleurs amélioré la troisième composante de la fertilité des sols : la fertilité physique. Notamment, le pourcentage de macroporosité du sol a progressé, et visuellement le sol présentait moins de tassements et une tendance à limiter la sensibilité à la battance.
Les effluents d’élevage boostent les graminées
En bio, l’institut Arvalis a comparé l’effet sur une prairie d’un apport d’effluents d’élevage (fientes de volailles et fumier de bovins viande) par rapport à des produits fertilisants et/ou amendants autorisés en agriculture biologique (n’apportant pas d’azote).
« Avec un apport chaque année, que ce soit en automne ou en sortie d’hiver, on a produit 6 tonnes de matière sèche en plus par hectare de prairie permanente à l’issue des quatre années d’essai », a présenté Carole Gigot d’Arvalis lors d’une conférence au Sommet de l’élevage. L’amélioration du rendement était significative dès la première année d’exploitation. « Ce résultat illustre le bénéfice de l’azote du fumier. »
Attention au maintien des légumineuses
Sur une prairie multiespèce, le même effet bénéfique sur le rendement a été constaté, mais la production de la luzerne et du trèfle violet qui avaient été semés a nettement diminué au bout de deux ans. « Le fumier a eu un effet bénéfique sur les graminées qui ont concurrencé les légumineuses. Il faut faire attention à cet effet indirect sur la production des légumineuses quand on apporte des engrais de ferme sur prairies », analyse Carole Gigot.
Cet essai a aussi permis de constater que l’apport de sortie d’hiver est visuellement moins bien minéralisé que celui d’automne certaines années.