Premiers résultats de Life Beef Carbon, le plan carbone de la filière viande
Les premiers résultats et enseignements du programme Life Beef Carbon, lancé par la filière viande bovine fin 2015, sont disponibles. Son ambition : réduire de 15 % l’empreinte carbone de la viande bovine d’ici 10 ans.
Les premiers résultats et enseignements du programme Life Beef Carbon, lancé par la filière viande bovine fin 2015, sont disponibles. Son ambition : réduire de 15 % l’empreinte carbone de la viande bovine d’ici 10 ans.
L’agriculture contribue au changement climatique. Les émissions de GES imputables à l’élevage français s’élèvent à 14,5 % dont 5 % pour la filière viande bovine. Toutefois, l’élevage dispose d’un atout non négligeable : le stock et la possibilité de stocker du carbone additionnel dans les sols et la biomasse. Le stock national est ainsi estimé entre 3 et 4 millions de tonnes de carbone même si des incertitudes entourent encore la capacité de séquestration du carbone dans les sols. Dans ce contexte, de nombreuses initiatives bas carbone et élevage bovin durable se sont mises en place. À l’image du programme Life Beef Carbon, lancé par la filière viande bovine à l’occasion de la COP 21, fin 2015 pour une durée de cinq ans. « L’objectif : réduire de 15 % l’empreinte carbone de la viande bovine d’ici 10 ans sans impacter, ni la production, ni la capacité économique des exploitations. On ne s’arrête pas au seul carbone, on s’attache à la durabilité globale de la ferme », précise Bruno Dufayet, éleveur de Salers dans le Cantal et président de la commission enjeux sociétaux d’Interbev.
Ce projet collectif implique 57 partenaires dans quatre pays européens (France, Irlande, Espagne et Italie). Piloté par l’Institut de l’élevage, il a permis d’évaluer l’empreinte carbone de 2 000 fermes dont 1 700 en France, grâce à CAP’2ER, l’outil de mesures de la performance environnementale des exploitations (air, eau, biodiversité et énergie). Les impacts positifs de l’activité bovins viande sont également évalués comme le potentiel nourricier ou l’entretien de la biodiversité. L’indicateur GES retenu est le kg équivalent CO2 par kilo de viande vive produite (kg éq. CO2/kgvv).
Un tiers des émissions compensées
« Des travaux complémentaires sur 175 fermes innovantes dont 125 en France ont poussé la réflexion encore plus loin afin d’identifier et de caractériser les réductions d’émissions et le potentiel de stockage », observe Josselin Andurand, responsable du projet à l’Institut de l’élevage.
Les résultats sur les 1 700 fermes montrent une émission brute moyenne de 16,7 kg éq. CO2/kgvv, cohérente avec celle de nos voisins européens. Les fermentations entériques (méthane - CH4), émises naturellement lors de la digestion de l’herbe et des fourrages, expliquent plus de 50 % de ces émissions et si on y ajoute la gestion des effluents, on atteint presque 80 %. Les diagnostics ont également permis de quantifier la compensation carbone permise par les haies et les prairies. Ainsi, un tiers des émissions brutes de GES d’un élevage bovins viande est compensée par le stockage de carbone soit, en moyenne, 5,4 kg éq. CO2/kgvv, portant ainsi l’empreinte carbone nette à 11,3 kg éq. CO2/kgvv.
Autre enseignement important : l’absence d’antagonisme entre performance environnementale et performance technico-économique. « La majorité des leviers mis en place pour améliorer l’empreinte carbone des exploitations est également gagnante sur les plans technique et économique », souligne Josselin Andurand. Les fermes bas carbone ont en effet une meilleure performance économique.
Un gisement d’améliorations
Les résultats de l’observatoire des fermes de démonstration rendent compte également d’une forte variabilité au sein de chaque système d’élevage (naisseur, naisseur-engraisseur et engraisseur spécialisé). Ainsi, au sein d’un même système, les élevages les plus « vertueux » ont une empreinte carbone 35 % inférieure à la moyenne. « Cela nous laisse penser que les marges de manœuvre pour aboutir à un objectif de réduction de 15 % de l’empreinte carbone se trouvent là », précise le responsable du projet Life Beef Carbon.
Il existe un potentiel d’améliorations sur toutes les sources d’émissions et de stockage. Les principaux leviers identifiés pour améliorer l’empreinte carbone concernent : l’optimisation technique de l’élevage (conduite du troupeau, limitation des animaux improductifs, optimisation des rations…) ; la valorisation des fumiers et lisiers et la gestion des effluents (rabaissement de l’utilisation d’engrais minéraux…) ; l’amélioration de l’autonomie fourragère (allongement de la durée de pâturage…) et enfin le stockage de carbone dans les sols et la biomasse (implantation de haies, maintien de prairies permanentes…).
Des fiches pour chaque élevage « innovant » (125) ont été réalisées. Elles reprennent le plan d’actions de chaque ferme. Des fiches de référence par système de production (naisseur, naisseur-engraisseur de jeunes bovins, naisseur-engraisseur de bœufs et engraisseurs spécialisés) sont également disponibles sur le site de l’Institut de l’élevage. Ces chiffres donnent des tendances. « L’idée est de pouvoir se comparer par rapport aux références au sein d’un même système. » Par ailleurs, une dizaine de fiches techniques pour chaque levier de réduction (potentiel de réduction, freins, coûts, témoignages d’éleveurs…) seront accessibles début 2020 sur le site de l’Institut de l’élevage (idele.fr).
Déployer les pratiques vertueuses
Sur les fermes innovantes, le potentiel de réduction moyen des émissions nettes s’élève à - 12 %. Il est donc au-deçà de l’objectif de 15 %. « Cependant, il est très associé aux exploitations de bases déjà très impliquées. Il nous laisse donc présager de l’atteinte de l’objectif final. Il est important de préciser qu’il n’existe pas de solutions standard. Les leviers sont dépendants de chaque élevage et ne sont pas déconnectés du fonctionnement de l’exploitation. Il est nécessaire de faire du cas par cas. Ce programme rend les éleveurs acteurs », note Josselin Andurand.
Alors que le projet s’achève, l’enjeu est désormais centré sur le déploiement d’un plan carbone pour l’ensemble de la filière. « Il faut enclencher une dynamique dans tous les élevages, en y associant les conseillers de terrain pour que l’appui technique soit systématiquement couplé à l’enjeu environnemental », observe Bruno Dufayet.
« Life Beef Carbon s’intègre pleinement dans l’un des quatre axes de notre démarche, un Pacte pour un engagement sociétal. Ce programme s’est concentré sur l’élevage car 96 % des émissions sont émises en amont. Toutefois, au niveau de l’aval, un observatoire sur les leviers économie d’énergie et valorisation des coproduits en abattoirs est en cours d’élaboration. Au niveau de la distribution, les deux axes retenus concernent l’énergie et le gaspillage alimentaire. Il est important de rester mobilisés car le manque de consensus pour le calcul des puits carbone nous empêche l’assurance de la prise en compte du stockage carbone dans le calcul de l’empreinte carbone. Ceci impliquant le risque que des systèmes très intensifs (feedlots) arrivent avec une empreinte carbone moindre par dilution », précise Caroline Guinot d’Interbev.
À l’heure où la consommation de viande fait débat et que l’Europe entend ouvrir ses portes aux viandes importées, produire des viandes dans le respect du vivant et de la planète représente un atout non négligeable.
Life Beef Carbon est un projet européen qui inclut quatre pays, la France, l’Irlande, L’Espagne et l’Italie.
Un projet européen destiné aux éleveurs
Les autres pays de l’Union européenne participant au projet n’ont pas encore de résultats définitifs à communiquer. L’Italie utilise le même outil (CAP’2ER) que la France pour mesurer la performance environnementale et construire des plans d’actions. L’Irlande (Beef Carbon Navigator) et l’Espagne (Bovido) disposent chacune de leur propre outil de mesures. Des échanges et visites entre les différents pays ont été effectués. « En Irlande, on travaille globalement sur les mêmes leviers qu’en France (UGB improductifs et gestion optimisée de l’herbe, amélioration de la productivité numérique). Le potentiel moyen de réduction des émissions a été chiffré à 16 % », explique Donal O’Brien du Teagasc.
Des leviers sur les performances et le bien-être
En Italie ou en Espagne, on a principalement à faire à des systèmes engraisseurs spécialisés. « En Italie, les principaux leviers d’actions concernent les performances animales (maximiser le GMQ), le bien-être animal et la santé. Il y a peu de séquestration carbone possible », souligne Sara Care de Crea It.
« En Espagne, on constate un accroissement de la sensibilité des éleveurs sur le sujet. Avant les éleveurs ne comprenaient pas pourquoi on abordait cette problématique. Aujourd’hui, ils sont demandeurs d’une analyse. Ils veulent savoir où ils se situent », observe Paula Martinez d’Asoprovac.
En France, un gros travail a également été engagé « sur le temps d’engraissement des réformes entre le dernier vêlage et la vente. Au niveau européen, on se positionne toujours sur une hypothèse commune sur le stockage du carbone dans les prairies et haies, afin d’obtenir une reconnaissance pour l’agriculture et l’élevage bovins viande », explique Josselin Andurand.
Le saviez-vous ?
L’empreinte carbone d’un citoyen français est de 12 000 kg éq. CO2/an, soit l’équivalent de deux vaches adultes. L’alimentation en représente 15 %, dont un peu plus de 5 % pour la viande de ruminants. 45 % sont attribués aux équipements et services (habillement, informatique, services privés…), 18 % au logement (énergie, construction, équipement des logements) et 22 % au transport. Toutefois, 60 % de l’empreinte carbone d’un Français est émise à l’extérieur du territoire européen.
Chiffres clés
Les contributions positives d’une exploitation Life Beef Carbon
428 personnes nourries par an
442 t de carbone stockées/ha
175 ha de biodiversité entretenus
Les prairies, des puits de carbone efficaces
Les prairies permanentes couvrent 18,4 % du territoire et représentent 22 % du stock de carbone du sol. Elles possèdent les sols les plus riches, avec 85 t c/ha. Des simulations réalisées par l’Inra (étude 4p1000) montrent qu’elles stockeraient en moyenne 212 kg c/ha/an avec une forte variabilité liée aux pratiques, au pédoclimat… Des pratiques additionnelles ont également été identifiées pour augmenter leur niveau de stockage annuel.